Nous publions ci-dessous la feuille distribuée par le Mouvement pour le socialisme (MPS) à l’occasion de la conférence donnée, le 24 novembre 2015 à l’Université de Genève, par Garance Le Caisne, auteure de Opération César. Au cœur de la machine de mort syrienne (Stock, 2015). Cette conférence est organisée par le Groupe Syrie Amnesty UNIGE et l’Association FemmeS pour la démocratie.
L’enquête – Opération César – revient sur le rapport de ce photographe de la police militaire syrienne qui a fourni à l’opposition syrienne 45’000 clichés de corps détenus provenant d’une vingtaine de centres de détention à Damas. Pour réaliser cet ouvrage Garance Le Caisne a rencontré César et des rescapés de la machine de mort de la dictature. Ce dossier sert aussi de solide preuve pour les procès engagés contre Bachar el-Assad pour «crimes contre l’humanité». Un engagement qu’avait pris le gouvernement Hollande et qui est «oublié» aujourd’hui. Comme si les crimes de Daech à Paris et la «guerre» du néo-général Hollande devaient aboutir à faire silence sur ceux du régime des Assad. Est-il possible, y compris pratiquement, de «construire une transition politique et démocratique» avec celui qui a détruit un pays et écharpé sa population? Les opérations guerrières s’accompagnent toujours de déclarations officielles dont la validité n’est étayée que par un esprit et une pratique «d’état d’urgence». (Rédaction A l’Encontre)
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Si divers signes l’annonçaient depuis des mois, ces dernières semaines un tournant s’est opéré, clairement, dans la politique des puissances impérialistes envers Bachar el-Assad. Au-delà de divergences, propres à la tentative de redéfinir leur «présence» dans le chaotique Moyen-Orient, un accord se construit sur le maintien de Bachar el-Assad lors d’une dite transition politique en Syrie. Même si des approches différentes sur la voie à choisir existent, encore, entre Obama et Hollande.
Dès lors, une priorité unilatérale est donnée par les gouvernements de France, du Royaume-Uni, des Etats-Unis (et d’autres) au combat contre la force barbare et terroriste de Daech (dit Etat islamique). La Russie de Poutine et l’Iran de l’ayatollah Ali Khamenei ainsi que du président Hassan Rohani sont à l’œuvre depuis longtemps pour soutenir la dictature des Assad et de ses mafias. Cela aussi bien en fournissant des troupes («Gardiens de la révolution» islamique), qu’en sponsorisant les milices chiites du Hezbollah libanais, et en livrant des armes diverses (la Russie en tête). Tout cela ne peut qu’alimenter l’adhésion à une opposition «djihadiste» de la part jeunes membres de secteurs majoritaires la population syrienne (en exil ou encore dans le pays) qui ressentent et vivent les multiples formes de la dictature – de plus en plus monstrueuse – de Bachar comme étant exercée par une «minorité religieuse», les alouites.
Depuis le 30 septembre 2015, au nom de la lutte contre Daech, les chasseurs russes bombardent surtout les positions des diverses forces qui combattent la dictature et luttent contre Daech. Autrement dit, Poutine vise: à renforcer la position de la Russie dans cette partie de la Méditerranée (port de Tartous dans la région la plus contrôlée par le régime de Bachar el-Assad), à projeter l’impérialisme russe dans cette aire marquée par les désastres humains et politiques qui découlèrent de l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003. Ce faisant, le Kremlin remet en selle Bachar.
En outre, le pouvoir poutinien trouve ainsi une carte pour négocier, dès fin janvier 2016, la levée des sanctions de l’Union européenne et des Etats-Unis contre la Russie, suite à l’annexion de la Crimée et à son soutien aux «indépendantistes du Donbass» ukrainiens qui s’affrontent à l’oligarchie représentée par Porochenko. Un conflit armé entre brigands des deux bords dont la très large majorité des populations paie un prix énorme.
La mollahrchie iranienne et la Russie, comme le confirme la visite de Poutine à Téhéran le 23 novembre, font ensemble des «affaires». Moscou vend des missiles sophistiqués et des centrales nucléaires à Téhéran. Et ils se coalisent pour assurer leurs intérêts régionaux mutuels. Poutine ne se réjouit peut-être pas de la relance future de l’exportation de pétrole iranien qui ne poussera pas le prix du baril de pétrole à la hausse. Mais ce désavantage est secondaire et pas immédiat. Et Poutine peut faire bénir ses avions et ses navires de guerre par le patriarche de l’Eglise orthodoxe afin de mener «une guerre sainte» contre les «ennemis d’Assad». De quoi nourrir d’une enveloppe «religieuse» une opération militaire et politique! Et de quoi, en miroir, valider la dimension apocalyptique prônée par Daech.
Avec en arrière-fond la permanence de la structure du régime des Assad, il ne faut pas oublier qu’au nom d’une «transition démocratique» en Syrie et d’une «stabilité» régionale aussi bien la Maison-Blanche que le Kremlin appuient la dictature de l’ex-maréchal Abdel Fattah al-Sissi en Eygpte. Un militaire-président qui fait taire, par la répression violente et des massacres, toute opposition. Quant aux Etats-Unis et à la France, ils arment le Royaume des Saoud classé parmi les ennemis les plus décidés des droits démocratiques et nourrissant institutionnellement un islamisme hyper-réactionnaire: le fondamentalisme wahhabiste.
Protéger leurs intérêts en appuyant les dictateurs
Pour cette nouvelle «coalition internationale» qui prend forme le seul ennemi est Daech. Cela fait le jeu du régime dictatorial des Assad. Passe donc par pertes et profits le sort réel d’une population épuisée, déchirée et emportée dans une gigantesque vague de réfugié·e·s internes et externes. La raison de fond pour «l’Occident» est bien résumée dans la revue états-unienne Foreign Policy, en date du 20 novembre 2015: «Cette nouvelle phase considère que les terroristes sont des acteurs non étatiques et adoptera la perspective que si nous avons un système international construit autour d’Etats forts souverains – quelles que soient leur brutalité ou leur indifférence envers les droits humains – la vie (sic) deviendra beaucoup plus difficile pour les groupes armés non étatiques.» Laissons de côté le cynisme de cette affirmation. En fait, il n’y a rien de nouveau, sur le fond, dans l’appui donné par les dominants des Etats-Unis, de l’URSS passée ou de la Russie d’aujourd’hui – ou encore de la France: Sarkozy invitait à la tribune le 14 juillet 2008 Bachar el-Assad et soutenait Ben Ali en Tunisie – à des régimes dictatoriaux ou autoritaires, sans même parler de leur installation aux manettes gouvernementales.
Revenons à la Syrie: les chabiha – les milices mafieuses du régime Assad– qui sont-ils? Rien d’autre, aujourd’hui, que des groupes terroristes semi-non étatiques qui terrorisent y compris la population des zones contrôlées par Assad. Et quand bien même la police militaire de Bachar – entre autres les moukhabarat – sera d’ordre étatique, en quoi leur barbarie serait-elle différente de celle de Daech? Pire, ils obéissent aux ordres d’un tyran qui planifie, avec une minutie analogue au régime nazi ou stalinien, les tortures et exécutions.
Assassiner et torturer plus de 300’000 personnes voilà la méthode du régime Assad pour, prétendument, lutter contre «les terroristes». Car, dès mars 2011, tous les opposant·e·s ont été qualifiés de «terroristes», donc «d’acteurs non étatiques», par la dictature au pouvoir. Une dictature qui n’a cessé d’utiliser les «fondamentalistes islamistes», puis Daech pour tenter de briser tous ceux qu’elle caractérise de «terroristes».
Une amnésie criminelle: «César» est effacé
Le gouvernement Hollande a-t-il oublié qu’une «enquête pénale pour “crimes de guerre” a été ouverte en France visant le régime de Bachar el-Assad, pour des exactions commises en Syrie entre 2011 et 2013»? (Le Huffington Post, 30 septembre 2015 et l’AFP) La rédaction de cette publication, membre du groupe Le Monde, continue ainsi son explication: «L’enquête se base notamment sur le témoignage de “César”, un ex-photographe de la police militaire syrienne qui s’était enfui de Syrie en juillet 2013, en emportant 55’000 photographies effroyables de corps torturés. Mercredi matin, une source judiciaire a précisé que l’enquête était ouverte pour “crimes contre l’humanité” et non “crimes de guerre”… La qualification de crimes contre l’humanité vise des faits d’enlèvements et de tortures commis par le régime syrien. […] Le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, a invoqué mardi “la responsabilité d’agir contre l’impunité” à propos de l’ouverture de cette enquête. “Il est de notre responsabilité d’agir contre l’impunité”, a déclaré Laurent Fabius qui se trouve à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies [26 septembre–1er octobre 2015], en dénonçant des “crimes qui heurtent la conscience humaine”.[…] Lors d’une conférence de presse à Paris en mars 2014, plusieurs photos d’une cruauté insoutenable, provenant d’une carte-mémoire emportée par “César”, avaient été projetées. […] L’annonce de cette enquête intervient alors que la crise syrienne est au centre de l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Mardi, le président américain Barack Obama a insisté sur le départ du président syrien Bachar el-Assad pour vaincre les jihadistes de l’Etat islamique alors que la Russie insiste au contraire pour le maintenir au pouvoir. De son côté, le président François Hollande a affirmé lundi à l’ONU qu’“on ne peut pas faire travailler ensemble les victimes et le bourreau”, excluant ainsi Bachar el-Assad d’une solution politique au conflit.» (Idem)
Mais, la «realpolitik» du gouvernement «socialiste» Hollande-Valls l’a conduit à renoncer, une fois de plus, à leurs «promesses», à leurs «principes», logés dans une rhétorique de faussaire. Elle prend, aujourd’hui, les accents d’un «chef de guerre» dont toute l’action fait le lit de l’extrême droite (Front national de Marine Le Pen) et aboutit à la stigmatisation des musulmans.
Un reniement qui renvoie au refus du pouvoir français – parmi d’autres – d’aider matériellement la résistance populaire syrienne en lui fournissant les armes nécessaires pour se défendre contre les tirs des chars blindés d’Assad et les hélicoptères et avions larguant des barils de TNT (explosif).
La «coalition internationale contre Daech» bombarde Raqqa, la «capitale de Daech». Sans «dommages collatéraux», pour utiliser le vocabulaire des états-majors? Hala Kodmani, une journaliste syrienne étroitement liée aux réseaux résistants, a démontré combien la population subissait aussi ces attaques (voir son article publié sur le site alencontre.org en date du 19 novembre 2015).
Il n’y aura pas de lutte effective contre Daech sans donner la priorité à l’appui aux forces populaires syriennes. Donc sans une lutte conjointe, pour une «paix juste et un régime démocratique», contre le régime Assad. Sans faire le procès aussi bien des terroristes de Daech que celui, promis, d’Assad, car «on ne peut faire travailler ensemble les victimes et le bourreau». (MPS, 23 novembre 2015)
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