La crise sanitaire de Gaza est «catastrophique», selon des médecins palestiniens

Rafah, 4 décembre 2023, camp de personnes déplacées. (Atia Mohammed/Flash90)

Par Ibtisam Mahdi

Fin novembre, Margaret Harris, porte-parole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a averti que, sans une action urgente pour restaurer le système de santé de la bande de Gaza qui s’effondre rapidement, davantage de personnes mourraient bientôt de maladies que sous l’effet des bombardements israéliens. «Il n’y a pas de médicaments, pas de campagne de vaccination, pas d’accès à l’eau potable, pas d’hygiène et pas de nourriture [1]», a-t-elle déclaré, résumant les conditions sanitaires désastreuses dans le cadre des bombardements israéliens et de l’intensification du blocus.

Selon les professionnels palestiniens de la santé à Gaza, près d’un mois plus tard l’ampleur de la crise n’est toujours pas pleinement appréhendée hors de la bande: «Les informations, les statistiques et les nouvelles qui circulent dans le monde entier ne font qu’effleurer la réalité. Elles ne représentent qu’une petite partie de la situation sanitaire alarmante dans la bande de Gaza», nous a déclaré Dr Adnan al-Wahidi, expert en santé infantile de la ville de Gaza.

Les frappes aériennes et l’invasion terrestre d’Israël ayant entraîné le déplacement forcé de la quasi-totalité des 2,2 millions d’habitant·e·s de la bande de Gaza, on assiste à une surpopulation sans précédent dans certaines parties du sud de Gaza, en particulier dans la ville de Rafah, près de la frontière avec l’Egypte, région qui est toujours bombardée bien que l’armée israélienne l’ait déclarée «zone de sécurité», et dans le territoire côtier d’Al-Mawasi [surface de 1 km sur 14], où n’existe quasiment pas d’infrastructures. Des dizaines de milliers de familles s’abritent dans des campements de tentes inondés suite aux précipitations, tandis que des enfants affamés font la queue pendant des heures chaque jour dans les centres de distribution de nourriture.

Selon les experts, la promiscuité ainsi que le manque d’eau potable et de système sanitaire favorisent la propagation rapide des maladies dans l’enclave assiégée.

Adnan Al-Wahidi nous a expliqué que le problème de la contamination de l’eau est particulièrement grave et touche «tous les âges et tous les groupes sociaux, les répercussions étant les plus prononcées chez les enfants». Il a également noté que le manque d’eau et d’électricité, ainsi que l’incapacité à éliminer ou à traiter les eaux usées pourraient avoir des conséquences désastreuses, ajoutant que le risque de propagation des maladies a été exacerbé par l’arrêt des programmes de vaccination des enfants de Gaza en raison de la guerre.

Tamer M. Alnajjar, coordinateur de projet à l’Institut national pour l’environnement et le développement dans la ville de Gaza, nous a déclaré que la contamination généralisée des sources d’eau et la dissémination des eaux usées dans les zones fréquentées par la population ont accru le risque de contracter des maladies telles que le choléra. «L’absence d’infrastructures de purification adéquates des eaux aggrave encore ce problème, exacerbant le risque de maladies d’origine hydrique et d’infections gastro-intestinales.»

En outre, Adnan al-Wahidi estime qu’environ 40% des enfants de Gaza souffrent actuellement de malnutrition, ce qui peut avoir de graves répercussions sur leur croissance et leur développement. «Plus un enfant est jeune, plus il est vulnérable aux effets de la malnutrition», a-t-il expliqué.

Il existe également des risques spécifiques pour les femmes enceintes et allaitantes, en particulier celles qui se trouvent actuellement dans des refuges précaires. Outre les conséquences psychologiques liées au déplacement et à l’hébergement dans des installations qui ne sont pas adaptées, la malnutrition est particulièrement préoccupante pour ces femmes, car le peu de nourriture actuellement disponible manque de nutriments indispensables. Cela peut affecter la santé de la mère, du fœtus ou de l’enfant qu’elle allaite.

Pénurie criante de services de santé

La menace croissante des maladies est aggravée par le fait que les trois quarts des hôpitaux de Gaza ne sont plus en état de fonctionner [2], en raison des ordres d’expulsion de l’armée israélienne et des attaques directes contre les établissements de santé au cours des dernières semaines. En conséquence, «il n’y a nulle part où traiter les enfants malades, ce qui peut avoir des conséquences à long terme sur la santé des enfants», selon Adnan al-Wahidi.

Même dans les hôpitaux qui fonctionnent encore, le personnel médical est débordé par l’afflux continu de personnes souffrant de brûlures graves et d’autres blessures à la suite des frappes aériennes israéliennes. Les hôpitaux doivent faire face à des pénuries de fournitures essentielles, notamment d’appareils orthopédiques pour maintenir les os, de matériel chirurgical et de traitements contre les brûlures.

Le Dr Tareq Abu A’anza, pédiatre à l’hôpital Al-Nasser de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, nous a déclaré que dans les hôpitaux restants, les maladies gastro-intestinales ont été multipliées par quatre, tandis que les maladies de la peau ont triplé.

En 24 heures, a-t-il expliqué, le service des urgences de l’hôpital Al-Nasser reçoit entre 700 et 1000 enfants souffrant de divers problèmes de santé, notamment d’éruptions cutanées, de méningite, d’hépatite épidémique, de détresse respiratoire et d’infections gastro-intestinales accompagnées d’une déshydratation sévère. Le Dr Tareq Abu A’anza s’est dit particulièrement alarmé par le fait que certains enfants souffrent de plus d’une de ces affections.

Selon Tareq Abu A’anza, les équipes médicales ont atteint un point de rupture et sont incapables de poursuivre leurs efforts. Les hôpitaux se trouvent dans l’incapacité de traiter des cas supplémentaires, en particulier avec l’arrivée de centaines de milliers de personnes déplacées du nord de la bande de Gaza. «Cette grave pénurie de services de santé mettra la vie des gens en danger.»

Lors d’une conférence de presse tenue le 18 décembre, le docteur Ashraf al-Qidra, porte-parole du ministère de la Santé de Gaza, a évoqué les attaques israéliennes contre les hôpitaux de Gaza. «La discrétion internationale sur les crimes des forces d’occupation israéliennes contre les hôpitaux du nord de Gaza – leur destruction et l’arrestation de leur personnel [3] – constitue un feu vert pour mettre en œuvre le scénario criminel dans le sud de Gaza», a-t-il déclaré, ajoutant qu’Israël avait pris pour cible l’hôpital Al-Nasser à deux reprises la veille. «La situation sanitaire dans les hôpitaux du sud de Gaza est catastrophique et critique en raison du manque de capacités cliniques, médicales et humaines requises pour le nombre et le type de blessés.» Ashraf al-Qidra a également décrit les conditions dans les «abris» pour personnes déplacées comme étant «catastrophiques et inhumaines».

Selon Ashraf al-Qidra, l’armée Israëlienne a tué 310 professionnels de la santé, détruit 102 ambulances et rendu inutilisables 138 établissements de santé depuis le début de la guerre, dont 22 hôpitaux et 52 centres de soins primaires. L’armée détient également 93 professionnels de la santé, dont les directeurs des trois principaux hôpitaux du nord de la bande de Gaza: Muhammad Abu Salmiya de l’hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza, le Dr Ahmad al-Kahlout de l’hôpital Kamal Adwan à Beit Lahiya, et le Dr Ahmed Muhanna de l’hôpital Al-Awda à Jabalia.

Le résultat de tout cela est ce qu’Adnan al-Wahidi a décrit comme un «désastre sanitaire» – et il prévoit encore d’autres défis à venir. «Le système de santé de la bande de Gaza a été complètement détruit, ce qui laisse peu d’espoir d’une quelconque amélioration dans un avenir proche.» Même lorsque la guerre prendra fin, les effets de maladies telles que la malnutrition infantile persisteront encore longtemps. (Article publié sur le site israélien +972 le 20 décembre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)

Ibtisam Mahdi est une journaliste indépendante de Gaza spécialisée dans les questions sociales, en particulier celles qui concernent les femmes et les enfants.

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[1] Dans un article du quotidien Haaretz daté du 21 décembre, intitulé «Des photos de Gaza révèlent une situation de faim sans précédent par rapport aux affrontements antérieurs», Jack Khoury indique que: «Les organisations internationales font également état d’une grave famine dans la bande de Gaza. Selon l’administration régionale du Programme alimentaire mondial (PAM) pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, environ la moitié de la population de Gaza est en état de faim sévère ou extrême, et 90 % des habitants passent souvent une journée entière sans manger. Depuis le début de la guerre, seuls 10 % des denrées alimentaires nécessaires à ses 2,2 millions d’habitants sont entrés dans la bande de Gaza.» Il termine son article ainsi: «Ahmad, un habitant du quartier a-Rimal de la ville de Gaza qui a déménagé avec sa famille à Khan Younès et qui vit maintenant dans une tente improvisée à Rafah, a déclaré: «Nous sommes revenus des dizaines d’années en arrière, nous avons construit un four en argile, nous avons allumé le feu et nous avons fait cuire ce que nous avions.» Il a ajouté qu’il n’avait jamais vécu de telles choses lors d’opérations précédentes: «Pour nous, c’est la Nakba à plusieurs reprises: à la fois l’expulsion, la démolition des maisons et des infrastructures, et une grave pénurie d’eau, de nourriture et de médicaments. Vers qui pouvons-nous nous tourner? Nous ne le savons plus. On voit des parents qui se contentent de lever les mains et de supplier Allah. Peut-être qu’il nous aidera.» (Réd.)

[2] Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), le samedi 16 décembre, suite à la destruction de l’hôpital Kamal-Adwan, à Beit Laya, écrit: «Selon des premiers comptes rendus dans les médias et des enregistrements vidéo, un bulldozer de l’armée israélienne a écrasé les tentes d’un certain nombre de déplacés qui étaient à l’extérieur de l’hôpital, tuant et blessant un nombre non confirmé de personnes».

Clothilde Mraffko écrit dans Le Monde daté du 21 décembre 2023 (p. 2 et site): «Je crois qu’il y avait des cris. Nous ne sommes pas sûrs, car nous n’étions pas autorisés à regarder. Tous ceux qui bougeaient se faisaient tirer dessus», a précisé de son côté le docteur Hossam Abu Safiya, de la direction médicale de l’établissement, lors d’une conférence de presse à l’extérieur de l’hôpital, interrompue par les tirs nourris des snipers, lundi 18 décembre.» (Réd.)

[3] L’article du Monde cité ci-dessus rapporte: «Dimanche, au lendemain du retrait des troupes Israéliennes de l’hôpital Kamal-Adwan, l’armée a pris le contrôle de l’hôpital Al-Awda, le seul encore en fonction dans le nord de la ville de Gaza, après douze jours de siège. Là encore, rapportait l’ONG Médecins sans frontières (MSF), qui a des équipes sur place, «les hommes de plus de 16 ans ont été sortis de l’hôpital, déshabillés, attachés et interrogés – six des membres de MSF étaient parmi eux». Des dizaines de patients dont quatorze enfants sont encore à l’intérieur, écrivait l’ONG dans un communiqué publié mardi.» (Réd.)

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