Nous publions ci-dessous le document diffusé par le Mouvement pour le socialisme (MPS) lors de la manifestation de solidarité internationaliste avec la lutte du peuple syrien; manifestation organisée à Genève le 17 septembre 2011. (Rédaction)
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Depuis six mois – dès le 15 mars 2011 – une large majorité du peuple de Syrie, dans ses diverses composantes, a engagé une mobilisation héroïque pour renverser la dictature sanguinaire de Bachar el-Assad et de son clan.
Ce processus révolutionnaire démocratique s’inscrit dans le contexte du «printemps arabe». Un «printemps» où les peuples ont déjà renversé – ou cherchent encore à balayer – des régimes qui ont été soutenus, durant des décennies, par les puissances occidentales impérialistes. Ce que, aujourd’hui, ces dernières cherchent à faire oublier. D’autant plus qu’elles tentent de reconfigurer, au nom de leur démocratie, leur présence économique et leur influence politique dans toute la région.
Un pouvoir assassin, irréformable
Selon l’Observatoire syrien pour les droits humains, basé en Grande-Bretagne, au cours des derniers six mois l’appareil répressif du régime du parti unique, le Baath, a assassiné quelque 2800 personnes (plus de 3000 selon les opposants résidant en Syrie). Plus de 70’000 ont été arrêtées et brutalisées; 15’000 sont détenues et subissent d’odieuses tortures. Plus de 3000 prisonniers ont «disparu». Durant la période du Ramadan – en août 2011 – les militaires et policiers à la solde de la dictature ont tué 473 manifestant·e·s. Le 6 septembre, un jeune militant était arrêté à Damas, avec un de ses amis. Son nom: Ghiyath Matar. Il était l’un des organisateurs – entre autres par le biais des réseaux sociaux – de manifestations pacifiques. Le 10 septembre, son corps était rendu à sa famille. Elle constatait qu’il avait été «torturé à mort». Il a été enseveli le 13 septembre à Daraya, près de Damas. Le sort de son ami Yahya Sharbaji – qui avait milité contre l’intervention américaine en Irak, en 2003, et avait été emprisonné par le passé – est inconnu, suite à son incarcération dans l’hôpital militaire 601 de Mazzeh, à Damas.
Le 8 septembre, dans un hôpital de Homs, les exécuteurs des basses œuvres du régime arrêtaient dix-huit blessés, dont cinq se trouvaient en salle d’opération. Cette pratique est courante depuis des mois : de l’hôpital, les manifestants blessés sont kidnappés et transférés dans des prisons et autres postes de police où ils sont torturés. Cette terreur banalisée révèle, de manière tangible et sinistre, la nature du pouvoir. Un pouvoir irréformable.
Une haine légitime
La détermination et le courage de celles et ceux qui défient ce pouvoir despotique, criminel et corrompu s’enracinent dans la haine légitime que suscitent les multiples humiliations subies durant de nombreuses années. Les tirs des troupes dites spéciales, les matraquages les plus brutaux, les arrestations massives, les maisons envahies et pillées, la torture, les agressions des voyous assassins au service du régime, tout cet appareillage répressif n’arrive pas à briser la hardiesse d’une population, dont 55% a moins de 25 ans. Cela traduit la profondeur du rejet populaire de cette tyrannie ainsi que l’abysse qui sépare cette autocratie d’un peuple qui est devenu, pour elle, une simple cible vivante.
Le terrorisme d’Etat, sans cesse accru, est la seule politique que connaît le régime de Bachar el-Assad. Toutes les promesses de «réformes» ou «d’arrêt des opérations militaires et policières», faites lors d’entretiens caricaturaux sur la télévision d’Etat ou en réponse à de tardives imprécations du secrétaire de l’ONU, Ban Ki-moon, relèvent de la stricte intoxication propagandiste.
Les crimes quotidiens démentent plus que jamais ce genre d’annonces, y compris celles émises, le 10 septembre, face au récent secrétaire général – Nabil al-Arabi – de la pleutre Ligue arabe. Une Ligue arabe dont les membres sont, en quelque sorte, ébranlés par la puissance et la résilience de cette lutte populaire anti-dictatoriale.
A cela s’ajoute le récent choix politique de Bachar el-Assad. Il a réuni dans son proche entourage les plus fervents spécialistes de la répression qui furent au service de son père Hafez el-Assad: Ali Doba, ancien responsable des services d’intelligence militaire, et Muhammad Khouli, ex-directeur de l’intelligence des forces aériennes.
La force d’une mobilisation pacifique
Un soulèvement populaire de cette dimension, face à un pouvoir qui utilise toutes les armes à sa disposition pour tenter de le briser, nécessite une certaine organisation et une grande intelligence collective.
Le réseau des Comités locaux de coordination n’a cessé de se développer, d’abord dans les régions plus périphériques, où la crise sociale et économique était plus aiguë et où l’infiltration policière était plus difficile, car les personnes se connaissent mieux. Si l’essor du mouvement a été plus limité à Damas et à Alep, ce n’est pas seulement parce que le régime y dispose d’une base et d’une clientèle plus nombreuse. Mais aussi parce que sont plus aisées les opérations combinées de la police comme de l’armée, ainsi que les initiatives des infiltrations policières, s’appuyant sur un grand nombre de sbires, plus «anonymes».
Toutefois, le nombre de manifestations – y compris de «manifestations volantes», plus difficiles à réprimer – s’est accru. Ce qui traduit l’expansion de la contestation radicale du régime. Les arrestations et la répression pour faire exemple – des personnes arrêtées et torturées sont libérées, «sous surveillance», afin de susciter l’effroi dans leur entourage large – n’ont pas réussi à briser la volonté de celles et ceux qui ne cessent, avec une bravoure extraordinaire, à réclamer le départ du clan Assad et de ses complices.
Quant à l’intelligence collective, elle trouve son expression dans la façon dont les Comités locaux de coordination, le 29 août 2011, a pris position contre les velléités de certains de prendre les armes ou de réclamer une intervention militaire extérieure. La prise de position (publiée sur le site Jadaliyya le 31 août 2011) de la Coordination s’articule autour des arguments suivants:
• «On peut comprendre les raisons» de tels appels, mais «nous rejetons cette position car nous la trouvons inacceptable aux plans politique, national et éthique.» De plus, une telle option «affaiblirait le soutien populaire et la participation dans la révolution». La «militarisation» augmenterait la «catastrophe humanitaire dans l’affrontement avec le régime». Et cela placerait la révolution sur un terrain plus favorable au régime et «réduirait la supériorité morale» acquise par la révolution depuis son début.
• L’exemple de la première Intifada (initiée en décembre 1987) en Palestine est pris comme référence, en opposition à la seconde Intifada «militarisée». Puis la déclaration affirme: «Il est important de noter que le régime syrien et l’ennemi israélien utilisent les mêmes instruments face aux deux soulèvements.»
• «L’objectif de la révolution syrienne ne se limite pas à renverser le régime. La révolution vise aussi à construire un système démocratique et des institutions nationales qui sauvegardent la liberté et la dignité du peuple syrien.»
• « La méthode utilisée pour renverser le régime est une indication de ce que le régime futur de la Syrie sera. Si nous maintenons des manifestations pacifiques, qui intègrent nos villes et nos villages de même que nos hommes, nos femmes, nos enfants, la possibilité d’une démocratie dans notre pays sera beaucoup plus grande. Si un affrontement militaire ou une intervention militaire prennent forme, il sera quasi impossible d’établir les fondements légitimes pour l’avenir d’une Syrie dont nous pourrons être fiers.»
Des fêlures à la périphérie du régime
L’ampleur et la durée de ce combat populaire et pacifique commencent à troubler des soldats. Les désertions commencent. Début septembre, une chasse aux soldats déserteurs a été conduite dans la localité de Khan Cheikhoun, qui se trouve à 50 kilomètres de Hama; la ville martyre en 1982 (Hafez el-Assad y a fait massacrer quelque 20’000 habitants) et dont la population a été bombardée ces derniers mois.
Au moins huit soldats ont été exécutés à Al Kiswah (à 13 kilomètres de Damas) et dans la localité proche de Zabadani parce qu’ils refusaient de tirer sur la population. Le 9 septembre, dans le nord du pays, sept soldats ont été exécutés parce qu’ils ont voulu déserter et rejoindre le soulèvement.
Certes, pour l’heure, le noyau dur des forces répressives n’est pas troublé. Ce genre de corps social vit – si l’on peut dire – de la répression et des opérations de pillage économique propres à ce type d’appareil étatique.
En fait, les massacreurs du régime espèrent que sous l’effet de la véhémence répressive le désespoir et la rage poussent des fractions militantes à prendre des armes. Cela conduirait à un énorme bain de sang et à un échec de la révolution démocratique.
La démission du procureur général de Hama, Adnan Mohammed Bakkor, est un autre indice de fêlure de l’administration et une confirmation de l’ampleur des tueries. Dans un communiqué du «Comité des juristes syriens pour la liberté» sont mentionnées les raisons de ce renoncement : les tueries dans la prison; l’enfouissement anonyme dans une fosse commune, située dans un parc public de Hama, de 420 cadavres ; la torture ayant conduit à la mort de 320 personnes. Les juristes demandent aux «membres des institutions judiciaires d’inscrire en lettres de feu leur nom sur les pages du combat du peuple pour la liberté en faisant appel à leur conscience». Puis, ils sollicitent que le maximum d’informations sur les crimes du régime soient divulguées (Jadaliyya, 4 septembre 2011).
Un objectif: renverser la dictature
Le 15 septembre 2011, à Istanbul, un nouveau Conseil national syrien a été créé. Il se compose de 140 membres, dont 70 sont présents en Syrie. Il vise à unifier toutes les composantes de l’opposition et réclame «la chute du régime avec toutes ses ramifications». Il semble que les exigences de ceux qui mènent le combat dans le pays soient mieux prises en compte que lors des initiatives passées. Une des figures de cette instance est Burhan Ghalioum, en exil à Paris. Il se prononce pour «la formation d’un cadre politique unifié représentatif de tous les courants politiques et populaires qui puisse représenter la révolution syrienne et coordonner ses actions nationales et internationales».
Plus un régime est répressif, plus s’affirme la nécessité d’une vaste alliance sociale et politique afin de gagner la première étape d’une révolution démocratique: le renversement de la dictature. La semi-paralysie économique mine le régime. Selon Buhran Ghalioum: «Damas est perdue pour le régime. Les hommes d’affaires commencent à s’en dissocier… Damas va passer par toutes les étapes qu’ont connues les villes moyennes… où les habitants sont acquis à la révolution, quels que soient leur confession et leur milieu social.» (Le Monde, 1er septembre 2011)
Les manœuvres de diverses puissances impérialistes et régionales pour canaliser la révolution démocratique en cours se multiplient. Pour accroître la possibilité que les couches militantes jeunes les plus actives en Syrie puissent prendre leur destin en main, la solidarité internationaliste active et continue, la plus ample, constitue un élément important. (16 septembre 2011)
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