Par Nodal et réd. A l’Encontre
La conseillère municipale brésilienne Marielle Franco a été abattue à Rio de Janeiro, le mercredi 14 mars, de même que le conducteur de la voiture dans laquelle elle se trouvait: Anderson Pedro Gomes. Elle était âgée de 38 ans. Elle avait dénoncé ces dernières semaines une augmentation de la violence policière dans les favelas et s’opposait à l’intervention militaire dans «la zone de sécurité de Rio de Janeiro», décrétée par le président Michel Temer pour tenter de contenir une escalade de la violence qui n’a cessé de croître depuis la fin des Jeux olympiques de 2016. Mais le PSOL (Parti socialisme et liberté) auquel elle appartenait et ses proches ont déclaré que la dirigeante n’avait signalé aucune menace ces derniers temps.
Aux premières heures du matin, de nombreux appels ont été lancés pour organiser des manifestations devant l’Assemblée législative de Rio (connue sous l’acronyme ALERJ) et dans d’autres parties de la ville pour dénoncer le crime. «Marche contre le génocide noir! NOUS SOMMES Marielle Franco», a déclaré l’un de ces appels qui, en quelques heures, avait recueilli quelque 20’000 promesses d’assistance sur le Net. Le jeudi soir également, d’autres manifestations ont été organisées à São Paulo et Belo Horizonte.
Marielle Franco était devenue membre du Conseil municipal de Rio lors des élections de 2016, en tant que cinquième conseiller le plus voté, avec 46’000 voix de préférence. Les élections locales de cette année-là ont été marquées par une vingtaine d’assassinats de candidats à la mairie ou au Conseil municipal à Rio, apparemment liés à la présence de milices paramilitaires et de bandes de trafiquants de drogue, luttant pour le contrôle des favelas où vivent quelque 1,5 million de personnes.
Il y a deux semaines, Marielle Franco avait assumé la fonction de rapporteur du Comité du Conseil municipal de Rio, créé pour contrôler les activités des troupes chargées de l’intervention militaire décrétée par Temer, une mesure sans précédent depuis le retour de la démocratie en 1985. Le 10 mars, elle a dénoncé sur les réseaux sociaux une opération policière dans la favela d’Acari [dans la zone nord de la municipalité de Rio]. «Le 41e bataillon de la police militaire terrorise et tyrannise les habitants d’Acari […]. Cela a toujours été le cas et avec l’intervention actuelle, c’est pire», écrit-elle.
Le comportement violent, intimidant et souvent incontrôlé de la police est une source de préoccupation au Brésil, selon l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International (AI), dans son rapport annuel 2017/2018 présenté en février 2018. Dans le chapitre «Forces policières et de sécurité», le plus important du document, AI souligne que le taux d’homicide au Brésil reste très élevé et qu’il touche principalement les jeunes «ayant la peau noire».
«Les opérations policières dans les favelas et les zones marginalisées entraînent généralement de lourdes fusillades et des décès», note AI. Elle énumère ensuite une longue liste de situations, au cours de l’année 2017, où des civils ont été tués par des membres de diverses forces policières du pays. Dans plusieurs de ces cas, les proches des victimes ont fait état d’«assassinats» et d’exécutions extrajudiciaires.
Dans un autre chapitre, Amnesty International dénonce le fait que le système pénitentiaire brésilien est «surpeuplé» et qualifie les conditions de détention d’«inhumaines». La population carcérale du pays s’élève à 727’000 personnes, dont 64% sont d’ascendance africaine, indique le document. En outre, 40% des détenus sont placés en détention provisoire, situation dans laquelle ils restent généralement plusieurs mois jusqu’à ce qu’ils soient jugés. Le texte fait également référence à la «force excessive» utilisée par la police dans ses opérations de répression à Rio de Janeiro.
La veille de sa mort, Marielle Franco avait protesté sur Twitter contre la mort de Matheus Melo, un jeune homme abattu alors qu’il quittait une église du bidonville de Jacarezinho à Rio de Janeiro et posait la question: «Combien d’autres devront mourir pour que cette guerre prenne fin?»
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Dans un communiqué publié le 14 mai 2018, le PSOL déclarait:
«Nous nous trouvons aux côtés de la famille, des amis, des conseillers et des dirigeants du PSOL/RJ en ce moment de colère et d’indignation. Les actions de Marielle en tant que conseillère municipale et militante des droits de la personne humaine constituent une fierté pour tous les membres du PSOL et la poursuite de sa lutte constituera un devoir et un hommage qui lui seront rendus.
Nous ne pouvons pas écarter l’hypothèse d’un crime politique, c’est-à-dire une exécution. Marielle vient de dénoncer l’action brutale et macabre de la Police militaire dans la région d’Irajá, dans la communauté d’Acari. En outre, les caractéristiques du crime commis renforcent cette hypothèse; le crime a été commis en utilisant une voiture qui s’est approchée de celle dans laquelle se trouvait l’élue, de nombreux coups de feu [9 balles dans la voiture, 4 dans les vitres, avec de la munition de 9 millimètres attribuée à la police, mais ayant pu être détournée] ont été tirés, puis le véhicule a de suite pris la fuite. Pour cette raison, nous exigeons l’enquête immédiate et rigoureuse concernant ce crime puant. Nous ne baisserons pas les bras. «Marielle, presente»!
Lors des manifestations – organisées dans de très nombreuses villes du Brésil: São Paulo, Belo Horizonte, Salvador de Bahia, Recife, Natal, Fortaleza, Belém, Manaus, Brasilia, Porto Alegre, Curitiba, Florianopolis, etc. – la parole a été prise par une majorité de femmes noires. Elles ont mis l’accent sur le fait que cet assassinat visait, entre autres, «à étouffer la voix des femmes noires qui occupent un espace public dans ce pays» et «qui animent des mouvements sociaux qui mettent en lumière non seulement les inégalités, le machisme, et la répression policière, mais en particulier les traits racistes» des diverses politiques des dominants. (Article rédigé à partir de Noticias de America Latina y el Caribe, du communiqué PSOL, de vidéos des manifestations à Rio; traduction et rédaction par A l’Encontre)
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