Par Caroline Hayek
Le suprémaciste blanc américain qui a foncé sur la foule à Charlottesville samedi avait posté une photo du président syrien sur son mur Facebook.
Les photos de Bachar el-Assad dans leurs smartphones remplacent parfois les posters de Hitler et de Mussolini jadis affichés sur les murs de leur chambre.
Le drame qui a violemment secoué la petite ville tranquille de Charlottesville samedi, lors d’une démonstration de force de l’extrême-droite américaine, a une nouvelle fois révélé la fascination que peut susciter le dictateur syrien au sein de ces franges de la population. James Alex Fields Junior, membre du Vanguard America, un groupe de suprémacistes blancs qui organisait l’évènement, a été inculpé de meurtres, de blessures et de délit de fuite, après avoir foncé au volant de sa voiture sur des manifestants antiracistes. Parmi les photos de croix gammées, de Hitler nourrisson ou de symboles vikings repris par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, postées par le meurtrier sur son compte Facebook, figure celle du président Bachar el-Assad, revêtant un treillis militaire et des lunettes noires, barré de la mention «undefeated» (invaincu).
Qu’un Américain de 20 ans à peine, originaire de l’Ohio, affiche fièrement sur les réseaux sociaux le portrait du président syrien, avec une annotation sans équivoque, n’est finalement pas si surprenant que cela. Depuis le début du conflit en Syrie, mais bien plus encore au cours de ces derniers mois, Bachar el-Assad fascine les courants d’extrême-droite en Occident, au point d’en être devenu l’un des symboles. «La vision de l’extrême-droite occidentale du conflit syrien est qu’il y a un régime qui impose l’ordre et la stabilité face à des indigènes de couleur, de race inférieure. Et Assad représente dans cet imaginaire collectif une figure, il est devenu l’un de leurs modèles», estime le politologue Ziad Majed, spécialiste de la Syrie.
FN pas en reste
Au sein de l’Union européenne, les exemples sont légion. «Poutine et Assad sont de notre côté», déclare en novembre 2016 Paul Nuttal, ancien leader de l’UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni), un parti de la droite nationaliste et xénophobe. Et il est loin d’être le seul: Aube dorée en Grèce, Forza Nuova et Casa Pound en Italie, mais aussi les nationalistes polonais, espagnols ou belges affichent tous leur soutien au régime Assad. «Bachar est devenu pour eux un symbole à défendre, d’autant plus qu’ils le voient comme un homme assiégé par ceux dont ils estiment qu’ils sont leurs ennemis : les islamistes et les mondialistes», analyse Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l’IRIS et spécialiste du Moyen-Orient.
Le Front national n’est pas en reste. «J’ai dit dès le début du conflit syrien, et j’étais la seule à l’époque, que contribuer à la chute de Bachar el-Assad c’est permettre à l’EI de gouverner la Syrie», déclarait Marine Le Pen, alors candidate à l’élection présidentielle, dans un entretien accordé en février dernier à L’Orient-Le Jour (quotidien libanais). Les frontières sont poreuses… Une partie de la droite française n’a pas tardé à reprendre quelques arguments du FN, privilégiant cependant la théorie du «moindre mal». La chute d’Alep, suite à une offensive du régime et de ses alliés, a nourri les discours des pro-Bachar, applaudissant ainsi une « victoire » de Damas et de Moscou contre «les terroristes». «Ceux qui combattent le terrorisme devraient se féliciter de la reprise d’Alep», s’enorgueillissait Thierry Mariani, député Les Républicains, dans un entretien accordé au Figaro, en décembre 2016. Ce dernier a d’ailleurs emboité le pas à Frédéric Poisson [candidat aux élections présidentielles en France], président du Parti chrétien démocrate, en se rendant auprès de Bachar el-Assad à plusieurs reprises. Ces deux dernières années, un ballet incessant de députés s’est joué dans les salons du palais présidentiel syrien, faisant d’une part se gausser la presse française et hérisser de l’autre le poil du Quai d’Orsay. «Depuis le début de la révolution syrienne, Damas est devenue une sorte de lieu de pèlerinage pour toutes les mouvances les plus extrêmes de l’extrême-droite mondiale, et plus particulièrement européenne», estime Karim Émile Bitar.
Trahison de Trump
Cet engouement pour le régime de Bachar el-Assad n’est pas nouveau, rappelle le chercheur, puisque plusieurs mouvances de l’extrême-droite se sont progressivement rapprochées de Damas en plus de 15 ans, faisant notamment des éloges appuyés à son dirigeant. En 2005 déjà, en pleine guerre d’Irak, la visite en Syrie de David Duke, ancien dirigeant du Klu Klux Klan, promoteur de théories racistes et révisionnistes – qui était présent à Charlottesville samedi dernier – avait annoncé la couleur et provoqué l’ire de la presse américaine, et notamment israélienne, même si, à l’époque, Bachar el-Assad pouvait passer pour un chef d’État fréquentable.
Douze ans plus tard, l’intervention de Donald Trump en Syrie a provoqué un courroux parmi les suprémacistes blancs américains. Les frappes américaines contre une base militaire du régime, suite à l’attaque chimique de Khan Cheikhoun imputée à Damas, ont été perçues comme une trahison par les soutiens les plus extrémistes du président américain, abondant que s’en prendre au président syrien équivaut à être proterroristes. «Face à une internationale islamiste qui combat le régime, se trouve une internationale nationaliste autoritaire d’extrême-droite, certes beaucoup moins importante numériquement, mais tout aussi déterminée à combattre», rappelle Karim Émile Bitar, en référence à certains groupes fascistes et néo-nazis grecs, tels que Mavros Krinos (Black Lily), ou Aube dorée.
Selon bon nombre d’observateurs, c’est avec beaucoup d’intelligence, voire de machiavélisme, que Damas a fait évoluer sa propagande au cours du conflit, pour séduire les pans de l’extrême- droite occidentale. « Le régime syrien n’a eu aucun scrupule à instrumentaliser ces groupes et à les utiliser dans sa stratégie de propagande », affirme le chercheur.
Icône par ricochet
Le régime, qui se présente comme un fidèle héritier du baassisme et de l’alliance nouée par son père Hafez avec l’Union soviétique, a toujours su séduire les partisans de l’anti-impérialisme, les défenseurs d’une gauche arabe, antisioniste. Mais depuis le début du conflit syrien, au-delà de la propagande, c’est l’image elle-même du régime qui a permis de happer ces nouveaux partisans.
Un attrait que l’on pourrait résumer en quatre points, selon Ziad Majed. 1°«Il s’agit d’abord d’une fascination pour la violence, pour cette puissance sans limite d’Assad qui s’abat contre des gens qui méritent d’être punis. 2° La deuxième raison est qu’ils considèrent Assad comme leur blanc. C’est le suprémaciste blanc syrien qui vient châtier des indigènes. 3° Troisièmement, Assad est celui qui massacre des musulmans, ce qui, pour les racistes/islamophobes, est quelque chose de bien. 4° Et surtout, «il est l’allié de l’un des «prophètes de l’extrême-droite: Vladimir Poutine», analyse le chercheur. «Cette internationale nationaliste autoritaire est unie autour de la figure de Poutine, qui est hostile à ce qu’elle appelle le mondialisme et souvent unie par les questions d’identité», confirme Karim Émile Bitar. Comme si le président syrien n’était, en quelque sorte, finalement qu’une «icône par ricochet»… (LOJ, 15 août 2015)
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