Début septembre, le ministre du Travail Abou Aita, ancien dirigeant de la confédération des syndicats indépendants, indiquait que quelque 4300 entreprises avaient fermé leurs portes au cours de l’année précédente. Il se fondait, pour avancer ce chiffre, sur une estimation d’une ONG qui consacre son expertise à l’examen de la situation des entreprises et des conditions de travail. Il s’agit du Centre for Trade Union and Workers Services (CTUWS). L’enquête portait sur une analyse ayant trait à la situation des principales villes industrielles de l’Egypte. Une donnée plus récente, officielle, indiquait que quelque 700 entreprises demandaient une aide financière à l’Etat pour ne pas faire faillite. Ces quelques chiffres reflètent l’explosion du chômage en Egypte qui s’articule avec l’emploi dit informel dont nous avons donné un aperçu dans l’article publié sur ce site en date du 25 septembre (se référer pour disposer de la liste des articles consacrés à l’Egypte à la liste des articles par catégorie, liste disponible au haut de la homepage).
Les licenciements pour des dites raisons économiques s’ajoutent à ceux liés aux activités syndicales rattachées à la structure syndicale non contrôlée par le gouvernement. Ainsi, le 1er octobre, l’avocat du travail et militant des Socialistes révolutionnaires Haitham Mohamedain publiait un article ayant trait à la répression subie par des travailleurs qui se rendaient au siège du syndicat officiel (ETUF) pour y réclamer un dédommagement de 500 livres égyptiennes qui leur avait été promis par le ministre du Travail Kamal Abou Aita. Ils furent physiquement attaqués par des responsables de l’ETUF. De suite, ils ont occupé les locaux du Ministère du travail. Ces travailleurs avaient été licenciés des entreprises suivantes: Kabu [textile], Alexandria Cement, Petrojet, Cadbury et Shibin Spinning (textile). Abou Aita leur avait promis ce dédommagement en attente de leur réintégration qui reste à être concrétisée.
A la question de l’emploi s’ajoute le problème urgent du pouvoir d’achat. Le taux d’inflation officiel en septembre était de 10,9%. Un niveau bien inférieur à celui qui frappe effectivement les couches populaires, car les biens de consommation les plus élémentaires (légumes et fruits) connaissent une hausse incontrôlée. Et les «mesures» proclamées par le gouvernement relèvent de la rhétorique et non d’une pratique effective. Ce qu’indique très concrètement l’article de Marwa Hussein publié ci-dessous. Dans ce contexte, on peut comprendre la déclaration récente du dirigeant des syndicats indépendants (EFITU), Malek Bayoumi: «J’avertis le gouvernement. S’il ne tient pas compte des demandes ouvrières […] il y aura une troisième révolution ouvrière – dans les usines, contre le gouvernement, partout.» Il s’agit d’un avertissement et non pas d’un jugement sur la conjoncture. Toutefois, il rappelle que la question sociale reste au centre de l’agencement socio-politique en Egypte, au-delà du renforcement présent du pouvoir militaire. C’est d’ailleurs face à cette situation qu’avec sagesse politique s’est constitué un front se nommant Front du chemin révolutionnaire réunissant le Front Démocratique du 6 avril, le Mouvement de la jeunesse du 6 avril, Le Parti de l’Egypte Forte, les Socialistes révolutionnaires, le mouvement de jeunesse de Justice et Liberté, et un certain nombre de personnalités révolutionnaires. (Rédaction A l’Encontre)
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Par Marwa Hussein
Le 27 septembre 2013, le gouvernement a mis en œuvre un système de fixation des prix des fruits et légumes: des prix indicateurs ont été annoncés pour toute la semaine. Dorénavant, tous les jeudis, un comité regroupant des responsables des ministères de l’Approvisionnement et de l’Agriculture ainsi que des représentants des commerçants fixera les prix de vente au consommateur pour la semaine.
Dans la première liste publiée, les prix varient au sein d’une fourchette de 50 piastres par kilo pour la majorité des légumes. Par exemple, le kilo de tomates est fixé à une fourchette allant de 1,5 L.E. à 2 L.E (19 centimes à 26 centimes de CHF), le prix des haricots verts va de 4,5 L.E. à 5 L.E.(quelque 59 centimes à 65 centimes de CHF), etc.
Le gouvernement compte très fermement appliquer sa décision: si les prix indicateurs ne sont pas respectés, le ministre de l’Approvisionnement et du Commerce intérieur, Mohamad Abou-Chadi, imposera alors des prix obligatoires. Le ministre, qui dirigeait autrefois le département des investigations et des contraventions relatives à l’approvisionnement, au ministère de l’Intérieur, a déclaré que les contrevenants risquaient une amende allant jusqu’à 2000 L.E. (261 CHF) et une peine de prison d’un à 5 ans.
Mais au lendemain de l’entrée en vigueur du nouveau système, les prix de gros et de détail n’étaient pas encore conformes à la liste. Ils sont restés plus élevés. Par ailleurs, aucun inspecteur du ministère ne s’est rendu sur les marchés (lire article ci-dessous). Les marchands trouvent que la décision ministérielle est inappropriée. «En raison de leur nature volatile, il est difficile de fixer les prix des légumes et des fruits», prétend Ahmad Chiha, président de la division des importateurs de la Chambre de commerce du Caire. Les prix sont fixés quotidiennement par une bourse spécialisée en fonction de l’offre et de la demande.
Sur les marchés de gros, des enchères ont lieu tous les jours pour la vente de lots de légumes. Celles-ci servent d’indicateurs pour les prix des denrées vendues hors enchères. La fixation des prix des fruits et légumes suit donc «strictement» la loi de l’offre et de la demande. «Une vague de chaleur ou une moisson insatisfaisante peuvent changer les prix de certains produits du jour au lendemain», ajoute Ahmad Chiha.
Le gouvernement, pourtant, n’entend pas toucher aux mécanismes fondamentaux du marché. La décision prise il y a quelques jours ne concerne que les marchands de détail, mais pas les agriculteurs, les entreprises, ni les marchands de gros. Les «marchands de détail ont exagéré les prix», s’emporte Mahmoud Diab, porte-parole du ministère de l’Approvisionnement. «La hausse récente est injustifiable. On ne peut pas laisser les consommateurs être la proie des commerçants.» D’après lui, l’inflation des prix des produits alimentaires est plus élevée que celle des autres produits de consommation, soit 14 % contre 10,9 %.
Mais comment surveiller des millions de petits commerçants, dont la plupart travaillent dans l’économie informelle, pour vérifier qu’ils appliquent les prix indiqués? Pour de nombreux spécialistes, c’est presque impossible.
Commerçants et experts estiment que si le gouvernement persiste, un marché parallèle sera créé. Certains affirment que le gouvernement aurait dû promouvoir la création d’autres marchés, où les commerçants offriraient des produits de moindre qualité, mais conformes aux prix indicateurs. «Les prix des fruits et des légumes varient considérablement selon la qualité, la distance de livraison et les frais du marchand, reprend Ahmad Chiha. Un vendeur qui dispose d’un magasin a des dépenses plus élevées qu’un marchand ambulant. Or, la marge laissée aux commerçants est trop étroite».
Au fond, la décision ministérielle ne résout pas le problème fondamental de l’agriculture, à savoir l’augmentation considérable des coûts de production, due à la libéralisation des loyers (de la terre) et à la hausse des prix des engrais et fertilisants au cours des deux dernières décennies.
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Les grossistes étranglés par les détaillants? Une farce
Au lendemain de la fixation par le gouvernement des prix indicatifs des fruits et légumes pour les commerçants de détail, sur les marchés rien n’a changé. Dans un petit marché de légumes et fruits à Kitkat, dans le quartier d’Imbaba au Caire, les prix de plusieurs denrées sont plus élevés que ceux décidés par le gouvernement. Un kilo de pommes de terre se vend entre 6 et 7 L.E. (entre 78 centimes et 91 centimes de CHF) contre 4,75/5,25 L.E. indiquées par le gouvernement. Un kilo d’oignon se vend à 4 L.E. contre 3/3,5 L.E., et ainsi de suite.
«On achète cher au marchand de gros, alors si le gouvernement veut contrôler les prix, qu’il les contrôle depuis les grossistes», estime Souad qui dispose d’un petit magasin. Selon les marchands, les prix du gros sont même plus élevés que ceux fixés par le gouvernement pour certains produits. «En plus, on paye le transport mais le problème principal est qu’une bonne partie est invendable», dit un autre homme installé devant un petit étal.
«Par exemple dans un sac de courgettes, on trouve différentes qualités, on est obligé de vendre une partie à des prix bas car elle est de mauvaise qualité. Souvent, une partie de notre marchandise s’abîme. Si le gouvernement insiste sur le fait d’imposer des prix, je ne vais plus pouvoir travailler, je ne gagnerai pas d’argent», dit une paysanne qui vend ses produits sur un bout de toile à même le sol.
Avant de tomber entre les mains du consommateur, les fruits et légumes font un long trajet au cours duquel ils passent par plusieurs mains: agriculteur, courtier, grossiste et finalement détaillant. Dans certains cas, un grossiste moins important qu’un autre joue le rôle de distributeur alors que certains petits vendeurs de rue achètent leurs marchandises au marché de détail le plus proche. Ces derniers sont les plus vulnérables: ils achètent leur marchandise à des prix déjà élevés et leur marge de profit est étroite. Alors qu’un vendeur dans un quartier huppé imposera des prix très différents.
«Le coût de production est élevé»
Sur le marché de gros du 6 Octobre, l’un des deux principaux marchés du Caire, les intervenants de différentes parties de la chaîne agricole sont présents, avec des agriculteurs venant vendre leurs marchandises, des commerçants de détail qui achètent et les grossistes installés sur le marché. Quasiment toutes les personnes questionnées par Al Ahram qu’ils soient grossistes ou détaillants se montrent défavorables à la fixation des prix. «Les prix sont élevés, car le coût de production est élevé, les prix des engrais et des fertilisants sont devenus trop chers. Les prix de la main-d’œuvre agricole ont grimpé. Si le gouvernement veut baisser les prix, qu’il aide les paysans», martèle un marchand dont les propos sont approuvés par ses collègues et des paysans présents. «Si lors d’une saison donnée, la récolte des tomates par exemple est en excès, les paysans la vendent à un prix inférieur au coût de production, ils n’auront pas de choix», ajoute l’un d’eux.
Un autre homme qui écoute la discussion confirme. «Les vieilles tomates sont vendues aux restaurants de kochari (repas populaire en Egypte) à des prix bas. Les autres tomates plus fermes seront normalement plus chères, c’est comme ça qu’on gagne de l’argent. Un seul prix n’est pas possible». En réalité, les prix des légumes dépendent surtout de l’offre et de la demande plus même que du coût de production. Si les grossistes ne croient pas à la fixation de prix, ils n’ont toutefois pas intérêt à lutter contre elle.
Puis le ton monte entre un grossiste et un détaillant. «C’est nous, les petits, qui serons pénalisés. On nous menace de prison alors que les grossistes sont ceux qui réalisent les plus grands profits», dit le détaillant en pointant du doigt le grossiste. Ce dernier rigole mais un autre lance, énervé: «La fixation d’un prix est juste, les marchands de détail sont cupides, c’est là le problème». «J’ai acheté mes pommes de terre chez un grossiste à 5,5 L.E. Comment les vendre au même prix? Je dois encore les transporter alors que je paye un loyer de 2000 L.E. (soit 260 CHF) par mois», dit un autre marchand de détail.
Les consommateurs, de leur côté, se réjouissent de la décision du gouvernement dans l’espoir de voir les prix baisser bien qu’ils mettent en doute la possibilité de son application. «Les prix sont chers ici, mais c’est plus près de chez nous. C’est bien de fixer les prix mais comment faire au juste pour que cela fonctionne», se demande une habituée du marché de Kitkat. (2 octobre 2013, Al Ahram)
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