Par J.C., in Le Canard enchaîné
du 3 décembre 2014
Les industriels de l’armement n’ont pas fait seulement le siège de l’Elysée pour que les deux gros navires de type Mistral soient remis aux Russes. Ils ont notamment fait remarquer à François Hollande que Nicolas Sarkozy, à l’instar de plusieurs hommes politique de droite et de gauche, s’était déclaré favorable au respect de ce contrat, signé pendant son règne. Plus grave, selon eux, la «suspension» de cette livraison porte préjudice à la «bonne image de marque de la France». Laquelle, comme on le sait, a vendu de tout temps des armes à qui en voulait, même aux plus méchants dictateurs. En résumé, ces fabricants de quincaillerie militaire – avions, hélicos, navires, blindés, missiles, canons, etc. – craignent que leurs clients ne renoncent à signer de futurs contrats, de peur d’être ensuite traités comme de vulgaires Poutine.
Message reçu. Les 25 et 26 novembre, Jacques Le Drian, le ministre de la Défense, devenu patron «du service avant-vente» d’armes, a entamé une tournée mondiale à Varsovie. Il y a rencontré son homologue Tomasz Siemoniak, avec, en tête, le budget de «plus de 10 milliards d’euros», selon un expert militaire, que la Pologne entend consacrer à l’acquisition d’armements modernes. Mais la concurrence américaine, italo-britannique ou allemande est rude face aux propositions françaises: hélicos Caracal, batteries antiaériennes Aster et sous-marins de type Scorpène. Aussi Hollande et Le Drian ont-ils mis le paquet pour séduire le gouvernement de Varsovie. Des blindés français ont participé, cet été, à des manœuvres polonaises, et, durant plusieurs semaines, quatre Rafale ont été envoyés en mission amicale dans les Etats baltes, eux aussi inquiets dès que leur voisin Poutine fronce les sourcils.
Vengeance à la russe
Mais la Pologne n’est pas le seul client à choyer. Il faut agir vite. Le Drian est arrivé le en Inde 1er décembre, et il prévoit de se rendre bientôt en Arabie saoudite, puis dans les Emirats arabes unis. Et de leur chanter à tous la même chanson: «Nos concurrents vous disent que la France n’est pas fiable. C’est faux, nous respectons nos contrats.» L’enjeu est de taille. Des négociations sont en cours avec ces trois excellents clients pour la vente de quelque 180 Rafale, de plusieurs navires de guerre et des systèmes de défense antiaérienne par centaines.
L’Inde est un marché crucial pour Dassault, qui, depuis trois ans, y négocie la vente de 126 Rafale – 18 produits en France et 118 assemblés sur place. Un bon point pour l’avionneur: ses concurrents américains (F-16 ou F-17) et européens (le Typhoon) ont été écartés au profit du seul Rafale. Mais les Indiens sont durs en affaires. Ils demandent que Dassault accorde sa «garantie» aux 118 Rafale fabriqués dans leurs usines de Hindustan Aeronautics Ltd, puis autorise celles-ci à en produire d’autres et à les exporter en Asie, grâce au transfert de technologie que leur accorde l’industriel français.
Dassault n’ pas encore gagné. Et d’autant moins que, au début de l’année, les Russes sont entrés dans la danse. Ils proposent aux Indiens 144 exemplaires de leur très moderne Sukhoi T-50, plus lourd que le Rafale, avec moins de transferts de technologie que ceux consentis par la France. Mieux, les négociateurs de Moscou «écrasent» les prix: 144 Sukhoi pour 6 milliards de dollars, alors que les 126 Rafale valent, selon le contrat Dassault, environ 12 milliards. Le double…
Autre malheur: l’indécision de New Delhi a réveillé l’appétit des concurrents américains et européens de Dassault, qui, de nouveau, font la cour aux responsables indiens. Et, comme si cela ne suffisait pas, le 20 novembre, Alexander Kadakim, ambassadeur de Poutine à New York, s’en est pris publiquement à notre bel avion: «Si les Rafale devaient affronter des avions pakistanais ou chinois, ils seraient dégommés comme des moustiques une nuit d’août.»
C’est à croire qu’il y a du Mistral dans l’air, jusqu’en Inde…
***
Générosité du roi d’Arabie
Gros soupir de satisfaction au ministère de la Défense. La France va pouvoir livrer pour 3 milliards de dollars d’armes à l’armée libanaise (blindés, missiles, canons, hélicos, etc.), et contribuer à la formation de ses combattants.
La signature de ce contrat, financé par l’Arabie saoudite, traînait depuis un an, pour des raisons diverses, et, de plus, les émissaires du roi Abdallah craignaient que des intermédiaires ne se remplissent les poches au passage. Mais la visite à Téhéran, le 18 octobre, du ministre libanais de la Défense et du chef d’état-major Kahwaji a affolé les Saoudiens, qui ne peuvent pas voir les chiites iraniens, même en peinture. D’autant que ces derniers ont, à cette délégation libanaise, promis d’offrir gracieusement toutes les armes qu’elle souhaitait.
Résultat: le contrat saoudien avec la France a été illico signé. Grâce à l’Iran…
Soyez le premier à commenter