Par Agnese Marra
Le gouvernement de Rousseff se désagrège après l’établissement de son lien direct avec le scandale de la firme nationale d’hydrocarbures, Petrobras.[1] Non seulement son équipe s’est vue affectée par le scandale, mais l’ex-président Lula aussi. Pendant ce temps, le sentiment anti-politique(s) monte dans les rues et un chemin s’ouvre pour que de nouveaux messies sauveurs de la patrie tentent de prendre le relais.
La semaine dernière, le gouvernement de Dilma Rousseff a subi l’un des plus grands revers de son second mandat. Le dimanche 13 mars, des manifestations de masse ont clairement exprimé qu’elles voulaient sortir la présidente du pouvoir. Le mardi, les déclarations de Delcidio Amaral, ex-représentant du PT au Sénat, ont fourni les raisons qui manquaient pour que les rues soient maintenant plus proches de leur objectif [la procédure de destitution de Dilma Rousseff].
Pour la première fois la présidente a été directement mise en cause dans le scandale de l’Opération Lava Jato (littéralement Kärcher) [2], accusée par son camarade de parti [Delicidio Amaral] de faire obstruction à l’enquête en cours et de lui offrir de l’argent à travers l’ex-premier ministre Aloizio Mercadante [un des fondateurs du PT en 1980, vice-président du Parti des Travailleurs (PT) de 1991 à 1999, ministre dans divers postes puis a occupé la fonction de ministre de la Casa civil, un centre du pouvoir, aux côtés de la présidence, du 3 février 2014 au 1er octobre 2015] pour qu’il ne dénonce pas les directeurs des deux entreprises du bâtiment soupçonnés.
On dit à Brasilia qu’en apprenant cela Dilma est restée sans voix et, après quelques minutes, a décidé de convoquer une réunion d’urgence avec ses ministres les plus proches pour chercher des issues possibles à une crise politique d’où personne ne pouvait sortir indemne.
La leader de l’exécutif n’a été qu’une pièce de plus parmi celles qui sont tombées après qu’ait été rendue publique la déclaration de Amaral devant le Ministère Public Fédéral. Le président du Sénat, Renan Calheiro (PMDB), le Vice Président, Michel Temer (PMDB), Aecio Neves (PSDB), Lula da Silva [nommé à la Casa Civil le 17 mars, en prenant la place de Jacques Wagner, en poste depuis le 2 octobre 2015, pour lui assurer une immunité momentanée] et le groupe sénatorial du PMDB dans son entier, allié du gouvernement au Sénat, ont été quelques-unes des personnes accusées par l’ex-sénateur du PT [Delicidio do Amaral étai sénateur de l’Etat du Mato Grosso do Sul] de divers délits liés au scandale de Petrobras.
Le Procureur général de l’Etat a annoncé qu’il étudierait les accusations de Delicidio et qu’il prendrait une décision concernant la poursuite des investigations concernant Rousseff. Par rapport à l’autre douzaine d’accusés, on ne sait pas encore quel sera le rôle du juge Sergio Moro.
Ses prochaines décisions répondront à la question que la gauche et une partie du pays se posent en ce qui concerne la véritable intention du magistrat: s’agit-il pour lui de lutter contre la corruption ou bien de persécuter Lula et le Parti des Travailleurs. Ceci d’autant plus que maintenant, par décision de justice, Moro sera chargé non seulement des investigations relatives au scandale Petrobras, mais aussi de celles qui relèvent des accusations qui pèsent sur Lula. [Beaucoup d’analystes pensent simplement que, étant donné l’éventail des mises en accusation, le juge Moro représente plus une nouvelle génération de juges, moins liés aux appareils politiques. Il rompt de la sorte avec une «tradition» juridico-politique qui a marqué l’histoire du Brésil. A l’Encontre]
Ministère
Pour l’ex-président Lula la semaine ne fut pas moins intense. De même que celle qui lui a succédé, il est devenu la cible des manifestations du dimanche 13 mars 2016 qui ont fêté la demande de son incarcération préventive qui avait été rendue publique quelques jours auparavant. Une grande partie même du succès de ces mobilisations est attribuée au siège policier établi devant la résidence de Lula les jours antérieurs à l’événement.
Lundi dernier, l’ex-syndicaliste [Lula] a été convoqué pour interrogatoire devant la Police Fédérale de São Paulo afin d’éclaircir des informations relatives au camouflage d’appropriation de biens grâce à des prête-noms, concrètement un appartement dans la station balnéaire de Guaruja et une maison de campagne à l’intérieur de l’Etat de São Paulo. Les deux biens ont été rénovés par des entreprises du bâtiment inculpées dans l’enquête Lava Jato. Même si l’ex-président assure n’être le propriétaire d’aucun des deux, la Police Fédérale n’a aucune confiance dans cette version. Le même jour était rendue publique la déclaration de la juge qui évaluait la demande du procureur de São Paulo d’incarcération de l’ex-mandataire. La magistrate préférait ne pas s’en mêler et passait l’affaire au juge Moro, sous le prétexte qu’il s’agissait de la même affaire dont son collègue avait la charge.
Le fait que Moro puisse être celui qui allait juger Lula a remis sur le tapis l’idée que Dilma offre à nouveau un ministère [Casa Civil] à son parrain politique. Dès que la Police Fédérale s’est rendue à la maison de l’ex-président, le vendredi 4 mars, la leader de l’exécutif a planifié cette stratégie pour faire d’une pierre deux coups. D’un côté, celui qui avait été le président le plus populaire du Brésil pourrait l’aider à négocier et à chercher des alliés et, de l’autre côté, Lula éviterait ainsi d’être jugé par Moro [étant donné l’immunité que lui donne cette fonction de ministre de la Casa civil].
Cela n’amusait pas beaucoup l’ex-mandataire que l’on puisse penser qu’il voulait échapper ainsi à la justice et au juge de Curitiba: «Je n’ai pas besoin de cela, je sais me défendre seul», a-t-il répété à divers membres de son parti. Une aile importante du PT a pensé que, de toute manière, Lula serait fondamental dans la phase actuelle et qu’il faut tout faire pour le préserver. Leonardo Boff [théologien de la libération mis au ban de l’Eglise, mais ayant dérivé politiquement – A l’Encontre] lui-même, très critique avec le gouvernement Rousseff, lui a écrit une lettre lui demandant d’accepter la charge de ministre «pour éviter que tous les acquis soient perdus d’un simple trait de plume».
Dilma l’a assuré qu’il pourrait choisir le ministère qui l’intéresse le plus. L’équipe de ministres du PT lui a communiqué aussi qu’ils lui céderaient leurs postes les yeux fermés, sachant que celui de chef de la Maison Civile (équivalent de premier ministre) et celui du secrétariat du gouvernement, sont les uniques postes qui pourraient réellement l’intéresser. Il a choisi la Maison civile (Casa Civil do Brasil) ainsi que cela a été annoncé le mercredi.
Hier jeudi, 17 mars 2016, Lula a assumé la charge, mais peu de temps après un autre juge, cette fois-ci de Brasilia, a freiné cette nomination par une mesure préventive. Dilma a parlé à nouveau de «coup d’Etat», le gouvernement a fait appel de la décision du juge et le bal va continuer.
Tout au long de la semaine, l’ex-métallo s’est réuni à plusieurs reprises avec le Président du Sénat fédéral, Renan Calheiros, pour s’assurer de son appui inconditionnel dans le cas où il accepte l’offre de la Présidente. Les réponses de Calheiros [député depuis 1979, sous la dictature, sénateur de l’Etat d’Alagoas depuis 1995, ministre de la Justice d’avril 1998 à juillet 1999, sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso], lui aussi soupçonné dans l’affaire du Lava Jato, ont été vagues car la majorité de son parti (le PMDB) veut rompre définitivement avec un gouvernement «grillé».
Lors de sa dernière assemblée, tenue le samedi 12 mars, le PMDB a décidé d’interdire à ses militants d’accepter tout poste gouvernemental, quel qu’il soit, durant les prochains 30 jours, date à laquelle il déciderait s’il s’écarte une fois pour toutes de l’équipe Rousseff.
Quand le thème était en discussion, il a été avancé que si Lula acceptait de faire partie du gouvernement, il éviterait que Moro le poursuive et que son cas passerait aux mains du Tribunal suprême, où il serait jugé en dernière instance. Quelques juristes ont argumenté que cela bénéficierait à l’ex-président car la majorité des juges du Tribunal Suprême ont été nommés par Dilma et par Lula lui-même. D’autres ont argumenté le contraire: «Ce serait un jugement plus rapide et la sentence serait définitive sans possibilité de faire appel. En plus, tout le cas est très médiatisé et il y a beaucoup d’opinions qui se sont déjà définies en la matière» a commenté le professeur de droit constitutionnel de la PUC (Université catholique) de São Paulo, Pedro Serrano, sur la BBC Brésil.
Indépendamment des avantages ou des désavantages judiciaires, l’aspect symbolique apparaissait en principe comme le plus important aux yeux de l’ex-président: «J’ai travaillé beaucoup pour ce pays pour que l’on croie maintenant que je fuis la justice», a-t-il dit à Dilma au cours d’un dîner à Brasilia, mardi dernier, 15 mars. Le siège policier autour de Lula et une possible demande d’incarcération de la part de Moro ont été évoqués aussi comme des menaces réelles. La professeure et sociologue Esther Solano plaisantait ainsi dans la revue Carta Capital: «Dans mes cours nous en avons parlé, ou le juge Moro envoie Lula en prison, ou il le fait président en 2018.»
L’anti-politique(s) dans les rues
Cette idée de la sociologue espagnole a été très entendue lors des manifestations dimanche dernier. Pedro de Albuquerque disait avec irritation: «Il faut l’envoyer en prison, si on ne l’arrête pas maintenant, ils vont l’élire à nouveau président». La préoccupation de ce chef d’entreprise de 57 ans, c’est celle qu’a exprimée une grande partie des manifestants qui ont parcouru l’Avenue Pauliste [le boulevard central] de São Paulo.
La demande d’incarcération de Lula avait mis le feu aux poudres et il semblait que le rêve d’une grande partie de la population pouvait devenir réalité. Les mannequins à l’effigie de Lula derrière les barreaux n’ont pas manqué, y compris une performance sur un camion portant deux personnes encagées avec les masques de l’ex-président et de celle qui lui a succédé. Dilma. Les deux ont été désignés comme étant la cause de tout le mal dans le pays, comme les inventeurs et bénéficiaires de la corruption.
Cette idée a été transmise par une grande majorité de la classe moyenne élevée, blanche, dotée d’un haut niveau de scolarisation et âgée entre 35 et 60 ans. On ne peut pas nier que l’élite pauliste a eu un rôle en pointe dans cet événement où se sont répétées les demandes de selfies avec les forces de police, les coupes de champagne, et la coexistence normalisée aux côtés des skinheads et groupes pro-dictature. Mais il y a eu aussi des jeunes, et même quelques personnes très humbles, comme la balayeuse Eunice de Silva, qui assurait que Dilma devait laisser le gouvernement, mais qui nuançait: «Si Lula se présentait à nouveau, je voterais encore pour lui.»
Ces protestations aussi nombreuses (3,5 millions de personnes dans tout le pays) sont sûrement les plus complexes à analyser. S’il y a quelque chose qui a prédominé, en plus des couleurs vert-jaune, couleurs du drapeau brésilien, déjà uniformisé dans ce type d’événements, ce fut le sentiment patriotique de «sauver le pays» et la victoire de l’anti-politiques: «Il n’y en a pas un [des politiques] qui serve à quelque chose»; «Ce sont tous des voleurs» et «Dilma doit tomber mais on ne sait pas qui vient après; aucun ne nous plaît» furent les slogans les plus répétées.
Dans ce contexte le juge Moro apparaissait comme un héros national, comme le sauveur de la patrie corrompue par les politiques et des T-shirts portant le visage imprimé du magistrat s’additionnaient aux slogans anti-Dilma.
Mais le discours des manifestants s’accordait pour attaquer aussi les conquêtes sociales, même limitées, pour lesquelles le PT a obtenu une réputation internationale. Beaucoup, parmi les personnes interrogées par les moyens de communication, assuraient au cours des manifestations, être contre les «Allocations sociales-Bourse familles», contre les quotas réservés aux noirs dans les universités. Ils répétaient: «Cette histoire des Droits humains c’est pour les voleurs, les feignants, nous n’en voulons pas dans notre pays». Avec ces raisonnements on ne peut pas s’étonner que l autre héros des manifestations ait été le député Jair Bolsonario [il a passé dans de nombreux partis, actuellement Parti progressiste, il est élu de Rio de Janeiro depuis 1991], un ex-militaire [capitaine des parachutistes sous la dictature, il s’est prononcé pour la torture, la peine de mort, la dictature], évangélique, homophobe, qui en est arrivé à déclarer à l’ex-ministre des Droits humains, Maria do Rosario, qu’il «ne la violait pas parce qu’elle ne le méritait pas». Effectivement, quand on demandait aux gens quels étaient les possibles candidats pour les présidentielles de 2018 le nom de Bolsonario apparaissait en bonne position.
Une autre nouveauté des protestations a été le rôle des grands chefs d’entreprise dans les manifestations. Pas seulement la Fédération de l’Industrie de São Paulo, qui, depuis quelques mois, est devenue la principale promotrice des actes anti-Dilma. Cette fois aussi une chaîne d’alimentation brésilienne (Habib’ s) [servant des «plats du Moyen Orient, avec 467 points de vente] s’est ralliée ainsi que l’Association de Médecine du Brésil qui, quelques jours auparavant, avait annoncé dans divers journaux sa participation à la manifestation du 13 mars.
Les politiques aussi ont été présents plus que jamais, mais ils n’ont pas obtenu le succès espéré. A São Paulo, tant le gouverneur, Geraldo Alckmin (PSDB) que Aecio Neves, du même parti, ont été sifflés et accusés aussi de corrompus [3]. Les semaines à venir seront importantes. (Traduction A l’Encontre; publié le 18 mars dans l’hebdomadaire uruguayen Brecha)
Agnese Marra est correspondante de l’hebdomadaire Brecha de São Paulo
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[1] Le scandale Petrobras. Le juge de Curitiba Sergio Moro, spécialiste du blanchiment d’argent, a prouvé que la firme nationale d’hydrocarbures Petrobras était «victime depuis des années de surfacturations au profit d’un cartel d’entreprises du bâtiment. Celles-ci versaient en contrepartie des commissions allant de 1% à 3% des contrats aux cadres de Petrobras et aux dirigeants des partis de la coalition gouvernementale, permettant l’enrichissement personnel de certains, mais aussi pour le financement illicite des campagnes électorales.» Etre élu assure un revenu opulent au Brésil. Celle qui a permis l’élection de la présidente Dilma Rousseff est dans la ligne de mire du juge. (Rédaction A l’Encontre)
[2] Opération Lava Jato: l’enquête baptisée Lava Jato (littéralement Kärcher, rapport aux systèmes de nettoyage de voitures, entre autres), inspirée du Mani pulite («Mains propres») en Italie, a conduit à l’emprisonnement et à la condamnation de hauts cadres du Parti des Travailleurs comme le trésorier du parti, Joao Vaccari, mais aussi de patrons de grandes entreprises, les principales du Brésil, comme le banquier d’affaires André Esteves, l’un des plus riches du pays ou la condamnation de Marcelo Odebrecht, l’héritier du géant du BTP brésilien. C’est dans ce cadre-là que Lula a été amené de force au commissariat de l’aéroport de Congonhas à São Paulo pour répondre aux questions de l’instruction. Le juge utilise aussi la méthode des dénonciations dont certaines viennent de l’ex-représentant du PT au Sénat, Delcidio Amaral, incarcéré deux mois avant et aujourd’hui en résidence surveillée. (Rédaction A l’Encontre)
[3] Nous reproduisons ci-dessous l’essentiel d’un article de José Maria de Almeida, dit Zé Maria. Il fut un des fondateurs du PT et de la CUT (Centrale Unique des Travailleurs), en tant que dirigeant ouvrier dans la métallurgie. Il est aujourd’hui membre de la direction de Conlutas-Central Sindical y Popular et de la direction du PSTU (Parti socialiste des Travailleurs Unifié: «Le PT a gouverné le pays pendant treize ans. Il le sait et est complice de tout ce qui est. Voir, par exemple, la loi «antiterroriste» proposée par le gouvernement PT et approuvée par le Congrès visant à augmenter encore la répression contre ceux qui luttent pour leurs droits. L’alliance du PT avec les grandes firmes, voilà la première explication pour tout cela. Le PT et Lula ont tourné le dos aux travailleurs et ont fait des alliances avec les banquiers, les patrons du BTP et les chefs d’entreprise pour gouverner le Brésil. Ils ont mis de côté les luttes des travailleurs pour gouverner avec un Congrès national plein de corrompus et il continue. Le PT a continué à gouverner pour les banques et les grandes entreprises, et non pour les travailleurs. Le PT, Lula et ses campagnes électorales ont été financés avec l’argent des grandes entreprises. En faisant ce choix, le PT et Lula ont également déterminé les conséquences qui pouvaient en découler. Lula ne connaissait-il pas les patrons du BTP qui versaient 20 ou 30 millions de reais pour financer sa campagne? N’allaient-ils pas demander quelque chose en retour? Pour quelle raison Lula estimerait-il qu’un entrepreneur, qui a amassé sa fortune «en cassant le dos des travailleurs», rechercherait son «amitié» à tel point de lui faire des «cadeaux»? Les travailleurs et travailleuses doivent tirer les leçons de tout cela. Le PT est dans cette situation parce qu’il a perdu l’indépendance que toutes les organisations de salarié·e·s devraient avoir face à des employeurs. Il a mis de côté les intérêts de notre classe, de notre lutte, pour s’allier avec les grandes entreprises. Il a gouverné avec eux et pour eux. Aujourd’hui, nous voyons ce que nous avons donné. Nous avons besoin de construire un nouveau socialisme, un parti révolutionnaire qui se batte pour les travailleurs et travailleuses afin qu’ils/elles gouvernent le Brésil. Pas avec les banquiers et les grandes entreprises, mais contre eux. Pas avec ce Congrès national corrompu, mais à travers des conseils populaires, soutenus par la lutte des salarié·e·s et des pauvres. Seulement alors notre vie va changer.»
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