Par Georgina McAllister
Après 56 ans d’occupation et 16 ans de blocus [dès janvier 1991, les autorités israéliennes suspendent les permis de sortie généralisés], la bande de Gaza (Gaza) est aujourd’hui soumise à ce que le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a qualifié de «blocus total» [1]. L’approvisionnement en eau, en nourriture, en énergie et en carburant a été interrompu en guise de représailles aux attaques du Hamas.
Les quelque 2,3 millions d’habitants de Gaza sont habitués à se débrouiller. En tant qu’écologiste politique menant des recherches sur la souveraineté alimentaire dans la ville de Gaza et à Khan Younès, une ville du sud de Gaza, avec des professionnels locaux, j’ai pu constater que le système alimentaire a déjà été poussé à son point de rupture.
L’unique centrale électrique de Gaza a cessé de fonctionner, comme en témoigne le ciel obscur de la nuit – à l’exception des explosions. Sans carburant ni électricité, les agriculteurs ne pourront pas pomper l’eau pour irriguer les cultures, ni transformer et stocker les aliments en toute sécurité.
Avant les dernières hostilités, 70% des ménages de Gaza étaient déjà en situation d’insécurité alimentaire, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas les moyens de subvenir à leurs besoins quotidiens. Deux tiers des habitants sont des réfugiés [pour l’essentiel depuis 1948] qui dépendent de l’aide des Nations unies (UNRWA-The United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East). En tant que marché captif, la plupart des produits importés proviennent d’Israël. La Palestine est le troisième marché d’exportation d’Israël, après les États-Unis et la Chine.
L’alimentation et l’agriculture ont depuis longtemps été entravées par les frappes aériennes répétées [2001, 2008-2009, 2011, 2012, 2014, 2021], l’occupation et le blocus. Les bonnes années, Gaza reste autosuffisante en fruits et légumes, produits en grande partie dans des serres tunnels et des serres.
Selon les données que j’ai obtenues du ministère palestinien de l’Agriculture, en 2021, les exportations israéliennes vers Gaza comprenaient des semences, plus d’un million de litres de pesticides et d’herbicides, et 4,5 millions de litres d’engrais. Les nitrates provenant de ces engrais et des eaux usées traitées épandues sur les terres agricoles s’infiltrent dans les eaux souterraines et les polluent, causant des dommages à long terme aux agroécosystèmes de Gaza.
Cette dépendance est aggravée par le fait qu’un tiers des terres agricoles de Gaza se trouve dans des zones interdites le long de la frontière, ce qui se traduit par une faible production de céréales et de protéines animales. La plupart des produits animaux proviennent de (ou passent par) l’Egypte, via le poste-frontière de Rafah, qui constitue un point de passage vital. Il était fermé au moment de la rédaction de cet article. [Le checkpoint de Rafah reste hermétique à l’entrée comme à la sortie de toutes personnes, humanitaires compris. A l’extérieur de Rafah, il est contrôlé par l’Egypte. Il a été bombardé une fois de plus le 16 octobre par l’aviation israélienne. – Réd.]
Les petites exploitations familiales et les exploitations commerciales plus intensives constituent toujours une source de revenus pour une grande partie de la population de Gaza. De nombreux jardins familiaux sont également utilisés pour la production alimentaire, soit pour la consommation familiale, soit pour le partage ou le troc afin d’atténuer le stress du blocus.
Mais comme les familles cherchent maintenant à s’abriter des bombardements israéliens, les récoltes qui ont lieu à cette époque de l’année se sont arrêtées. Les cultures essentielles se détérioreront et les cultures d’hiver qui ont besoin d’être irriguées dépériront.
L’eau
Israël contrôle toutes les ressources en eau de la Palestine. Mekorot, la compagnie nationale des eaux israélienne, extrait l’eau de l’aquifère côtier qui se trouve sous le socle rocheux le long de la côte de Gaza et d’Israël, pour irriguer les fermes israéliennes. Elle achemine et vend ensuite l’eau dans la bande de Gaza. Cet approvisionnement a été interrompu. [L’OMS et l’ONU indiquent le 16 octobre que le minimum d’eau livré pour le Sud de Gaza, selon Israël, est totalement insuffisant, ne serait-ce qu’en tenant compte du déplacement de la population vers le Sud. – Réd.]
Ce qui reste provient de l’aquifère ou d’eaux souterraines polluées par des eaux usées non traitées et des nitrates. La surexploitation de l’aquifère, due à la demande de la population de Gaza et à l’irrigation israélienne, a entraîné l’intrusion de l’eau de mer et des niveaux de salinité si élevés que l’eau est désormais considérée comme impropre à la consommation humaine.
Sans carburant pour les pompes, aucune extraction d’eau n’est possible. L’usine de dessalement municipale qui fournissait à Gaza 15% de son eau a cessé de fonctionner.
Ailleurs, les réparations des infrastructures vieillissantes et endommagées par les bombardements précédents ont toujours été entravées par le blocus, affectant le pompage de l’eau, les usines de dessalement et le traitement des eaux usées.
En 2008, des frappes sur la plus grande station d’épuration de Gaza ont entraîné le déversement de 100 000 mètres cubes d’eaux usées dans des habitats et des terres agricoles. En 2018, d’autres frappes ont entraîné le déversement d’eaux usées dans la Méditerranée, menaçant les stocks de poissons dont dépendent les Palestiniens.
Il y a quelques semaines encore, Gaza comptait huit stations de pompage pour le traitement des eaux usées, ce qui nécessitait 55 000 litres de carburant par mois. Un fonctionnaire de la mairie que je connais m’a dit que deux d’entre elles avaient été détruites le premier jour des frappes aériennes israéliennes. Sans carburant pour faire fonctionner celles qui restent, est déjà en cours une répétition de l’année 2008, avec de graves conséquences pour l’écosystème et la santé humaine.
L’invasion
Il est impossible de prédire à quel point une invasion terrestre serait désastreuse. Au cours des 15 dernières années, les dommages causés aux infrastructures de Gaza s’élèveraient à 5 milliards de dollars américains pour les quatre guerres précédentes.
Après l’invasion de 22 jours, de décembre 2008 à janvier 2009, les Nations unies ont constaté des dégâts à grande échelle dans les champs, les cultures maraîchères, les vergers, le bétail, les puits, les écloseries (aquaculture), les ruches, les serres et les systèmes d’irrigation. Plus de 35 750 bovins, ovins et caprins et plus d’un million de volailles ont été tués.
La mission de l’ONU a déclaré que les destructions avaient dégradé les terres par «l’arrachage mécanisé et l’enlèvement des arbres, des arbustes et des cultures», et que «le passage de véhicules lourds à chenilles a compacté le sol», ce qui entrave les futures cultures.
A chaque guerre, la dépendance de Gaza à l’égard des importations israéliennes d’eau, d’énergie, de carburant, de nourriture et d’intrants agricoles ne fait qu’augmenter. Dans le même temps, l’économie israélienne est devenue étroitement liée à l’occupation illégale de la Palestine, avec des exportations d’une valeur de 4,16 milliards de dollars en 2021, créant ainsi une dépendance mutuelle perverse.
Le siège complet de Gaza est sans conteste une violation du droit international relatif aux droits de l’homme, qui stipule que les Palestiniens doivent être «approvisionnés en nourriture, médicaments et autres besoins essentiels pour permettre à la population de vivre dans des conditions matérielles adéquates».
La situation des habitants de Gaza est désastreuse. Devant se protéger des bombardements, les agriculteurs sont incapables de récolter ou de distribuer de la nourriture, ce qui s’ajoute au problème de l’eau, de la nourriture et de l’énergie. Dès lors, tous les habitants de Gaza sont extrêmement vulnérables aux maladies et à la malnutrition.
Cela fait huit ans que les Nations unies ont prédit que Gaza deviendrait bientôt «inhabitable» (New York Times, 2 septembre 2015). L’ONU a déclaré que des années de blocus avaient «réduit à néant» la capacité de Gaza à subvenir aux besoins de sa population, avaient «ravagé ses infrastructures déjà affaiblies» et «accéléré son sous-développement». Un siège total contribuera grandement à transformer cette prédiction en une effroyable réalité. (Article publié sur le site The Conversation, le 16 octobre 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
Georgina McAllister, professeure au Centre pour l’agroécologie, l’eau et la résilience, Université de Coventry.
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[1] En six jours, l’armée israélienne affirme avoir largué près de 6000 bombes sur l’enclave d’environ 360 km². Pour la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, «au nom de la légitime défense, Israël cherche à justifier ce qui pourrait relever du nettoyage ethnique». (Réd.)
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