«Soit il y a un accord, soit il faut un plan B», avait prévenu le ministre irlandais des finances Michael Noonan avant le énième sommet de l’Eurogroupe. Il n’y a pas eu d’accord, le jeudi 18 juin, comme cela était prévisible. Une heure a suffi pour dresser un nouveau constat de désaccord entre le gouvernement grec et les autres responsables européens.
Et maintenant, il faut penser l’impensable: il peut arriver que la Grèce fasse faillite; il peut arriver que la zone euro éclate. Même si les chefs de gouvernement européens tentent encore de faire croire qu’un accord avec la Grèce est possible – un nouveau sommet d’urgence est prévu lundi 22 juin à Berlin –, les chances ne cessent de s’amenuiser, tant les positions semblent irréconciliables, tant l’Europe continue de s’accrocher à un plan dont la démonstration de la faillite n’est plus à faire, tant la situation du système bancaire devient tendue. « Nous sommes dangereusement proches d’un état d’esprit qui accepte un accident », a averti le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis.
Rappelant son mandat politique et son devoir moral, le gouvernement grec maintient sa ligne: il veut un plan d’aide viable économiquement, juste socialement. Il a prévenu ses partenaires européens: s’il n’y a pas d’accord au 30 juin, la Grèce ne paiera pas le 1,6 milliard d’euros qu’elle doit rembourser au FMI.
Les agences de notation – Standard & Poor’s comme Moody’s – ont tenté de calmer les financiers qui commencent à s’alarmer de la situation. Si la Grèce ne rembourse pas le FMI le 30 juin, cet événement ne constituera pas officiellement un défaut, affirment-ils. Athènes, selon les statuts du FMI, disposerait de 30 jours supplémentaires pour honorer ses échéances. De plus, le FMI étant un créancier institutionnel, l’absence de remboursement ne déclenche pas une procédure de défaut, comme dans le cas de non-remboursement d’un créancier privé.
A son arrivée à Bruxelles, jeudi 18 juin, la directrice générale du FMI (Lagarde) a douché les espoirs. «La Grèce doit respecter ses obligations. Le paiement du 30 juin est définitif. Il n’y aura ni période de grâce, ni nouveau délai», a-t-elle déclaré. Klaus Regling, le responsable du mécanisme financier européen [Mécanisme européen de stabilité devant gérer, les «crises financières», créer en 2012] qui a assuré une partie des plans de sauvetage pour l’Europe, lui a emboîté le pas: «Nos prêts sont liés à ceux du FMI. Si celui-ci n’est pas payé au 30 juin, ce sera considéré comme un événement déclencheur de défaut. Et nous avons alors la possibilité de demander le paiement anticipé de nos prêts.»
Les Européens, qui n’ont cessé de sous-estimer la capacité de résistance de Syriza depuis son élection, agitent la menace du péril à venir, en cas d’échec. «S’il n’y a pas d’accord, nous entrons dans des eaux inconnues», a prévenu le président de la BCE, Mario Draghi. En écho, le gouverneur de la banque de Grèce (Y. Stournaras), ancien ministre des Finances du gouvernement de droite d’Antonis Samaras, a adressé mercredi une mise en garde sévère au gouvernement grec et aux parlementaires. «Faute d’accord, l’échec marquerait le début d’un chemin douloureux, qui pourrait conduire en premier à un défaut de la Grèce et par la suite à la sortie de la Grèce de la zone euro et vraisemblablement de l’Union européenne. (…) Une crise d’endettement gérable se transformerait en une crise incontrôlable, faisant courir de grands risques au système bancaire et à la stabilité financière», a-t-il déclaré. «Tout cela conduirait à une profonde récession, une chute dramatique des revenus, une hausse exponentielle du chômage et un effondrement de toutes les réalisations économiques que la Grèce a obtenues depuis son entrée dans l’union européenne et spécialement dans la zone euro. Alors qu’elle est membre du cœur de l’Europe, la Grèce se verrait reléguée au rang de pays pauvre dans l’Europe du Sud.» [Une plainte a été déposée par la député de Syriza, Rachil Makri, auprès de la Cour suprême de justice, jeudi 18 juin, contre Yannis Stournaras pour avoir rendu public le rapport de la Banque centrale avec le but de stimuler les craintes parmi la population et d’intervenir à un moment clé des négociations. Les rapports annuels de la Banque centrale sont, en général, déposés en octobre ou février].
Effectivement, rarement banquier central s’autorise de telles incursions dans le politique. La présidente du parlement grec, Zoe Konstantopoulou, a réagi, en qualifiant le rapport du gouverneur de la banque de Grèce d’«inacceptable». Mais le gouverneur de la Banque de Grèce a sans doute jugé cet avertissement indispensable, tant la situation devient incontrôlable: le système bancaire grec est au bord de l’effondrement. La panique bancaire s’est installée chez les Grecs. Depuis le début de la semaine, les retraits des banques ne cessent encore de s’accélérer. Deux milliards d’euros seraient sortis en trois jours, dont un milliard pour la seule journée de mercredi. [1]
Depuis janvier, plus de 25 milliards d’euros sont sortis des banques. La banque centrale européenne (BCE) tient les banques grecques en faillite à bout de bras : elle leur a accordé 83 milliards d’euros par le biais des fonds d’urgence de liquidité (ELA).
Vendredi, une nouvelle réunion d’urgence est prévue à la BCE pour savoir si elle autorise ou non un nouveau relèvement du plafond des aides bancaires. La décision relève de fait de l’arme nucléaire: tout refus signifierait la fin de partie pour la Grèce. Interrogé récemment pour savoir si la BCE pourrait couper cette assistance respiratoire aux banques grecques, le président de la banque centrale, Mario Draghi, a répondu que son mandat dépendait de la volonté des gouvernements européens. [Il semble qu’un léger relèvement du plafond des liquidités a été décidé par la BCE, ce qui ne modifie pas la pression faite sur la Grèce].
Interrogés sur la situation bancaire, les responsables de la BCE ont averti les membres de l’Eurogroupe que les banques grecques ne pourraient peut-être pas ouvrir lundi, compte tenu du flot des retraits, selon Reuters. «Demain oui, lundi je ne sais pas », aurait répondu Benoît Cœuré, membre du directoire. La BCE a, par la suite, démenti les propos écrits par l’agence. Mais deux membres de l’Eurogroupe les ont confirmés.
Face à la menace d’un écroulement bancaire, d’un défaut de paiement incontrôlable de la Grèce, les différents acteurs tentent de mettre au point des solutions alternatives. Dans la panique, les banquiers centraux et les responsables européens préparent un plan B, sur lequel ils n’avaient jamais officiellement travaillé. De son côté, Syriza semble aussi préparer un plan secret au cas où. Ils n’envisagent pas du tout les mêmes solutions.
Le scénario chypriote
Lundi dernier, la Süddeutsche Zeitung a dévoilé un plan B sur lequel travailleraient tous les créanciers de la Grèce (FMI, BCE, pays européens). Selon le quotidien allemand, il pourrait être mis en place dès ce week-end. L’idée serait de forcer le gouvernement grec à transiger, en imposant un contrôle des capitaux en Grèce, qui limiterait les retraits bancaires et les transferts à l’étranger. Le parlement grec devrait adopter une loi spéciale pour la prise en compte de ces dispositions.
En cas de refus, les responsables européens seraient prêts à isoler la Grèce, en la coupant du système monétaire européen et des mécanismes communautaires appelés Target 2 [système de transferts automatiques interbancaires dans l’UE], afin de la forcer à mettre en place les mesures requises. La chancellerie allemande n’a pas démenti ces informations.
Cette solution, qui a été évoquée dès décembre 2014 dans une étude de Goldman Sachs, reprend le schéma mis en place. Alors que le système bancaire hypertrophié de Chypre, devenu la plaque tournante du blanchiment des capitaux russes et moyen-orientaux, était au bord de l’effondrement, les Européens avaient imposé au nouveau gouvernement tout juste élu un plan de sauvetage drastique. Pendant plusieurs jours, toutes les banques avaient été fermées. Un contrôle des changes avait été imposé, les retraits sévèrement encadrés (moins de 300 euros par semaine). La deuxième banque du pays avait été liquidée et tous les comptes transférés vers la banque de Chypre. Les actionnaires et les créanciers ont été balayés. Tous les dépôts au-dessus de 100’000 euros – montant garanti dans toute l’Union européenne – avaient été taxés, voire saisis. En contrepartie de mesures «structurelles», la Troïka (FMI, BCE, UE) lui a accordé un plan d’aide de 10 milliards d’euros.
Pendant deux ans, Chypre a vécu ainsi entre parenthèses de la zone euro – le contrôle des capitaux vient juste d’être levé. Résultat? Une économie qui a chuté plus de 15 %, des salaires qui ont diminué de 15 à 30 %, un chômage qui atteint plus de 16 % de la population active, un taux de créances douteuses qui dépasse les 50 %. Mais les Européens jugent que ce schéma chypriote est un succès reproductible: au premier trimestre, le PIB a progressé de 1,6 %.
Ce scénario présente de nombreux avantages, selon certains responsables européens. Syriza serait forcé à négocier; la Grèce ne serait pas exclue du sein de la zone euro mais subirait juste une mise entre parenthèses provisoire; les risques de contagion, tant redoutés depuis la crise de la zone euro de 2012, pourraient être écartés. Cela permettrait aussi de renvoyer à plus tard le délicat problème des dettes de la Grèce.
L’ennui pour les tenants de ce scénario est que la Grèce n’est pas Chypre. Les banques centrales peuvent décider de fermer les banques quelques jours. Mais aucune disposition ne peut forcer un Etat membre à adopter un contrôle des capitaux. Seuls les parlements nationaux le peuvent. Comment imaginer que les parlementaires grecs accepteraient de voter de telles dispositions, surtout pour forcer leur gouvernement à accepter un mémorandum qu’il repousse depuis plus de cinq mois?
De plus, imposer un contrôle des capitaux et un contrôle bancaire en Grèce est devenu, à ce stade, assez illusoire: les Grecs, prévenus du précédent chypriote, ont déjà anticipé ce risque, en accélérant les retraits bancaires. Leur argent est caché sous les matelas, investi dans l’achat de grosses berlines allemandes – les ventes de Mercedes ont fait un bond de 44 % en avril en Grèce – ou placé à l’étranger. Selon les dernières estimations, les fortunes grecques déposées à l’étranger, principalement dans les banques européennes et suisses, représentent plus de 400 milliards d’euros.
Si la BCE décide de fermer le robinet des fonds d’urgence aux banques grecques et d’isoler la Grèce du système monétaire européen, c’est l’effondrement immédiat. Le gouvernement grec n’aurait plus alors comme solution que de nationaliser l’ensemble du système bancaire, de se déclarer en faillite et sans doute de sortir de l’euro. Le contraire de ce que souhaitent les Européens, qui ne veulent surtout pas être accusés d’avoir poussé les Grecs vers la sortie.
Le scénario islandais
C’est vers une autre île que l’aile gauche de Syriza semble avoir trouvé des références pour élaborer son plan: l’Islande. Estimant que la poursuite des discussions avec les créanciers de la Grèce était désormais inutile, celle-ci se serait largement inspirée de ce qui s’est fait en Islande en 2008 pour imaginer un scénario alternatif, préparé dans le plus grand secret.
Celui-ci reposerait sur un défaut généralisé de toutes les dettes grecques. Aucun des créanciers, que ce soit le FMI ou la BCE, ne serait épargné. Cette faillite imposerait là aussi la nationalisation des banques, un contrôle des capitaux. «Les banques doivent être nationalisées immédiatement, et une structure de défaisance (bad bank) doit être créée», a déclaré un député du Syriza. «Plus les retraits s’accélèrent, plus cela sera facile», dit un autre.
Cette solution radicale aurait l’immense mérite de remettre tous les compteurs à zéro, selon ses défenseurs. La Grèce en aurait fini de ses dettes insoutenables – 180 % du PIB – que les créanciers refusent de renégocier, et qui plombent définitivement son avenir. «Syriza a de forts motifs idéologiques pour frapper les élites financières. Ils voient les banques comme le centre névralgique d’une oligarchie qui a dirigé le pays pendant plus d’un demi-siècle comme une affaire de famille. Forcer ces institutions à la banqueroute amènerait une purge politico-sociale, mieux connue sous le nom de révolution», explique l’éditorialiste du Telegraph, Ambrose Evans-Pritchard qui détaille longuement ce plan. [voir: the telegraph]
Les pays européens seraient les autres grands perdants dans ce scénario. Ils ont prêté plus de 250 milliards d’euros dans le cadre du plan de sauvetage. L’Allemagne et la France sont engagées à elles deux à hauteur de 160 milliards d’euros. Jusqu’à présent, ces dettes ne figurent dans aucun budget public. Elles sont inscrites dans les comptes du mécanisme européen de stabilité financière. Mais si la Grèce dénonce ces prêts, tous les États seront appelés en garantie. La France devrait alors inscrire au moins 55 milliards d’euros de dettes supplémentaires.
Comment les gouvernements européens expliqueront-ils alors leur faute de 2012, lorsqu’ils ont choisi de prendre à leur compte toutes les créances privées à l’égard de la Grèce, d’aider leurs banques plutôt qu’Athènes? Comment justifier que l’ensemble de la population soit soumise à de nouvelles cures d’austérité pour payer les engagements irresponsables pris dans le passé par des créanciers privés? C’est cette faute politique historique et l’impossibilité d’en faire l’aveu qui ont bloqué toutes les tentatives de restructuration de la dette grecque et précipité Athènes vers la faillite. [Un rapport interne du FMI, en date du 5 juin 2015, le constate: « Il y a eu des échecs notables. La confiance des marchés n’est pas revenue, le système bancaire a perdu 30 % de ses dépôts, et l’économie subit une récession bien plus profonde que prévu avec un taux de chômage exceptionnellement élevé. La dette publique reste trop haute et devra éventuellement être restructurée… La crise et la récession ont eu de terribles conséquences pour la Grèce en terme de chômage et ont provoqué un malaise grandissant dans la société, les partis extrêmes gagnant de plus en plus d’influence.»]
Tout cela n’est pas pour déplaire à l’aile gauche de Syriza, mais aussi à toute la frange nationaliste grecque. Mais là encore, la Grèce n’est pas l’Islande. Lorsque l’île nordique a décidé d’un défaut généralisé et de la nationalisation complète de son système bancaire, elle avait sa monnaie, des réserves de change et le soutien du FMI. Celui-ci lui a consenti une aide de plus de 10 milliards de dollars pour se redresser. Après deux plans de sauvetage, la Grèce a épuisé son crédit auprès du FMI, surtout si celui-ci n’est pas remboursé de ses traites passées. Il lui faudrait trouver d’autres créanciers. De nombreux politiciens grecs regardent vers la Russie. Alexis Tsipras était encore à Moscou le 18 juin. Mais jusqu’à présent, les discussions avec Vladimir Poutine semblent s’être uniquement centrées sur le projet de gazoduc vers la Turquie. Moscou n’a fait aucun geste financier pour Athènes.
De plus, même si le maintien dans l’euro est en théorie possible – certains envisagent la création d’une monnaie parallèle –, il est en pratique impossible. Difficile d’imaginer un rebond économique si le carcan monétaire de l’euro subsiste, empêchant la Grèce de s’autoriser de dévaluations. De plus, les Européens ne voudront certainement pas partager un système monétaire avec la Grèce, même si aucune disposition ne peut forcer Athènes à sortir de la monnaie commune.
Une sortie de l’euro s’imposera, prédisent les économistes. Mais jusqu’à présent, Alexis Tsipras et les principaux membres du gouvernement ont repoussé cette hypothèse, revendiquant d’être membre de plein droit de l’union monétaire, et de l’Europe. L’enchaînement des événements et les forces disparates qui militent pour une sortie pourraient décider à leur place.
La sortie de l’euro
Pour une fois, des responsables européens et une partie de la gauche de Syriza et des nationalistes grecs se sont trouvé un point commun: tous sont partisans d’une sortie rapide de la Grèce de l’euro.
Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, ne cache pas depuis des mois son désir d’expulser la Grèce. Les circonstances sont bien plus favorables qu’en 2012, explique-t-il. L’Europe s’est dotée de mécanismes de protection et la banque centrale européenne a désormais la formidable arme du quantitative easing pour éviter tout phénomène de contagion. Et puis, le traitement infligé à la Grèce ramènerait tous les autres pays dissidents – à commencer par la France et l’Italie d’un point de vue économique, l’Espagne d’un point de vue politique – dans le droit chemin. La zone euro trouverait enfin une cohérence.
Il a rallié à ses vues nombre de pays européens, comme la Lituanie, la Slovaquie, la Finlande, les Pays-Bas, qui n’en peuvent plus du dossier grec, qui ne voient pas pourquoi ils devraient financer un système social souvent beaucoup plus généreux que le leur. Mais il s’est heurté jusqu’à présent à l’opposition ferme d’Angela Merkel. La chancelière allemande ne veut pas entrer dans l’histoire comme celle qui aurait tué le rêve européen, ni comme celle qui ferait basculer la Grèce de l’OTAN vers la Russie.
Pour faire taire un certain nombre de craintes, Wolfgang Schäuble a peaufiné son scénario. Son entourage évoque maintenant «un divorce de velours» avec la Grèce. Athènes sortirait de l’euro et ré-adopterait la drachme. Mais l’Europe lui apporterait des crédits de secours. La BCE lui prêterait son concours afin de stabiliser son système monétaire et relancer son économie. Ces aides permettraient d’arrimer la Grèce à l’Europe et lui éviter la tentation de se tourner vers Moscou, explique-t-on. En contrepartie, Athènes pourrait aussi accepter de ne pas faire défaut d’une partie de ses dettes à l’égard des autres pays européens.
S’il doit y avoir divorce, autant qu’il soit brutal et sans concession, disent les partisans d’une sortie de l’euro en Grèce. Ceux-ci ne voient plus ce qu’ils ont à perdre. Ils ont le sentiment d’avoir déjà tout perdu : l’économie totalement effondrée, le chômage touche plus de 28 % de la population, un tiers de la population est au-dessous du seuil de pauvreté, des centaines de milliers de Grecs n’ont plus accès au système de santé. «Nous serons pauvres, mais au moins nous aurons regagné notre souveraineté», expliquent-ils.
Nombre d’économistes partagent cette analyse. La sortie de l’euro, accompagnée d’une dévaluation de la drachme de 20 à 50 % par rapport à la monnaie unique, apporterait l’oxygène dont le pays a besoin, explique Wolfang Münchau [favorable à une monnaie parallèle, IOU, ce qu’il a expliqué dans le Financial Times], « Les premiers mois seraient chaotiques, mais l’argent reviendrait. La Grèce serait probablement en meilleur état économique hors de l’euro, si elle poursuit une bonne politique », prédit l’économiste britannique Gabriel Sterne.
Tous font le pari que les 400 milliards d’euros qui ont été déposés à l’étranger [par les grandes fortunes grecques] reviendront une fois que la stabilité monétaire sera installée: la dévaluation de la drachme par rapport à l’euro apportant un supplément de pouvoir d’achat très précieux [il n’est pas dit qui, ainsi, achèterait quoi à bon marché]. L’observateur Charles Grave se demande même si cette fuite des capitaux n’a pas été voulue par le gouvernement de Syriza, tant son inertie par rapport aux retraits bancaires semble inexplicable. Syriza se serait ainsi constitué volontairement un trésor de guerre à l’extérieur de la Grèce, au cas où et qui pourrait être rapatrié très vite.
Si la sortie de la Grèce de l’euro paraît souhaitable à nombre d’économistes, il en va tout autrement pour les autres membres de l’euro, à les entendre. Même si certains affirment que rien de préjudiciable ne peut se passer, d’autres sont beaucoup plus inquiets. Pressant les Européens de trouver une solution rapide pour la Grèce, le secrétaire américain au trésor, Jack Lew [du Trésor des Etats-Unis], n’a pas hésité à parler de «moment Lehman» en cas de sortie de la Grèce, provoquant un nouvel effondrement du système financier international.
Sans arriver à un scénario aussi apocalyptique, certains économistes redoutent que le système de l’euro ne soit cassé avec une sortie de la Grèce. Les assurances données par Mario Draghi en pleine crise de 2012, affirmant que «l’euro était irrévocable», en tout cas, n’auraient plus cours. Les armes mises en place par la BCE pour endiguer la contagion risquent de perdre très vite de leur efficacité.
Déjà, les marchés financiers commencent à tester les résistances. Les taux d’intérêt espagnol, italien, portugais recommencent à monter. Ils atteignent à peine 2,5 à 3 %, très loin des taux stratosphériques enregistrés pendant la crise de l’euro. Mais ce sont les signes avant-coureurs de nervosité. «Une fois qu’un pays est parti, l’union monétaire change en un système de parité fixe, dans lequel une analyse coût-bénéfice se met en place pour savoir si un autre pays doit partir», a averti, en désespoir de cause, le ministre grec Euclide Tsakalotos. Mais l’avertissement n’a pas été entendu. Les responsables européens ne veulent plus écouter. Ils veulent seulement en finir avec la question grecque, quelles qu’en soient les conséquences. [Article publié sur le site Mediapart, le 19 juin 2015)
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[1] Dans le quotidien en ligne La Tribune (18 juin 2015) Romaric Godin écrit: «mercredi 17 juin, la BCE avait accepté de relever une nouvelle fois le plafond de liquidité accordé aux banques grecques dans le cadre du programme d’urgence ELA, qui est la dernière réelle façon pour les banques grecques de se refinancer dans l’Eurosystème. Mais ce relèvement avait été minime : 1,1 milliard d’euros de plus pour la semaine à venir. Or, parallèlement, la perspective d’une absence d’accord avec les créanciers et d’un défaut sur le FMI le 30 juin – encore renforcée par les déclarations de la Christine Lagarde sur l’absence de “période de grâce” – inquiètent les Grecs qui redoutent à juste titre la mise en place de contrôle des capitaux, de mesures restrictives de retraits aux guichets, voire une sortie de la zone euro. Mercredi, 950 millions d’euros avaient ainsi été retirés des comptes grecs, ce jeudi le chiffre d’un milliard a été évoqué. Avant la réunion de l’Eurogroupe, l’agence Bloomberg évoquait le chiffre de 2 milliards d’euros restants dans les caisses des banques grecques. Au rythme de mercredi et jeudi, les banques pourraient donc dès dimanche se retrouver à court de liquidité. Du reste, selon le journal grec Proto Thema, la Banque de Grèce réclamera vendredi 19 juin un relèvement du plafond du programme ELA d’urgence à la BCE.
A l’issue de l’Eurogroupe, Yanis Varoufakis, le ministre hellénique des Finances, a repoussé les rumeurs sur les banques grecques, mais la BCE n’a pas officiellement démenti l’information qui a été confirmée par «deux officiels européens» à Peter Spiegel, journaliste du Financial Times. Une façon de faire planer la menace sur les déposants grecs. La Grèce est donc clairement, dès ce vendredi 19 juin, menacée d’un «Bank Run», d’une course aux guichets où chacun tentera de mettre à l’abri ses dépôts. Désormais, c’est à la BCE de décider si elle entend apaiser ce risque en relevant, en dehors des délais habituels (chaque mercredi) le plafond de l’ELA ou si elle ne fait rien pour stopper les craintes des déposants helléniques. Dans ce dernier cas, elle prendra naturellement une décision très politique en plaçant une pression extrêmement forte sur le gouvernement grec pour qu’il accepte les conditions fixées par les créanciers.»
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