Les dix ans du mur (II): «Le mur, le processus de paix et Jérusalem»

Par Haggai Matar

La raison officielle pour construire le mur était d’assurer la «sécurité israélienne». Après avoir examiné l’histoire du tracé dans un premier article et avant d’examiner si le mur a atteint son but déclaré, Haggai Matar aborde la question des effets du mur sur la société palestinienne au cours de cette décennie. (Rédaction)

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J’avais un peu plus de 18 ans lorsque des rumeurs concernant le projet de construction d’un mur en Cisjordanie ont commencé à se répandre dans les cercles d’activistes. Lorsqu’il est apparu clairement que son tracé impliquait des annexions de terres palestiniennes, il est également devenu évident pour moi qu’il fallait rejoindre les premières initiatives palestiniennes contre ce projet.

C’est ainsi que je me suis trouvé,à la fin de 2002, en train de manifester dans les rues de A-Ram, une ville palestinienne près de Jérusalem. Il s’agissait de protester contre le projet de construire un mur au cœur de la ville. Mais lorsque les militants locaux nous ont indiqué le tracé prévu, j’ai pensé naïvement qu’il devait y avoir une erreur. En regardant des deux côtés des rues je voyais une ville comme n’importe quelle autre ville, avec des maisons, des magasins, des bureaux et des écoles implantés le long de la route principale. Comment pouvait-on construire un mur qui couperait en deux la ville? Pourtant j’ai continué à manifester jusqu’à ce que des soldats chargent les manifestants en utilisant de grosses doses de gaz lacrymogène, ce qui nous a fait fuir pour nous abriter des deux côtés de la route, avant de rentrer chez nous.

Dix ans plus tard, un mur de béton haut de 8 mètres coupe A-Ram en deux. En marchant le long de la route qui longe le mur, la même route que j’avais empruntée jadis, on ne peut désormais apercevoir que la moitié des maisons, des magasins, des bureaux et des écoles: la ville était coupée en deux, tout comme les vies de milliers de leurs habitants et de leurs familles.

Le système de Bantoustan

Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, le tracé du mur a été et reste encore un sujet de controverse dans le champ politique israélien et les débats portant sur la surface de territoire palestinien qu’il s’agit ou non d’annexer constituent un des principales raisons conduisant à des interruptions dans la construction du mur. Cependant ce sont les Palestiniens – avec un soutien international – qui ont toujours résisté avec le plus de détermination contre le tracé du mur, à cause notamment des dommages qu’entraîne son tracé pour l’économie et la société palestiniennes et du fait qu’il érode les chances de former un «Etat souverain» dans les frontières d’avant 1967.

Comme nous l’avons déjà mentionné dans le premier article, le mur était conçu pour annexer, de fait, environ 17% de la Cisjordanie. Même le tout dernier tracé, le plus minimaliste, qui n’annexe «que» 8,5%, saisit tout de même une partie considérable du territoire palestinien, parmi lequel des parties cruciales pour la viabilité d’un «Etat indépendant». Mishor Adoumim (la plaine de Adoumim) en est l’exemple le plus radical. Le tracé, encore incomplet, pourrait carrément couper la Cisjordanie en deux, rendant impossible la continuité territoriale. Ce tracé n’a pas encore été définitivement approuvé, mais des plans d’ensemble existent déjà. En outre les derniers gouvernements israéliens ont consacré beaucoup d’efforts à «nettoyer» la zone des communautés bédouines et à promouvoir des colonies juives. La trouée dans le mur a l’air d’attendre la poursuite de la construction.

Peu après que les premiers projets pour la construction du mur ont été élaborés, la Cour suprême israélienne a rejeté les principales plaintes enregistrées contre son tracé et a accepté la déclaration de l’Etat israélien d’après lequel il ne s’agissait que d’une mesure de sécurité, sans implications politiques. Plus tard, la Cour a reconnu que l’Etat lui avait menti concernant certaines de ces plaintes, mais elle n’est pas revenue sur ses décisions précédentes.

La Cour internationale de justice [1] a vu les choses différemment. Suivant une requête de l’Assemblée générale de l’ONU, elle a publié, le 4 juillet 2004, un avis consultatif qui déclarait que si Israël avait le droit de défendre ses frontières, le tracé du mur qui était construit dans les territoires palestiniens est en violation avec plusieurs articles de la quatrième Convention de Genève. Dans un vote à 14 contre 1 les juges ont affirmé: «Israël est dans l’obligation de mettre un terme aux violations du droit international dont il est l’auteur; il est tenu de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur qu’il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de JérusalemEst, de démanteler immédiatement l’ouvrage situé dans ce territoire et d’abroger immédiatement ou de priver immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent.»

Les juges ont également appelé tous les Etats membres des Nations Unies à envisager des sanctions contre Israël à cause du tracé, mais cela est resté sans effet jusqu’à maintenant. Israël lui-même a refusé de présenter son cas à la Cour internationale de justice, et à ce jour il refuse d’accepter l’avis consultatif.

Le dernier clou dans le cercueil

Une autre conséquence à long terme du mur sur la politique régionale est qu’il détache Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie, tout en «capturant» plus de 200’000 résidants palestiniens du côté du mur de la capitale. «Le mur sera peut-être le dernier clou dans le cercueil des aspirations à faire de Jérusalem-Est la capitale palestinienne», estime Sarit Michaeli, porte-parole pour B’Tselem. «Il est évidemment possible que l’on puisse parvenir à un accord politique, à supposer que quelqu’un le recherchait, mais comment ceux qui voudraient le tenter s’y prendraient-ils?»

Outre ses implications politiques, l’un des effets les plus dévastateurs du mur porte sur le tissu même de la société et de l’économie palestiniennes, surtout sur les villes emmurées autour de Jérusalem, mais aussi sur les villages traversés par le mur et ceux qui sont maintenant coincés du «côté israélien». Nous analyserons plus en profondeur ces deux derniers aspects dans le prochain article. Nous nous pencherons maintenant plutôt sur Jérusalem et ses environs.

Une des difficultés qu’engendre le mur est qu’il aggrave les conditions de vie des Palestiniens qui vivent dans le Grand Jérusalem, qui ont des cartes d’identité de résidents en Israël, mais qui sont piégés à l’«extérieur» du mur. Par exemple à Sheik Sa’ad, les résidents protestent contre un check point installé sur la route vers la ville, check point toujours fermé. A Kufr Aq’eb, les services municipaux de ramassage des ordures deviennent insuffisants et d’autres services de base sont en cours de suppression ou n’existent déjà plus. B’Tselem rapporte qu’au cours des années le dépérissement des services et les difficultés accrues aux check points ont poussé des personnes à quitter leurs maisons et à chercher des logements à l’intérieur de l’enceinte du mur, ce qui a entraîné pour eux non seulement une augmentation du coût de la vie, mais aussi une coupure par rapport à leurs familles et à leurs amis.

Le mur a également eu des conséquences financières dévastatrices pour les quartiers palestiniens autour de Jérusalem qui, jusqu’à il y a dix ans, étaient relativement prospères grâce à la proximité de la capitale. Comme l’explique Michaeli: «Dir Naballah, Abou-Dis, A-Ram, le nord de Bethlehem et Beit Jala – toutes ces localités ont simplement dépéri en tant que zones de commerce et de transports. Et comme si cela ne suffisait pas, le fait d’être entourés par un mur de trois côtés – comme le sont certains de ces quartiers – ou même de tous les côtés – comme Al-Walaje – est catastrophique pour le développement urbain. Celui-ci devient tout simplement impossible faute d’espace. Cet aspect n’a pas nécessairement été ressenti au début de la construction du mur, mais dix ans plus tard il représente un problème sérieux.»

Le fait de boucler Jérusalem entraîne également des limitations sévères à l’accès des lieux saints musulmans et chrétiens, à l’éducation et à la culture, mais aussi aux soins de santé – étant donné que pour atteindre les meilleurs hôpitaux de la capitale il faut obtenir un permis spécial et attendre à un check point pour être transféré d’une ambulance palestinienne à une ambulance israélienne. Et cette liste de problèmes est sans fin.

Bethléem et la route enclavée vers le Tombeau de Rachel

Un sentiment de Nakba dans l’air

Lorsqu’ils se rendent à Jérusalem depuis le sud en empruntant la route 60, la plupart des conducteurs ne remarquent même pas la petite route de terre qui sort de l’autoroute à droite, juste avant d’entrer dans la ville. Si l’on suit ce chemin de terre battue, on aboutit à trois bâtiments désertés situés entre Bethléem et Jérusalem, piégés du mauvais côté du mur. Vu leur emplacement on peut penser que ces bâtiments logeaient des Palestiniens de Bethléem empêchés d’entrer en Israël, et qui sont probablement partis lorsqu’ils se sont trouvés coupés de leur ville.

Pas très loin de ces bâtiments, on peut aussi trouver une route asphaltée qui autrefois reliait le «lieu de naissance du Christ» à la route principale, mais depuis lors le mur en cours de construction a été envahi par la végétation. Un petit monceau de terre permet d’avoir une vue parfaite du mur autour de Bethléem, y compris de l’enclave qui prolonge Jérusalem avec une petite route vers le Tombeau de Rachel – entouré de hauts murs qui touchent presque les maisons qui étaient jadis libres.

D’un côté de la route se trouve une population prisonnière. De l’autre, des rues désertées et des maisons vides. On a souvent l’occasion de voir ce genre de paysage le long du tracé du mur, rappelant au visiteur d’autres lieux désertés que l’on trouve encore en Israël, et qui gisent en ruine, depuis 1948 [Nakba]. Chacun de ces lieux raconte l’histoire d’une vie qui a été bannie, entourée de murs et de barrières, empêchant un retour. L’histoire du transfert et les terrains vacants est indispensable pour comprendre le mur, et ce sera le sujet du prochain article. (Traduction A l’Encontre)

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Cet article a été publié sur le site de la revue +972 en date du 11 avril 2012

[1] La Cour internationale de justice (CIJ) est sise à La Haye, aux Pays-Bas. «La mission de la Cour est de régler, conformément au droit international, des différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats et de donner des avis consultatifs sur les questions juridiques que peuvent lui poser les organes et les institutions spécialisés de l’Organisation des Nations Unies autorisés à le faire.» La Cour est composée de 15 juges.

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