Par Ruwaida Kamal Amer
Des milliers de Palestiniens et Palestiniennes sont revenus dans la ville de Khan Younès ces derniers jours, après le retrait soudain des forces israéliennes dimanche. Ce qui les attendait était une scène de dévastation totale, à tel point que beaucoup étaient incapables de reconnaître leurs anciennes maisons et rues. Des quartiers entiers ont été détruits par les bombardements, les tirs d’obus et les bulldozers, laissant à peine une trace. Khan Younès n’est plus qu’une ville de décombres et de cendres.
Avant la guerre, la ville et ses environs abritaient environ 400 000 personnes, ce qui en faisait la deuxième zone municipale de la bande de Gaza après la ville de Gaza. Ce nombre a plus que doublé au cours des premières semaines de la guerre, car Israël avait ordonné à tous les habitant·e·s du nord de la bande d’évacuer vers le sud, alors même qu’il continuait à bombarder Khan Younès. Lorsque les troupes israéliennes ont complètement assiégé la ville au début du mois de février, de nombreux Palestiniens ont été contraints de s’échapper par un «couloir de sécurité», ce qui a entraîné des sévices et des humiliations pour ceux qui ont fait le voyage.
L’armée ayant évacué Khan Younès ces derniers jours, les anciens habitants de la ville étaient impatients de revenir après deux mois ou plus afin de voir ce qu’il en restait. En parcourant les rues autrefois animées et aujourd’hui pratiquement méconnaissables, beaucoup ont été choqués par ce qu’ils ont découvert.
«Je suis un ressortissant de cette ville, mais je ne reconnais plus ses rues», a déclaré Ahmed Suleiman, 35 ans, originaire du camp de réfugiés de Khan Younès, au magazine +972. «Je suis arrivé au rond-point Bani Suhaila [l’une des principales intersections de la ville] et j’ai vu une grande dévastation, juste un tas de sable – on aurait dit un désert.
Ahmed Suleiman, qui a cherché refuge à Rafah après avoir fui Khan Younès, décrit ce qu’il a trouvé lorsqu’il a atteint le camp de réfugiés: «Toutes les maisons de plain-pied avaient disparu, il ne restait plus que des maisons à plusieurs étages, gravement endommagées par les bombardements et les incendies. Lorsque je suis arrivé à mon immeuble, la porte avait été détruite et certaines fenêtres étaient brûlées et cassées. Je suis entré dans l’immeuble et j’ai inspecté les étages les uns après les autres. Ils étaient tous complètement carbonisés. Mon appartement se trouve au quatrième et dernier étage; en le voyant de la rue, j’espérais que tout irait bien. Mais quand je suis arrivé, j’ai trouvé beaucoup de dégâts.»
«J’ai commencé à me souvenir des moments passés avec mes enfants dans cette maison», a-t-il poursuivi. «J’ai beaucoup cherché les jouets de mes enfants pour pouvoir leur rapporter quelque chose de la maison. Je n’en ai trouvé que quelques-uns, dont certains étaient brûlés et d’autres cassés. J’ai pris ce que j’ai pu et je l’ai donné à mes enfants.»
En inspectant sa maison, Ahmed Suleiman a rencontré plusieurs de ses voisins qui étaient également revenus pour constater les dégâts. «Beaucoup d’entre eux étaient en état de choc et de tristesse face à l’ampleur des destructions. Nous nous demandions à qui appartenait cette maison. Où est passé ce magasin? Comment retrouver cette rue? Lorsque j’ai vu des vidéos de la ville sur les réseaux sociaux, je me suis dit que les destructions n’étaient pas si graves. Mais la réalité est différente. C’est très effrayant. On a l’impression d’être dans un cauchemar douloureux.»
«La ville est devenue grise à cause des destructions et des décombres», a poursuivi Ahmed Suleiman. «Les couleurs et la joie de la ville ont malheureusement disparu. Je ne sais pas comment je vais y revenir avec mes enfants et vivre ici sans maison. Mon appartement est complètement détruit. Il n’y a aucune infrastructure dans la région. Je vais attendre un peu que les choses essentielles à la vie reviennent dans la ville, puis je monterai une tente à côté de la maison jusqu’à ce qu’elle soit reconstruite.»
Les rues sont désormais du sable
«La ville ressemble à une étendue déserte, maintenant», a déclaré Hanadi Al-Astal, 40 ans, à +972 lors de son retour à Khan Younès. Elle a fui la ville en décembre et s’est installée à proximité de l’Hôpital européen où elle et son mari travaillent, avec leurs cinq enfants.
«Chaque jour, je me disais que je retournerais bientôt chez moi», a-t-elle déclaré. «J’attendais le moment où l’armée se retirerait, et c’est donc avec beaucoup d’impatience que je me suis rendue sur place après leur départ le dimanche 7 avril. Je priais pour que tout se passe bien, que je puisse à nouveau dormir dans ma maison. Mais en marchant le long de la route, j’ai trouvé une grande désolation. Les rues sont réduites à du sable. J’ai pu voir quelques vestiges de la station-service, mais elle a été entièrement détruite au bulldozer.»
«Lorsque je me suis approché de ma maison, j’ai vu de terribles dégâts et j’ai eu très peur de ce que j’allais trouver à l’intérieur», poursuit Hanadi Al-Astal. «J’ai été choquée. Je suis entrée dans la maison et je l’ai trouvée brûlée. Il ne restait plus aucune pièce. La cuisine était entièrement brûlée. J’ai cherché dans ce qui était la chambre de mes enfants leurs vêtements et tout ce que je pouvais trouver d’utile. J’ai beaucoup pleuré. Mon cœur se consumait face à toute cette destruction. Je n’arrivais pas à y croire. Khan Younès est devenu un cauchemar. Ce n’est pas du tout un endroit où l’on peut vivre.»
Lorsque Hanadi Al-Astal est revenue à l’Hôpital européen [pas très éloigne de Khan Younès] avec les quelques vêtements qu’elle avait réussi à récupérer, sa fille était folle de joie. «Elle en était très heureuse, comme s’il s’agissait de nouveaux vêtements qu’elle voyait pour la première fois. C’étaient ses vêtements qu’elle portait souvent, mais elle perdait l’espoir de les revoir un jour. Elle m’a demandé de chercher d’autres de ses affaires, mais je ne sais pas si je pourrai y retourner. La maison n’est pas habitable. Ma tête va exploser à force de penser à l’avenir. Je ne sais pas ce que nous allons faire. Allons-nous y retourner et y installer une tente? Vais-je voyager en dehors de Gaza? J’ai besoin de beaucoup d’argent pour pouvoir partir. Je ne sais pas ce que nous allons faire.»
Mamdouh Khader, 33 ans, raconte que lorsqu’il est revenu à Khan Younès après un déplacement de deux mois à Rafah, il a marché pendant trois jours pour voir le plus possible de ce qui restait. «Je n’arrivais pas à croire à la destruction que j’ai vue», a-t-il confié à +972. «De nombreux points de repère ont été retirés de la ville. Mon quartier a été complètement détruit; c’était une montagne de gravats. Je n’ai pas pu retrouver ma maison.»
«Il y avait une aire de jeux en face de notre maison qui a été complètement détruite au bulldozer et qui s’est transformée en montagnes de décombres», a-t-il poursuivi. «J’ai cherché la mosquée qui se trouvait à côté de notre maison, mais elle n’était plus qu’un tas de gravats à cause des bombardements qui avaient frappé la région. J’ai marché vers l’hôpital Nasser le long d’une rue sablonneuse, qui avait été rasée au bulldozer, et le sable recouvrait les portes des écoles situées à côté de l’hôpital. Les cimetières situés derrière l’hôpital avaient également été rasés. Je me promenais et je me demandais: quelle est cette zone? Où est cet endroit?»
Malgré l’ampleur des destructions, Mamdouh Khader est déterminé à retourner vivre dans le quartier qui était autrefois le sien. «J’étais très fatigué pendant mon déplacement à Rafah, j’attendais à chaque instant de retourner dans ma ville. Malheureusement, l’occupation a complètement défiguré cette belle ville. Je ne sais pas comment elle se relèvera et retrouvera sa vitalité. Les destructions sont énormes et ne peuvent être décrite avec des mots. Mais j’attendrai que les conduites d’eau soient installées dans la région, je monterai une tente et j’y dormirai avec mes enfants.» (Article publié sur le site israélien +972 le 11 avril 2024; traduction rédaction A l’Encontre)
Ruwaida Kamal Amer est une journaliste indépendante de Khan Younès.
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