Turquie. Erdogan: la déchéance de nationalité et «l’accueil» des réfugiés. Le «bon choix» de l’UE

decheance-nationalite-erdoganPar Anne Andlauer

S’est-il inspiré des quatre mois de débats («infructueux») en France sur la déchéance de nationalité pour les terroristes Le président Recep Tayyip Erdogan a en tout cas surpris son monde en reprenant l’idée à son compte, la semaine dernière. «Nous devons être déterminés à prendre toutes les mesures pour mettre hors d’état de nuire les partisans de l’organisation terroriste, y compris la déchéance de nationalité», a-t-il martelé au sujet du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). «Ces gens ne méritent pas d’être nos citoyens», a-t-il dit, dénonçant les «traîtres à la nation».

Le dirigeant turc persiste et signe donc sur deux points. Le premier: hors de question de négocier avec le PKK pour mettre fin au conflit dans le sud-est du pays (alors même qu’il avait conduit des pourparlers de paix entre fin 2012 et l’été 2015). Le second: la cible n’est plus seulement les combattants armés, mais aussi leurs «complices». «Les partisans qui se présentent comme des universitaires, les espions qui s’identifient comme journalistes, un activiste déguisé en homme politique (…) ne sont pas différents des terroristes qui jettent des bombes», a-t-il assené.

Tels sont les «partisans de l’organisation terroriste» que Tayyip Erdogan veut priver de leur nationalité, et auxquels il lance: «Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes.» Les 1128 signataires (universitaires) d’une pétition dénonçant les «massacres de l’État» contre les civils kurdes sont ainsi poursuivis pour propagande terroriste.

Leur faute n’est pas tant d’avoir critiqué l’État que d’avoir cautionné un texte ne faisant aucune mention des crimes du PKK. «C’est ainsi qu’on passe d’un régime autoritaire à un régime totalitaire, accuse Baskin Oran, signataire et professeur de sciences politiques à Ankara. Dans un régime autoritaire, vous êtes emprisonné pour ce que vous écrivez. Dans un régime totalitaire, vous êtes emprisonné pour ce que vous n’écrivez pas.»

Si le terme terroriste ne se limite donc plus aux combattants armés, il n’est pas davantage réservé au PKK. Tayyip Erdogan l’emploie aussi pour désigner le réseau d’un imam exilé aux Etats-Unis, Fethullah Gülen, fondateur présumé d’un «État parallèle». Le président est persuadé que des hommes de Gülen dans l’armée, la police et la magistrature sont à l’origine de l’interception des camions d’armes des services secrets turcs pour la Syrie, en janvier 2014. Le rédacteur en chef du quotidien d’opposition Cumhuriyet, qui avait publié les photos de ces camions, risque la prison à vie pour «espionnage» et «assistance à une organisation terroriste». «En étiquetant ainsi ceux qui ne le soutiennent pas, Erdogan déclare en fait qu’il y a 40 millions de terroristes dans ce pays!», lance Can Dündar, le rédacteur en chef.

Au Parlement, une formation s’attire plus que d’autres les foudres de Tayyip Erdogan: le Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde). Le président a maintes fois réclamé la levée de l’immunité de ses 59 députés, que des tribunaux s’empresseraient de condamner pour «terrorisme». Et de déchoir de leur nationalité? Ibrahim Kaboglu, professeur de droit constitutionnel, peine à y croire. «Il existe bien un article de la Constitution qui permet de retirer leur nationalité à ceux qui ont commis une action incompatible avec la fidélité à la patrie. Mais comment définir une telle action?, demande-t-il. De mémoire de juriste, cet article n’a jamais été utilisé en temps de paix ou en dehors des périodes de coup d’État militaire.»

«A moins que le président n’ait dans l’idée de réviser la Constitution ou de changer la loi pour faciliter cette procédure», poursuit Ibrahim Kaboglu. Une option démentie par le Premier ministre, Ahmet Davutoglu. Mais que personne ne peut pour autant écarter. (11 avril 2016, publié dans le quotidien Le Soir)

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