Grèce. Un bilan et une réflexion d’ensemble sur une victoire politique et sa dynamique possible

Manifestation à Athènes le 11 février 2015
Manifestation à Athènes le 11 février 2015

Interventions d’Antonis Ntavanellos
et de Sotiris Martalis

Le 7 février, nos camarades de l’ISO et de SocialistWorker.org organisaient une vidéoconférence avec Antonis Ntavanellos et Sotiris Martalis, deux membres de SYRIZA – le premier intégrant la Coordination exécutive, le second le Comité central – qui animent l’organisation DEA (Gauche ouvrière internationnaliste). Depuis cet entretien, diverses instances de l’Union européenne ont confirmé leur volonté de faire plier le gouvernement de SYRIZA en lançant une véritable guerre de classe contre les objectifs de ce gouvernement qui visent à répondre à des besoins élémentaires de la majorité de la population. Le 11 février 2015, une deuxième mobilisation, réunissant quelque 30’000 personnes à Athènes, à Thessalonique et dans de nombreuses villes, a eu lieu: en soutien au gouvernement et contre la politique des diverses institutions de l’UE. La pression énorme des instances économiques et politiques sur le gouvernement grec se traduit par diverses concessions. L’une porte sur le timing de la mise en place de l’augmentation du salaire minimum à 751 euros (en vigueur en 2009). L’autre tend à différer la fixation du seuil de non-imposition à 12’000 euros (actuellement 5000) au second semestre 2016. Or, il faut avoir l’esprit la profondeur de la crise sociale. Elle est révélée par une dernière enquête de Prolepsis Institute of Preventive Medicine, Environmental and Occupational Health publiée le mercredi 11 février 2015. Elle a été réalisée auprès de 64 écoles d’Athènes. Elle portait sur l’alimentation des enfants. 25% des familles des enfants souffraient de la faim, 60% d’insécurité alimentaire, c’est-à-dire d’insuffisance d’aliments. Et dans 61% des familles un des deux parents ne disposait d’aucun revenu (ni salaire, ni retraite) et 17% n’avaient aucun revenu. L’urgence de la réalisation des revendications sociales de base est confirmée par ces seules données. 

De plus, la privatisation d’une deuxième partie du port du Pirée est laissée ouverte, contrairement aux premières déclarations. Pékin considère ce port comme stratégique. Cosco Holding Co, en 2009, avait acquis une concession d’une durée de 35 ans pour  un terminal pour conteneurs. Le porte-parole du Ministère des finances chinois avait dit à l’époque que c’était «un modèle de coopération mutuelle bénéfique pour la Chine et la Grèce» (Wall Street Journal, 11 février 2015). Le ministre grec de la Marine, Theodore Dritsas,  marchande semble avoir changé de position. C’est un enjeu d’importance. D’autant plus que sont sur les rangs d’une acquisition la firme danoise A.P. Moller-Maersk et le plus grand opérateur des Etats-Unis, Ports America Inc.

Enfin, comme le souligne dans l’entretien Antonis Ntavanellos, les négociations sur la dette, du moins celles conduites par Varoufakis, changent de ton. Face à la mobilisation populaire, face à l’attente d’une concrétisation du programme électoral, face à l’expression d’une «dignité souveraine», quels seront les choix fondamentaux du gouvernement? Lors des manifestations du 11 février, le mot d’ordre «Non à 100% aux mémorandums» était très bien accueilli. La phase post-victoire politico-électorale entre dans sa première étape. Un des facteurs qui participera à la qualité et à la forme de son dénouement réside dans la solidarité internationale qui doit épauler l’adhésion à une politique gouvernementale grecque qui refuse un système de diktats légalisé. Il y a là un affrontement de classes que des analystes de la presse économique, par euphémisme, nomment «un choc de légitimités en Europe». 

Depuis quelques années, nous avons donné connaissances des activités, des analyses et des prises de position de nos camarades de DEA, cela en collaboration étroite avec nos amis de l’ISO. Nous jugeons que la traduction en français et la publication de cette vidéoconférence constitue un document fort important pour étayer la solidarité internationale avec les masses populaires grecques contre l’agression des instances de l’UE qui visent, aujourd’hui, le gouvernement de SYRIZA. (Rédaction A l’Encontre)

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Antonis Ntavanellos
Antonis Ntavanellos

Antonis Ntavanellos. La première chose importante à comprendre est le sens du 25 janvier (élections) comme victoire de la gauche aussi bien que de SYRIZA. Celle-ci est survenue dans un pays où, au cours du siècle passé, se sont succédé deux dictatures [celle de Metaxas, entre 1936 et 1941, suivie par la brutale occupation allemande entre 1941 et 1944; puis la dictature dite «des colonels» entre 1967 et 1974] et une guerre civile [1946-1949], au cours de laquelle la gauche a subi de terribles défaites. Il s’agit de la première victoire politique d’importance pour la gauche radicale de toute la période, depuis la fin des années 1940.

Cette victoire repose sur la résistance massive de la classe laborieuse au cours des cinq-six dernières années en Grèce. Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait au sein de la population, à travers tout le pays, un sentiment de joie et de fête.

Ce sentiment de fête a été renforcé par les déclarations que les ministres du nouveau gouvernement ont faites au cours des 10 jours faisant suite aux élections. Le gouvernement entrera officiellement en fonction lundi 9 février mais, avant cette date, alors que les nouveaux ministres prenaient possession de leurs ministères, ils exprimaient et faisaient déjà des choses importantes.

L’une d’entre eux, par exemple, tout de suite après avoir prêté serment, a annoncé qu’il serait mis un terme à la privatisation en cours du port du Pirée [une première tranche a été vendue à la société chinoise Cosco, une deuxième tranche était en voie de vente dans les derniers jours du gouvernement Samaras], le plus grand port maritime de Grèce [le premier ministre chinois Li Keqiang, en juin 2014, a déclaré que le Pirée serait «l’un des plus compétitifs du monde», et le port stratégique pour les exportations vers l’Europe].

Un autre minstre a indiqué qu’à compter de ce jour, la privatisation de l’entreprise publique d’électricité (DEI) serait stoppée. Il y a aussi eu des déclarations selon lesquelles l’on ne procéderait plus à des licenciements dans le secteur public et que 3500 employé·e·s pourraient retourner travailler.

Très rapidement, Alexis Tsipras a passé un accord avec les Grecs indépendants [ANEL, d’après les initiales grecques] afin qu’ils participent également au gouvernement. Une décision qui va à l’encontre de la position de SYRIZA sur la formation d’un gouvernement de gauche.

Il semblerait que hors de Grèce certaines personnes imaginent que SYRIZA a réalisé un accord avec un parti qui est semblable à Aube dorée. Ce n’est pas le cas. Les Grecs indépendants sont un parti qui est issu certe de la droite. Ils ont également pris une position claire contre les Mémorandums, ce qui les a conduits à modifier leurs positions conservatrices sur certaines questions spécifiques. Ainsi, ANEL soutient les privatisations dans son programme fondamental. Néanmoins, au cours des cinq dernières années, la formation s’est prononcée contre toute proposition concrète de privatisations du fait qu’elles sont menées dans le cadre des Mémorandums.

Dès que l’accord avec ANEL a été annoncé, notre organisation [DEA, Gauche ouvrière internationaliste, qui participe à la Plateforme de gauche au sein de SYRIZA] a publié une déclaration contre cette alliance avec les Grecs indépendants [voir sur ce site la déclaration de nos camarades de DEA publiée sur ce site le 28 janvier]. Nous avons affirmé que cette décision allait à l’encontre des déclarations prises lors des conférences de SYRIZA qui rejetaient les alliances avec les partis de centre gauche – ce qui signifiait, sans aucun doute, que ce principe englobait également le centre droit. Nous disions que l’alliance avec l’ANEL serait une courroie de transmission des pressions conservatrices sur le gouvernement.

Mais, pour être honnête, je pense que l’attention des socialistes révolutionnaires, dans les jours à venir, ne devrait pas être centrée sur les Grecs indépendants plus que sur d’autres facteurs qui sont bien plus importants dans la détermination de ce que fera ou non le gouvernement. La menace que posent les Grecs indépendants sera pour nous un problème «aisé» à résoudre en comparaison avec des problèmes plus importants, tels que faire face aux «prêteurs internationaux», à la classe dominante grecque, ainsi qu’avec l’Etat actuel.

Suite à la formation du gouvernement les négociations avec les créditeurs de la Grèce ont débuté. L’Union européenne, la Commission européenne, la Banque centrale européenne en parallèle avec le gouvernement allemand ont pris une position très dure. Ils tentent d’humilier le gouvernement grec nouvellement élu avec pour objectif clair son isolement et, finalement, son renversement.

Face à eux: le nouveau ministre des Finances, Yanis Varoufakis – qui n’est pas un membre de SYRIZA; c’est un ancien social-démocrate –a été choisi à ce poste par la direction de SYRIZA. Il tente de manœuvrer contre les pressions exercées par l’Union européenne en modifiant les positions de principe de SYRIZA sur les questions de la dette dans l’espoir d’aboutir à un compromis avec Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand.

Nous ne savons pas quelle sera l’issue de cette manœuvre. Il s’agit d’une situation nouvelle et imprévisible. Mais nous savons très bien l’importance des changements en Grèce: ils sont immenses, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Une opinion majoritaire existe dans le pays: on doit soutenir le gouvernement. Mais également le gouvernement ne doit pas se compromettre avec les créanciers. Il y a deux jours, au soir du 5 février, avec très peu d’organisation et sur un appel de dernière minute, plus de 10’000 personnes se sont rassemblées sur la place Syntagma [Constitution] afin de rendre visible leur soutien au gouvernement tout en exigeant qu’il ne recule pas.

Ce sera une situation très compliquée. Même si la direction de SYRIZA souhaite réaliser un compromis, il n’est pas du tout certain qu’elle y parvienne. Il y a de nombreux indices qui montrent que le mouvement de la classe laborieuse en Grèce est déterminé à se battre et, désormais, il y a l’espoir qu’à la suite de la victoire de SYRIZA, je le pense, que ce mouvement peut mener une lutte à un niveau plus élevé.

Nous devons toutefois nous souvenir également de l’importance des changements à l’échelle internationale. Je me trouvais, il y a quelques jours, en Allemagne où je m’exprimais lors d’une rencontre publique au sujet du gouvernement de gauche en Grèce. Les personnes présentes affirmèrent que c’était la première fois, en vingt ans, qu’une discussion publique se tenait en Allemagne sur une autre voie que celle du néolibéralisme ou du social-libéralisme. C’est quelque chose de très important. Vous pouvez voir une alternative en Espagne: l’autre exemple d’un succès électoral de la gauche, après celui de SYRIZA, est celui [possible] de Podemos, au-delà des différences. C’est là une réelle menace politique pour les classes dominantes d’Europe et pour le leadership de l’UE.

Je ne sais pas précisément ce qui va se passer. Personne ne le sait. Nous pouvons gagner tout comme nous pouvons être battus. Nous ne connaissons pas la fin de l’histoire. La seule chose que je puisse vous dire est que nous nous battrons pour gagner. Personne n’oublie que SYRIZA est un genre de parti particulier: il s’agit d’un réseau d’activistes fortement ancrés à gauche et qui sont loin d’être battus.

A propos de questions sur le gouvernement, SYRIZA et les courants en son sein…

Antonis Ntavanellos. On nous a demandé quelles étaient les réactions des mouvements de masse vis-à-vis du nouveau gouvernement. Il est trop tôt pour répondre. Le gouvernement n’a pas même, jusqu’ici, officiellement présenté son programme, nous nous trouvons vraiment au tout début.

Il y a eu une manifestation il y a quelques jours sur la place Syntagma en soutien du gouvernement et contre les menaces de Schäuble. Il y a, en outre, des discussions et des réunions au sein des syndicats et sur de nombreux lieux de travail au sujet des revendications qui peuvent être adressées au gouvernement et sur comment aboutir à des solutions. C’est le point où l’on se trouve en ce moment même.

C’est encore tôt. Par exemple, les travailleurs d’ERT [la chaîne de radio-télévision publique, fermée par le gouvernement Samaras en juin 2013, et disposant d’un signal dans l’ensemble du pays] affirment que, pour l’instant, ils attendront que le gouvernement présente ses solutions de réouverture de la station. Nous discutons avec ces travailleurs au sujet de la nécessité qu’il y a de mobiliser pour que cela se produise le plus rapidement. Mais leur attitude indique que le sentiment partagé jusqu’à maintenant est que le gouvernement agit dans la bonne direction.

Pour ce qui est de la Plateforme de gauche et de la gauche au sein de SYRIZA: tous les courants radicaux au sein de SYRIZA, à l’exception de DEA, participent au gouvernement.

Par exemple le Courant de gauche [dont la figure est Panagiotis Lafazanis], qui forme avec nous la Plateforme de gauche, détient quatre importants ministres au sein du nouveau gouvernement. L’aile plus à gauche parmi les partisans du courant auquel appartient Tsipras – le courant de la Gauche Unie – a cinq ministres. DEA a fait élire deux de ses membres au Parlement, l’une est membre de DEA, l’autre est une sympathisante de la région de Kalamata. Il s’agit de deux femmes et l’une est la plus jeune du Parlement grec.

En ce qui concerne l’attitude de la classe dominante grecque vis-à-vis de SYRIZA et le conflit dans ce domaine, c’est une question pour l’instant secondaire car la principale est celle des négociations avec l’Europe sur la dette.

La classe dominante grecque ne soutient pas le gouvernement, mais demande qu’il fasse des compromis avec l’UE. De son côté, la direction de SYRIZA tente de convaincre la classe dominante – par le biais des médias – que Tsipras trouvera une solution sans crise majeure. Mais tout cela n’est que spéculations car fondé sur l’idée que Schäuble acceptera un compromis et, aussi, que la base sociale de SYRIZA et ses membres accepteront un compromis.

En fait, cela n’est absolument pas certain – des deux côtés. Je pense que Schäuble ne peut pas même accepter la proposition la plus modérée de Yanis Varoufakis, laquelle s’oppose aux positions sur lesquelles SYRIZA s’est engagée. Il est, en outre, déjà possible d’entendre des voix au sein de SYRIZA qui protestent contre les concessions contenues dans le plan de Varoufakis.

Je pense que nous ne sommes qu’au premier chapitre du livre. Le deuxième chapitre portera sur la soumission à l’impôt des entreprises et des riches; sur l’arrêt des privatisations et l’exigence que les entreprises et compagnies les plus importantes déjà privatisées reviennent [aux mains de l’Etat]; et, par-dessus tout, sur la question du contrôle des banques.

Il y avait une question au sujet d’Aube dorée, de l’islamophobie et de la ligne de SYRIZA en ce qui concerne les migrant·e·s en Grèce. Les résultats d’Aube dorée ont constitué le seul point sombre des élections. Ils étaient légèrement plus faibles que lors des précédentes élections, mais ils obtiennent toujours plus de 6% des suffrages.

Le point principal est qu’Aube dorée a été contraint de changer la manière dont il opère pour conserver son influence. Il y a encore six mois, le parti était structuré autour de démonstrations de violence dans la rue: des attaques par des voyous nazis contre des immigré·e·s, des gays, des syndicalistes et des activistes de gauche.

Après la mort de Pavlos Fyssas [un musicien de hip-hop de gauche assassiné par un membre d’Aube dorée en septembre 2013] et les mobilisations de masse qui obligèrent la Nouvelle Démocratie et l’Etat à entreprendre des actions judiciaires contre Aube dorée, cette orientation s’est effondrée. Désormais les nazis réfléchissent à la possibilité de se tourner vers une stratégie électorale et s’ils doivent coopérer avec Antonis Samaras.

Cela en raison d’une crise importante qui s’est ouverte au sein de la Nouvelle Démocratie à la suite de leur défaite électorale. Il y a un affrontement entre la stratégie de droite dure de Samaras et les politiques ainsi que les positions traditionnelles de centre droit autour de Kostas Karamanlis [du clan familial Karamanlis; en 1974, Konstantinos Karamanlis a créé la ND]. De nombreux partisans de Karamanlis accusent Samaras d’avoir transformé la Nouvelle Démocratie en un groupuscule d’extrême droite.

Au sujet de l’islamophobie, SYRIZA est un parti qui a grandi dans le combat contre le racisme. Ainsi, pour la large majorité de nos membres et sympathisant·e·s, l’islamophobie est une chose contre laquelle nous nous battons. Des sections locales de SYRIZA organisent la solidarité avec les immigré·e·s et combattent l’islamophobie, bien que ces initiatives soient surtout prises au niveau de la base.

Le nouveau gouvernement a nommé Tasia Christodoulopoulou, une militante antiraciste, une radicale, comme ministre responsable des questions d’immigration. Tous les autres partis, à commencer par ANEL jusqu’à à la Nouvelle Démocratie et au PASOK, s’y opposent et demandent comment une militante radicale peut être une ministre et appliquer les lois sur l’immigration.

Dans un mois il y aura une manifestation exigeant un statut légal pour les immigré·e·s, pour l’attribution de l’intégralité des droits civiques aux enfants d’immigré·e·s, l’acceptation des réfugié·e·s qui fuient la guerre ainsi que la suppression des camps où les immigré·e·s sont détenus. Il s’agit d’une bataille en cours, mais nous nous trouvons désormais dans une position bien meilleure que par le passé.

Pour ce qui a trait des relations de SYRIZA avec les autres partis grecs, la première chose qu’il faut dire est qu’il ne s’agissait pas seulement d’une victoire électorale pour SYRIZA, mais d’une importante victoire politique.

Observons l’image d’ensemble. SYRIZA a obtenu 36,3% des suffrages. L’ancien parti gouvernemental, la Nouvelle Démocratie, a atteint 27,8% et tous les autres partis – y compris le PASOK, qui était le principal parti du centre gauche – se situent à environ 6% ou moins. Ceci indique la prépondérance de SYRIZA au sein du nouveau parlement, ce qui offre au gouvernement de nombreuses possibilités de renforcer sa position – à condition qu’il les utilise.

L’une des premières actions du nouveau Parlement, par exemple, a été d’élire une présidente. La candidate présentée par SYRIZA, Zoe Konstantopoulou, a obtenu 235 voix sur 300. Cela signifie que bien plus de député·e·s que les seuls membres de SYRIZA – ceux du KKE, des partis de centre-gauche – ont voté pour la candidate de SYRIZA.

Au sujet des deux autres partis de la gauche: le KKE a maintenu son hostilité concernant la possibilité d’une coopération avec SYRIZA, ce que les gens appellent une attitude sectaire. A mon avis leur attitude n’est pas simplement sectaire, mais elle est aussi complètement politiquement abstentionniste et passive. Ils continuent d’attaquer SYRIZA en premier, avant, ensuite, de s’en prendre à la Nouvelle Démocratie. Le parti a maintenu qu’il ne soutiendrait pas SYRIZA en cas d’un vote de tolérance [ce qui aurait permis à SYRIZA de conduire un gouvernement sans rechercher des alliances].

A mon avis, je dirai que Tsipras a fait un grand cadeau à la direction du KKE en réalisant immédiatement un accord en vue de la formation d’un gouvernement avec le soutien et la participation des Grecs indépendants. S’il avait insisté pour se présenter devant le Parlement en demandant un vote de tolérance sur le programme de SYRIZA – ce que, bien entendu, nous soutenons – je crois que le KKE se serait trouvé dans une posture très difficile en maintenant son orientation sectaire, sans que SYRIZA perde d’autres soutiens.

ANTARSYA est en difficulté. Ses résultats électoraux étaient légèrement meilleurs [0,6%] que ceux obtenus lors des élections parlementaires de juin 2012, mais ils sont inférieurs à ceux de mai 2012. Actuellement la coalition est très divisée en son sein. Une partie soutient à juste titre le gouvernement SYRIZA alors qu’une autre poursuit son rejet.

C’est là où en sont les choses pour SYRIZA et les autres partis de la gauche. Ceci étant, je crois que la question du rapport de forces au sein de SYRIZA est la question la plus importante.

La gauche au sein de SYRIZA est composée de la Plateforme de gauche – qui réunit DEA et le Courant de gauche. Lors de la dernière conférence, la Plateforme de gauche a gagné 30% des votes des membres de SYRIZA et chacun considère qu’à la suite de la conférence (de juillet 2013) la Plateforme de gauche s’est renforcée.

Un nouveau développement réside dans une rupture parmi les partisans de Tsipras au sein de son courant dit de la Gauche unie. Cette scission en direction de la gauche a été annoncée publiquement par le biais d’une lettre ouverte signée par 53 cadres de SYRIZA – on y fait donc référence en parlant de la lettre des 53. Le point important est que si l’on ajoute le soutien obtenu par la Plateforme de gauche à celui des 53, ensemble, les deux aboutissent à une partie importante du Comité central de SYRIZA.

Cette situation explique pourquoi Tsipras et la direction du parti n’ont pas convoqué de réunions du Comité central et qu’ils ont agi seuls dans les dernières semaines conduisant aux élections. Ils ont pu faire cela sans dommage pour eux, mais la pression à l’intérieur du parti sur ces questions de démocratie est forte et s’accroît.

Il semble que la direction planifie une réorganisation du parti, ce qui signifie qu’une nouvelle conférence sera convoquée très rapidement avec l’élection d’un nouveau Comité central. Par ce biais Tsipras peut espérer modifier les rapports de force au sein de SYRIZA en sa faveur et en défaveur de la gauche. Cela fonctionnera-t-il? Nous verrons. Cela ne serait pas une tâche aisée. Mais, pour être tout à fait honnête, la nouvelle situation ouverte par les élections est confuse et chaotique et personne ne sait exactement ce qui va ensuite se passer.

Antérieurement, j’ai dit que les autres forces de gauche au sein de SYRIZA, à l’exception de DEA, ont accepté de participer au gouvernement. Nous avons décidé de ne pas participer – pas seulement aux postes gouvernementaux, mais également à des postes dans l’appareil d’Etat. Nous tenterons de rester une force présente dans les mouvements sociaux ainsi que dans la Plateforme de gauche au sein de SYRIZA.

Je vais maintenant dire quelque chose au sujet de DEA. Nous sommes toujours une petite organisation, bien que nous ayons doublé notre taille depuis nos débuts. La plus importante chose à dire est que nous sommes une organisation très saine, disposant de relations dans de nombreux syndicats, mouvements sociaux et organisations locales de SYRIZA. Nous l’avons fait de manière ouverte, en tant que membres de DEA, représentant notre organisation.

Nous avons renforcé DEA. Au moyen, par exemple, d’une campagne sérieuse autour de notre journal. Nous réalisons un journal bien plus conséquent et, pour la première fois, notre journal est vendu non seulement par nos membres mais aussi dans des centaines de kiosques, ce qui est un pas en avant important pour nous.

Certains, au sein de SYRIZA, estiment que la gauche est actuellement isolée. Nous n’avons pas ce sentiment. Nous savons que notre position dans SYRIZA est minoritaire, mais nous avons une très grande audience, un large cercle de sympathie qui respecte les positions politiques que nous prenons.

Je voudrais aussi faire quelques commentaires sur la situation hors de Grèce, en Europe. Les politiques d’austérité et néolibérales qui dominent encore, ainsi que les gains obtenus par des partis de droite dans des pays comme la France et l’Italie forment une partie du tableau. Mais nous ne devrions pas perdre de vue les signes de changement. La victoire électorale de SYRIZA en Grèce est un exemple. Le soutien important en faveur de Podemos en Espagne en est un autre [selon un sondage publié dimanche 8 février 2015, plus de 27% des personnes sondées voteraient pour Podemos si les élections législatives – de novembre 2015 – se tenaient maintenant]. Sinn Fein a réalisé des gains en Irlande et, pour la première fois après plusieurs années, de bonnes nouvelles proviennent du Portugal. Il y a aussi en Allemagne des signes qui montrent que la situation peut changer.

Cependant, une fois cela dit, il est absolument clair que les gouvernements et les institutions européennes s’attaqueront au programme que SYRIZA met en avant. Contre cela, toutes les forces radicales au sein de SYRIZA partagent un slogan: «pas un pas en arrière». Nous insistons sur notre programme et nous agirons pour le mettre en œuvre – pour utiliser une référence des mouvements aux Etats-Unis – par tous les moyens nécessaires [«by any means necessary», phrase prononcée par Malcolm X].

Et la formule «par tous les moyens nécessaires» inclut la compréhension que l’affrontement avec l’Union européenne pourrait signifier la sortie de l’euro et un retour à une monnaie nationale. Nous n’en sommes pas partisans comme premier choix, ou, pire, comme une méthode visant à sauver le capitalisme grec de la crise. Il ne s’agit pas d’un plan B pour une relance économique en Grèce, ainsi que certains économistes l’ont proposé. Au contraire, il s’agit d’une orientation politique affirmant que nous sommes déterminés à renverser l’austérité et que nous terminerons cette tâche par tous les moyens nécessaires.

 

Sotiris Martalis. Je voudrais faire un commentaire au sujet des rapports entre SYRIZA, les syndicats et le KKE.

Sotiris Martalis
Sotiris Martalis

Les forces de SYRIZA au sein des syndicats se sont accrues au cours de la dernière période. Toutefois, jusqu’à maintenant, la plupart des syndicats sont dirigés par des sociaux-démocrates (PASOK). Sur la plupart des questions ils gagnent avec le soutien de forces plus conservatrices (ND). Mais, au cours de l’année dernière, il y a eu de nombreuses divisions, les forces de SYRIZA se retrouvant dans une position plus forte, ce qui a conduit certains sociux-démocrates à nous approcher en nous soutenant ou en proposant des alliances. Nous sommes convaincus que ce mouvement va se poursuivre et que SYRIZA continuera à se renforcer dans les syndicats.

Des membres du KKE ont mené une politique sectaire aussi bien au sein des syndicats qu’au niveau politique. Durant longtemps le KKE et ANTARSYA ont formulé des revendications similaires à celles de SYRIZA: arrêter les licenciements, réengager les employé·e·s du secteur public, rouvrir des services publics et des entreprises qui ont été fermées ainsi que mettre un terme aux diminutions de salaires. Désormais ils discutent de l’exigence que le gouvernement augmente immédiatement les salaires de 35% ou plus, au niveau de 2009. On remarque qu’il s’agit là non d’une politique visant à ancrer SYRIZA à gauche mais plutôt à diviser la lutte.

Je partage l’opinion d’Antonis selon laquelle DEA n’est pas isolée au sein de SYRIZA: nous savons qu’une grande partie de la gauche de SYRIZA considère DEA comme une composante importante de la Plateforme de gauche et continuera à trouver des manières de travailler avec nous. Je voudrais aussi ajouter qu’en décembre DEA a tenu une conférence d’unification avec une plus petite organisation, Kokkino, qui a fusionné de telle sorte que nous sommes plus forts et plus capable de nous construire au sein de SYRIZA.

Pour ce qui a trait à l’attitude des travailleurs et des forces populaires vis-à-vis du nouveau gouvernement, de nombreuses décisions symboliques ont permis à SYRIZA de recevoir un soutien important. Le jour après les élections, par exemple, Tsipras a marqué des points en se rendant au monument national de la résistance à Kaisariani, où des nazis exécutèrent 200 personnes, la plupart d’entre eux communistes, le 1er mai 1944 lors de l’occupation de la Grèce au cours de la Seconde guerre mondiale. Tsipras y a déposé une couronne en mémoire des victimes.

Ce même premier jour, les travailleurs ôtèrent les grilles qui entouraient le Parlement. Celles-ci étaient destinées à arrêter les manifestant·e·s. Au même moment, les nouveaux ministres annonçaient que SYRIZA honorerait ses promesses de mise en œuvre de mesures telles qu’élever à nouveau le salaire minimum de 530 euros à 751 [ce qui a été reporté à 2016], de rétablir les conventions collectives de travail, de ne pas imposer les revenus des gens en dessous de 12’000 euros, etc.

Tout cela donna beaucoup d’élan au gouvernement ainsi que beaucoup d’espoir aux gens qu’il restera ferme sur ses engagements. Il nous reste à voir comment le gouvernement fera face aux créanciers internationaux afin de disposer d’argent pour honorer ces promesses.

 

Antonis Ntavanellos. Je vais commencer par parler du mouvement de la classe laborieuse avant les élections. Il est manifeste que la Grèce a connu un important mouvement de résistance jusqu’en 2012. Entre 2010 et 2012, il y a eu plusieurs grèves nationales et/ou journées d’action nationales ainsi que de nombreuses batailles sur les lieux de travail, qui formèrent la colonne vertébrale des manifestations de masse impliquant la participation de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Cette expérience était importante pour la classe laborieuse de bien de manières. La plus importante a cependant été qu’elle a enseigné aux travailleurs et travailleuses que pour que leurs revendications mêmes minimales contre l’austérité soient satisfaites, ils devraient battre le gouvernement et expulser la Troïka. Les travailleurs grecs ont tenté de le faire grâce à leurs propres luttes et manifestations, mais, à ce point, ils durent faire face à la force nue de l’Etat. Nous nous sommes trouvés devant non seulement la police, mais aussi devant les forces spéciales militaires, avec leur armement.

C’était une expérience très difficile et, à partir de 2012, les travailleurs ont reporté leurs espoirs sur les élections comme moyen de battre les gouvernements des Mémorandums. La conclusion peut être résumée ainsi: nous pouvons préférer les luttes qui mettent la classe laborieuse au centre de la scène socio-politique, mais nous ne pouvons choisir les conditions auxquelles nous sommes confrontés.

Il est important de dire que cela n’a pas constitué un tournant à droite depuis 2012. C’est une chose tout à fait claire. C’est pourquoi SYRIZA a gagné. Parce que la masse de la classe laborieuse tente de réaliser des changements de leurs conditions en soutenant une alternative de gauche aux élections. D’où l’importance de la perspective effectivement de gauche, avec le débat qui s’en est suivi et qui continue.

En parallèle, bien entendu, des luttes sociales et de travailleurs continuaient. Je pense que c’est un fait important dont chacun devrait se souvenir car cela implique que les conditions pour qu’un grand mouvement réapparaisse très rapidement existent. Ceci constitue un message pour la classe dominante, mais aussi pour le nouveau gouvernement.

Je veux dire aussi quelque chose au sujet du Mouvement des places, la croissance des assemblées populaires, etc. Si on les considère avec du recul, ils n’ont pas eu un impact aussi important que beaucoup de gens hors de Grèce le pensent. Pour un moment, les occupations d’espaces publics étaient très importantes, mais ce mouvement n’est pas allé très au-delà.

Je crois qu’ici en Grèce – bien que cela ne soit pas vrai pour de nombreux pays – la force sociale centrale du mouvement de résistance a été la classe laborieuse organisée. Par organisée, j’entends structurée sur les lieux de travail, prête à mener des grèves et des luttes. Nous n’avons pas eu, en Grèce, le même genre de sentiment que ce que les gens appellent «anti-parti» ou «anti-politique». Il est essentiel de reconnaître que la majorité des travailleurs estiment que pour faire aboutir un changement dans leurs vies, ils doivent soutenir un parti de gauche aux élections.

Dans les circonstances concrètes actuelles, différentes forces de la gauche – y compris DEA et le Courant de gauche, au sein de SYRIZA – soutiennent l’idée de reconstruire les comités populaires, c’est-à-dire unifier les organisations locales de résistance. Nous ne sommes qu’à un stade balbutiant, c’est une chose dont nous débattons et que nous préparons, mais qui n’est pas encore réalisée.

Dans l’Etat espagnol le développement de la résistance a été différent. Là, le mouvement d’occupation des indignad@s était une composante bien plus forte de la résistance. Je crois que c’est ce qui est au fondement de la création de Podemos. Au sein de Podemos, nous entretenons des liens avec Anticapitalistas. Je pense que c’est l’effort le plus sérieux de structuration au sein de Podemos contre l’influence de ces idées anti-politiques ou opposées à la gauche qui pourraient sérieusement porter atteinte à ce mouvement qui suscite tant d’espoirs.

Le mouvement Podemos est très important pour la Grèce. Peut-être que l’événement le plus important pour nous après les élections a été la manifestation massive à Madrid organisée par Podemos [le 31 janvier], réunissant des centaines de milliers de personnes manifestant en solidarité avec la Grèce et faisant la démonstration de l’unité de la résistance à travers l’Europe [voir l’article, sur ce site, La Marcha del cambio et au-delà].

Quelqu’un a posé une question sur les partis socialistes en Grèce et sur la raison pour laquelle ils ne s’étaient pas déplacés sur la gauche à l’occasion de la crise. L’explication, selon moi, réside dans les pratiques des partis socialistes au cours des 20 ou 30 dernières années. Ils se sont déplacés fortement vers la droite, ce qui a impliqué l’établissement de liens avec les classes dominantes qu’ils ne peuvent briser maintenant. Je pense qu’il est impossible pour le SPD, en Allemagne, de revenir à ce qu’il était dans les années 1970.

Ceci dit, je crois que le seul chemin que l’on puisse emprunter est celui que nous avons parcouru en Grèce. Pour que la gauche croisse, elle doit ignorer les partis socialistes. Le PASOK, en Grèce, qui a été l’un des partis socialistes les plus forts d’Europe, n’existe plus, en fait. Il a obtenu moins de 5% du vote et il ne peut plus mobiliser les gens dans des manifestations.

A propos de la question sur l’importance de l’augmentation du salaire minimum à son niveau antérieur à l’austérité. C’est une question cruciale. Ce n’est pas seulement pour les conditions auxquelles les travailleurs sont payés au salaire minimum. Plus important, cette mesure, en parallèle avec le rétablissement des conventions collectives de travail, envoie un message politique à la majorité de la classe laborieuse: nous commençons à marquer des points, et il y en aura d’autres à l’avenir. Le titre de la une de notre journal en ce moment est le suivant: «Nous allons tout reprendre».

Le salaire minimum a un impact sur les revenus à tous les niveaux. Si le salaire minimum croît, il poussera tous les salaires au-dessus de son niveau. Cela est donc très important et je suis convaincu que nous allons voir la classe dominante faire des pressions sur Tsipras pour qu’il renvoie cette mesure à plus tard et recule là-dessus.

Quels sont les obstacles que SYRIZA place devant les mobilisations de la classe laborieuse? Je crois que la réponse à cette question est celle-ci: il n’y en a pas. Nous devons modifier notre manière de penser, pour le moins sur les conditions qui existent en Grèce. Nous ne pouvons expliquer que tout ne fonctionne pas en affirmant que les problèmes sont causés par la direction. Il y a quelque chose d’autre qui est très important: les rapports de force au sein de la société.

Cela ne signifie pas que la direction de SYRIZA n’a aucune responsabilité sur ce qui se passe. Elle a des responsabilités sérieuses et nous exigeons qu’elle se montre à la hauteur. Mais, en réalité, il n’y a pas un bouton magique sur lequel Tsipras peut appuyer et provoquer des mobilisations de la classe laborieuse en Grèce.

Le fait que notre courant politique ait une stratégie et une tactique de transition est très important. Nous partons des conditions réelles du mouvement de la classe laborieuse et nous tentons d’avancer des étapes concrètes afin d’obtenir des gains et d’augmenter la confiance des travailleurs en eux-mêmes. Je profite de cette occasion pour remercier à nouveau Haymarket Books [éditeur de gauche radicale aux Etats-Unis] pour avoir contribué à la publication en Grèce d’un livre sur le IVe Congrès de l’Internationale communiste. Nous pensions qu’avec nos relations avec SYRIZA, nous dégageons un nouveau chemin pour les socialistes [c’est-à-dire la gauche socialiste radicale]. Mais, à la lecture de ces documents, nous avons réalisé que la voie avait été empruntée il y a quelques années… Introduire ces idées, dans un livre [DEA a publié une partie du livre en anglais mentionné ci-dessus], destiné à la gauche grecque a été d’une grande aide pour nous.

Cela m’amène à parler des leçons que l’on peut retenir dans d’autres pays de l’expérience de SYRIZA. A ce point, je dois être très honnête. Il n’est pas possible, pour quiconque, de transférer ces leçons à l’échelle internationale pour la gauche. SYRIZA est le résultat concret de conditions concrètes de la lutte de classe concrète en Grèce.

Personne ne peut expliquer le développement qu’a connu SYRIZA sans tenir compte des mobilisations massives de la classe laborieuse il y a trois ans. C’est ce qui est à la base de la montée de SYRIZA et de sa victoire lors des élections. Mais cela n’était pas le seul facteur. Il y a dix ans, il y avait en Grèce d’immenses mobilisations contre la mondialisation capitaliste, la création du Forum social grec ainsi qu’un mouvement contre la guerre. Ceci constitue également l’une des racines de SYRIZA.

A la suite de cette expérience, nous avons tenté de continuer ce que nous avions commencé dans le Forum social grec en constituant une formation politique. Dix ans après la fondation de SYRIZA, nous sommes heureux de dire que nous avons fait un excellent travail. Mais il faut souligner que c’est une période de 10 ans de batailles, de développements spécifiques à la gauche grecque, etc. Nous ne pouvons donc distribuer des leçons à quiconque.

Une fois que nous avons posé cela, ainsi que je l’ai dit auparavant, il est très important pour quelque courant politique que ce soit de tenir à certaines idées stratégiques fondamentales. Ici, je crois que le concept de revendications transitoires et la stratégie qui l’accompagne sont très importants. C’est la raison pour laquelle nous faisons référence à Lénine, à Trotsky et à Rosa Luxemburg. Avec ces idées, nous avons passé de moments où nous nous trouvions en petite minorité à d’autres où nous sentons que nous nageons dans le courant.

Je voudrais m’arrêter plus longtemps sur la question de la sortie de l’euro. Ainsi que je l’ai dit, notre approche sur cette question se situe par rapport à ce qui nous rapprochera du socialisme. Elle n’est donc absolument pas la même que celle d’économistes qui pensent que la sortie de l’euro allégera la crise grecque dans le cadre du capitalisme.

C’est pourquoi nous n’avons pas l’impression de dire la même chose que Costas Lapavitsas [économiste de gauche, élu au Parlement grec le 25 janvier, représentant SYRIZA]. Costas est un radical. Ses propositions pour sortir de l’euro viennent de la gauche, mais nous ne sommes pas d’accord avec l’idée que changer de monnaie poussera la société grecque hors de la crise. Si les rapports de force entre les travailleurs et la classe dominante restent les mêmes, le passage à une monnaie nationale pourrait être un désastre pour les travailleurs en leur faisant porter tout le poids d’une immense dévaluation.

Passer à une monnaie nationale fondée sur une dévaluation permanente afin que l’économie grecque devienne plus compétitive avec d’autres pays ne constitue pas précisément une marche en direction de l’émancipation sociale. Cela peut être une progression vers une misère et pauvreté pires encore.

D’un autre côté, toutefois, nous préférons les idées économiques avancées par Lapavitsas à celles de Yanis Varoufakis. Les idées de Varoufakis sont simplement social-démocrates. Il est convaincu qu’il détient un mécanisme plus intelligent pour négocier sur la dette, avec lequel la Grèce payera toute la dette, mais de telle sorte que personne ne perde: ni les travailleurs grecs, ni les créanciers, personne. Il propose que la Grèce puisse émettre de nouvelles obligations conditionnant les remboursements à la croissance de l’économie grecque, aux taux d’intérêt de l’Euribor proposé par les banques et d’autres choses encore.

Je pense que l’espoir de Varoufakis d’éviter l’affrontement avec la classe dominante et de sauver l’économie grecque au moyen de ses idées financières est simplement un fantasme social-démocrate qui conduira à un grand revers. Je ne suis pas du tout sûr que Schäuble acceptera ce que Varoufakis propose. Dans quelques jours les ministères des finances de l’Eurogroupe se réuniront pour discuter du plan et prendre une décision [la nuit du 11 au 12 février]. Cela sera un moment de vérité pour le nouveau gouvernement.

Ainsi que je l’ai dit, nous ne partons pas de la question de savoir si la Grèce devrait rester dans l’euro ou partir. Nous partons de l’idée que nous devons organiser notre classe afin d’affronter et de renverser l’austérité. De cette manière, nous pourrons dégager la voie pour quitter l’ère du néolibéralisme pour se diriger vers le socialisme.

Je finirai avec la question de l’accord entre SYRIZA et ANEL ainsi qu’avec les discussions au sein de la Plateforme de gauche. Nous ne sommes pas d’accord avec la conclusion d’une alliance avec ANEL. Ce n’est pas seulement parce que ANEL est lié avec l’Eglise orthodoxe grecque ou parce que c’est un parti nationaliste grec dur. Tout cela est vrai, mais le problème principal est que la présence d’ANEL dans un gouvernement de la gauche sera la courroie de transmission pour que la classe dominante fasse pression sur le gouvernement.

C’est pourquoi nous nous opposions à un accord avec ANEL depuis le début et c’est pourquoi soyez certain que nous serons les premiers à faire pression pour que le fondateur d’ANEL, Panos Kammenos [ministre de la Défense], sorte du gouvernement aussi rapidement que possible. Franchement, je crois que cela sera une chose aisée lorsque le moment arrivera.

Il y a cependant un autre danger dont les gens devraient être conscients. Martin Schulz (SPD), le président du Parlement européen et le leader de l’alliance européenne des partis de centre gauche, est venu à Athènes et il a déclaré que c’était une honte pour SYRIZA de faire une alliance avec les Grecs indépendants. Son alternative était que SYRIZA devrait s’allier avec le PASOK.

C’est une pure hypocrisie. Au cours des trois dernières années, les socialistes européens soutenaient un gouvernement Nouvelle Démocratie auquel participait le PASOK et dont le premier ministre de droite dure avait des relations avec Aube dorée. Et maintenant ils parlent de lutter contre la droite?

Je pense que Tsipras a conclu cet accord avec les Grecs indépendants parce qu’il voulait former un gouvernement le jour suivant les élections. S’il avait été contraint d’agir comme nous le proposions – c’est-à-dire attendre deux semaines jusqu’à l’ouverture de la nouvelle session du Parlement et chercher un vote de tolérance pour que SYRIZA gouverne seul – cela aurait impliqué qu’Antonis Samaras reste en poste deux semaines supplémentaires et il se serait trouvé en position de faire des choses très dommageables, comme le retrait massif de dépôts bancaires [bank run] ou la fermeture de certaines grandes entreprises afin de créer un climat de panique. Cela aurait pu créer les conditions pour que le Parlement n’accepte pas les résultats des élections.

Je pense donc que Tsipras a agi aussi rapidement que cela parce qu’il craignait que deux semaines soient un moment long et dangereux dans une situation comme celle-ci. C’est la raison pour laquelle les discussions au sujet d’ANEL sont plus sereines en Grèce. Tout le monde sait que c’est un problème, mais c’est un problème auquel nous pouvons nous affronter. Il y a des menaces plus dangereuses pour la gauche que la présence d’ANEL au gouvernement.

Les discussions au sein de la Plateforme de gauche sont donc très difficiles. Dans des moments politiques cruciaux, la formation et l’affiliation politique de chaque composante de SYRIZA feront surface. Ainsi, par exemple, en raison de notre tradition politique, il était plus aisé pour DEA de remarquer les problèmes posés par les idées de Varoufakis – au contraire des camarades du Courant de gauche, dont les origines sont staliniennes et dont le Front populaire constitue un héritage important.

Il y a donc des confusions parmi la gauche de SYRIZA, mais les expériences concrètes nous permettent de les traverser, nous pouvons affronter cette confusion. Avant l’ouverture du Parlement, par exemple, nous avons agi avec d’autres courants de SYRIZA pour enrayer toute tendance au sein de parti visant à saper l’importance des engagements sur le salaire minimum et d’autres propositions faites par SYRIZA.

Voilà la situation. Elle est très difficile et compliquée et la seule chose que nous pouvons dire est que nous nous battrons aussi durement que nous pouvons dans cette situation en faveur des objectifs et des stratégies de la gauche.

 

Sotiris Martalis. J’aimerais ajouter un point à la question de savoir si la classe dominante peut tenter de lancer un autre parti socialiste afin de contrecarrer la popularité de SYRIZA. En réalité, ils ont tenté cela, en créant un nouveau parti du nom de Potami, ce qui signifie «rivière». Potami est une formation qui reçoit beaucoup de soutien dans les médias et qui n’a pas une ligne claire. 

Le problème réel pour la classe dominante n’est pas quel parti socialiste reconstruire ou créer mais la défaite politique du centre-gauche, qui a donné à SYRIZA l’hégémonie politique. Il y a trois partis au centre-gauche, l’un n’a pas atteint les 3% nécessaires pour être représenté au Parlement. Ces partis sont donc très faibles.

L’un des problèmes auxquels doit s’affronter SYRIZA en ce moment est ce qui se passe lorsque des anciens dirigeants de ces partis socialistes tentent d’entrer dans SYRIZA. SYRIZA a des problèmes du seul fait de sa taille. Elle a environ 35’000 membres et a obtenu 2’250’000 voix, c’est un large écart. C’est un autre problème que la réalité présente à SYRIZA et qui doit être résolu. (Traduction A l’Encontre. La table-ronde s’est tenue, par vidéo-conférence, aux Etats-Unis le 7 février. Le texte anglais a été transcrit par Karen Domínguez Burke.)

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