Par Gideon Levy
Si le gouvernement israélien réussit à expulser des milliers de demandeurs d’asile, il encouragera la poursuite de plans encore plus malveillants…
Que l’expulsion des demandeurs d’asile africains se produise ou non, Israël n’est confronté à rien de moins qu’un choix test qui façonnera son avenir.
Il est impossible de ne pas être choqué par la brutalité et le racisme qui sous-tendent ce plan de nettoyage ethnique – l’expulsion des Noirs non juifs [par opposition aux Falashas, qualifiés en Israël de «juifs éthiopiens»] en raison de leur couleur de peau. Le sort de 35 000 personnes devrait toucher le cœur de chaque Israélien décent, mais la question est beaucoup plus vaste et plus importante. A l’ordre du jour figurent des projets cachés et amples dont seule l’extrême droite parle pour le moment, mais qui pourraient un jour se transformer en plan d’action. L’expulsion des réfugiés africains est un programme pilote d’une grande importance pour le gouvernement et ses opposants.
Si cette mini-expulsion réussit, attendez-vous à plus: préparez-vous à un transfert de population. Si la première opération réussit, elle permettra de renforcer la perspective d’expulsions supplémentaires. Israël apprendra qu’il peut le faire et que personne ne l’arrêtera. Et quand Israël est capable d’agir, il le fait sans retenue. A deux reprises, il a brutalement saccagé la bande Gaza, parce qu’il le pouvait, et il le fera encore jusqu’à ce que quelqu’un l’arrête.
D’autre part, si la déportation des demandeurs d’asile échoue, cela montrera que la partie d’Israël qui possède une conscience a plus de pouvoir et d’influence qu’il n’y paraît; que là où il y a une volonté, il y a un moyen. Son test sera de continuer à lutter, avec les mêmes moyens et la même détermination, contre d’autres crimes. Elle aussi, elle confortera son espoir du succès obtenu.
C’est pourquoi le précédent africain est si important, pourquoi les plans d’expulsion et la lutte pour y mettre fin ne peuvent être sous-estimés. Le combat a déjà fait ses preuves: le commandant de l’expulsion, le Dr Shlomo Mor-Yosef – directeur général de l’Autorité en charge de la population, de l’immigration et des frontières du Ministère de l’intérieur – a annoncé qu’il ne déporterait que des hommes célibataires en âge de travailler. Il s’agit de la première reddition face à la pression générale du public – plus vaste que prévu – mais elle n’a aucun sens. Il n’est pas plus légitime de maltraiter des hommes que des femmes ou même des personnes âgées. L’expulsion est l’expulsion, qu’elle soit masculine ou féminine. Mor-Yosef a essayé maladroitement de camoufler un péché, mais son besoin même de se cacher derrière «nous ne faisons que déporter des hommes, alors tout est bien» est un aboutissement. On peut supposer que, gêné, il démissionnera bientôt de son poste honteux.
Mais cela ne suffit pas. Si la lutte contre la déportation persiste – y compris les actes de résistance qui lui sont si vitaux, si nécessaires – le gouvernement Netanyahou sera contraint de reculer. Sans pilotes, il ne peut y avoir de vols d’expulsion et les réfugiés ne peuvent pas être chassés face à des groupes faisant de la désobéissance civile.
Si ce plan d’expulsion est déjoué, la gauche apprendra que le seul moyen de l’emporter est l’abnégation et la désobéissance; les rassemblements sont inefficaces. Le camp anti-déportation finira par se rendre compte qu’il peut prévenir les crimes, mais seulement s’il est prêt à aller plus loin et à se dévouer complètement. Donc que tout n’est pas ordonné par le ciel ou la droite. Et le gouvernement apprendra qu’il n’est pas omnipotent, et qu’il fait face à un adversaire actif avec une conscience. Il convient de rappeler qu’une opération de nettoyage ethnique différente – dans la vallée du Jourdain et les collines du sud d’Hébron – n’a pas rencontré de résistance civile significative.
La prochaine tentative d’expulsion pourrait être celle des députés arabes de la Knesset. Tout le monde le nie, mais les courants sous-jacents sont là. Cela pourrait se produire du jour au lendemain, sous divers prétextes pour rendre ces députés illégaux. Après tout, qui ne voudrait pas de ça? Les masses seraient favorables, c’est sûr, et le gouvernement aussi. Qui s’y opposerait? Tout ce qu’il faut, c’est la bonne opportunité. Le danger est plus proche qu’il n’y paraît. Qui croirait qu’il y a seulement 40 ans, Israël avait fièrement accueilli des dizaines de dits boat people, quittant le Vietnam.
Par la suite, à un moment donné, le véritable projet sera mis en avant: expulser les Palestiniens des territoires, ou du moins d’une partie d’entre eux. Sous le couvert d’une guerre ou d’un soulèvement, avec de nombreuses excuses sécuritaires. Ça pourrait arriver. Cela ressemble maintenant à de la fiction, mais l’expulsion réussie des réfugiés africains soutiendra l’idée que l’expulsion est une option réalisable. Ça a l’air dingue? Bien sûr. Il y a quelques années, il était fou de penser que ce pays de réfugiés embarquerait de force des réfugiés menottés dans des avions et les enverrait vers leur destin dans des endroits misérables, comme il prévoit de le faire dans un avenir proche.
C’est pourquoi il est si important de se battre maintenant. (Publié dans Haaretz, en date du 28 janvier 2018; traduction A l’Encontre)
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