Par Amira Hass
Le gouvernement Benyamin Netanyahou vise à accentuer la révocation de la résidence de familles palestiniennes dans Jérusalem. Comme le souligne Hagai El-Ad – directeur de B’Tselem – dans un article du magazine en ligne israélien +972, cette politique est ancienne, mais c’est la première fois que de manière explicite ce nettoyage territorial s’effectue en combinant trois éléments: le statut, le territoire et la démographie.
Depuis 1967, 14’000 Palestiniens ont vu leur droit de résidence dans Jérusalem-Est révoqué. La séparation physique existante s’est accentuée avec la multiplication de check points dans et autour de Jérusalem-Est. «Pour Netanyahou et pour beaucoup d’autres, les Palestiniens à Jérusalem sont au mieux une nuisance. Ils ne sont pas considérés comme des personnes disposant du même droit de vivre dans leur ville aux côtés de la «panoplie d’identités» de Jérusalem. Ils sont plutôt une menace pour la sécurité (de temps en temps) et comme un danger démographique (toujours).» Dans le contexte présent, s’accentue une politique mise en œuvre depuis l’occupation de 1967. Il y a là un des éléments – parmi beaucoup d’autres – qui sous-tend l’utilisation à tout va du terme «terroriste» dont Amira Hass explicite la fonction dans l’article publié ci-après. (Rédaction A l’Encontre)
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Cet article a été rédigé peu avant [le 19 octobre 2015] ma visite à Robben Island, Cape Town, en Afrique du Sud, avec un militant anti-apartheid qui y avait été emprisonné. Le gouvernement blanc le considérait lui et ses collègues comme des «terroristes». Ce terme générique que les régimes oppresseurs aiment à utiliser à toutes les sauces fait partie du processus de déshumanisation des opposants et de criminalisation de la résistance. Ces jours-ci, le terme «terroriste» est probablement l’un des plus fréquemment utilisés dans les médias israéliens. Ce n’est pas étonnant, vu qu’au cours des deux dernières semaines cinq Juifs ont été assassinés dans des attaques au couteau et seize Palestiniens suspectés d’attaques au couteau ont été abattus par des soldats, des officiers de police, des citoyens détenant un permis de port d’armes et des colons.
La peur rôde dans les rues et le feu vert pour exécuter toute personne suspectée de vouloir effectuer une attaque au couteau, même si elle ne représente aucune menace vitale, n’a pas pour l’heure réussi à dissuader les Palestiniens d’empoigner des couteaux. [En date du 1er novembre 2015, les «violences» – coups de poignards, jet de pierre, d’un côté; tirs de la police, de soldats et de colons, de l’autre – ont fait 67 morts parmi les Palestiniens et 9 parmi les Israéliens].
Le terme «terroriste» permet d’économiser des mots dans les articles ou lors de leur édition. «Suspecté d’attaquer un soldat»; «Jeune Palestinien qui, d’après la police des frontières, a tenté de les attaquer au couteau»; ou «Le jeune Palestinien de 13 ans qui a été vu en train d’attaquer un enfant juif vient du camp de réfugiés X» – de telles formulations dans les titres ne font que compliquer les phrases, surtout quand il s’agit d’un reportage sur le nombre d’attaques au couteau en une journée.
Le manque de temps et d’espace [dans la presse] exige un langage simplifié, et la simplification et les formulations abrégées s’adaptent à l’hystérie générale. La police, le porte-parole de l’armée ou toute autre instance officielle livrent des déclarations toutes faites, bourrées de termes tels que «terroriste» et «neutraliser». Le fait de les copier/coller textuellement ou en partie gagne du temps et évite du stress! C’est la raison pour laquelle les descriptions se ressemblent tellement d’un média à l’autre.
Le fait d’unifier la terminologie rend possible d’ignorer le fait: que beaucoup de ces assaillants proviennent de Jérusalem-Est; que certains de ceux qui ont été attaqués au couteau étaient en uniforme et armés; que d’autres ont été attaqués dans des colonies (y compris des quartiers de Jérusalem-Est). Sans recevoir des ordres politiques d’en haut, ceux qui ont décidé de lancer des attaques à l’arme blanche (et de se faire tuer) ont visé les symboles les plus brutaux de l’occupation: l’armée, la police et les colons. Les acteurs «de la neutralisation» sont acclamés tant que l’attaquant est palestinien et les victimes juives.
Eden Nata-Zada [habillé en soldat israélien, avec un M-16; il militait contre le retrait de certaines colonies juives] a assassiné quatre Palestiniens israéliens le 4 août 2005 [deux jeunes femmes et deux hommes et en a blessé 12 autres, dans un bus]. Il a été «neutralisé» [lorsqu’il rechargeait son arme] et ses «neutraliseurs» ont été jugés et leurs actes décrits comme étant un «lynchage». Il faut dire qu’ils n’étaient pas juifs [mais citoyens arabes d’Israël]. Il est vrai que dans beaucoup d’articles de presse Nata-Zada a été caractérisé comme étant un «terroriste». En comparaison, lorsqu’un jeune juif de 17 ans de Dimona [sud d’Israël, c’est la troisième ville du Neguev] a récemment [le 9 octobre] attaqué deux Bédouins citoyens israéliens ainsi que deux travailleurs palestiniens de Cisjordanie dans une attaque vengeresse, la plupart des médias (à l’exception de Haaretz) se sont contentés de noter son âge et le fait que son passé et ses problèmes psychiatriques étaient connus par la police. Il va sans dire que les forces de sécurité l’ont maîtrisé, sans le blesser ni le tuer.
En tout cas le fait de définir certains Juifs comme étant des «terroristes» ne change rien à la fonction première de ce terme générique qui consiste d’effacer de la vue des Israéliens tout contexte politique, sociologique et historique du fait que des Palestiniens décident de tuer des Juifs. Il s’agit d’une déshumanisation dont la logique est la suivante: ceux qui attaquent des Juifs sont des terroristes. Les agresseurs sont des Palestiniens, la source de nos problèmes est que le goût de l’assassinat est profondément enraciné dans leur psychisme et non pas le fait qu’ils subissent un contrôle par des étrangers, qu’il y ait des colonies ou que les résidents palestiniens de Jérusalem subissent des brutalités de la part de la police.
Le terme «terroriste» dispense également par avance les journalistes de l’obligation de vérifier la justesse des déclarations de la police ou de l’armée suite à un attentat, ou d’examiner la signification réelle du terme «neutraliser» et les modalités selon lesquelles cette «neutralisation» est effectuée.
Les articles des médias palestiniens, tout comme les messages sur Facebook, ne donnent pas non plus le contexte complet des attaques au couteau. Ils présentent les conséquences de ces actes comme étant les assassinats de Palestiniens pour la simple raison qu’ils sont Palestiniens, ce qui a aussi contribué à l’hystérie – l’hystérie palestinienne cette fois. Le site de l’agence palestinienne officielle Wafa n’a pas noté les circonstances dans lesquelles chacune des 37 personnes (état des chiffres le dimanche 18 octobre) a été tuée. Or, neuf étudiants de Gaza ont été tués par des soldats de l’armée israélienne au cours d’une manifestation non armée près du mur marquant la frontière. La mère Noor Hassan et son bébé Rafah ont été tués lors d’une frappe aérienne israélienne près de Gaza City. Mais, 26 Palestiniens tués sont amalgamés, qu’il s’agisse de manifestants ou de personnes suspectées d’attaques au couteau, sans qu’on ait le moyen de distinguer entre les uns et les autres.
Tout Palestinien comprend le désespoir qui peut conduire une personne à attaquer au couteau des Israéliens. Beaucoup justifient aussi un tel acte lorsqu’il n’y a aucun doute qu’il a été commis. Mais les rapports manquants dans les médias palestiniens et l’amalgame des noms dans la liste officielle de ceux qui ont été tués montre aussi la confusion et la crainte qu’ils puissent inspirer une vague d’attaques suicide.(Traduction de A l’Encontre ; article d’Amira Hass publié dans Haaretz le 19 octobre 2015)
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