Le Financial Times du 15 septembre 2015 titrait: «Les promesses non tenues hantent la campagne de Tsipras». Cela se concrétise dans les résultats des sondages – dont la fiabilité est certes discutée car participant à la campagne des médias dominants – qui, pour la plupart, mettent les intentions de vote pour Syriza à quelques points de celles de la Nouvelle Démocratie. Or, dès l’annonce d’élections anticipées par Alexis Tsipras – élections concoctées lors des négociations des 12-13 juillet –, le directeur de cabinet de Jean-Claude Juncker, Martin Selmayr, déclarait: «Des élections anticipées rapides peuvent être un moyen d’élargir le soutien au programme qui vient d’être signé.» (Les Echos, 21-22 août 2015) Cet élargissement du soutien politique au troisième mémorandum est au centre des scénarios que les médias multiplient actuellement sur le type de coalition gouvernementale que Tsipras – si Syriza est en tête lors des élections du 20 septembre – mettra en œuvre. Pour rappel, le troisième mémorandum a été adopté grâce aux votes de la Nouvelle Démocratie et du Pasok, les partis historiques des deux mémorandums précédents de 2010 et 2012.
Quel était l’objectif immédiat de la direction politico-gouvernementale de Tsipras – au sein de laquelle Yannis Dragasakis et Giorgios Stathakis jouaient et jouent un rôle central – en appelant à des élections anticipées? Marginaliser au maximum le poids politique du «non» au troisième mémorandum qui s’est exprimé dans les instances de Syriza – que le gouvernement n’a cessé de vouloir vider de tout pouvoir décisionnel – et dans le parlement. Une opposition qui s’est traduite finalement par la rupture d’avec Syriza et son gouvernement de 25 parlementaires qui, dans la foulée, ont participé à la création d’une coalition portant le nom d’Unité populaire.
L’Unité populaire doit donc faire face aux effets d’une défaite d’ampleur qui peut être imputée à la stratégie adoptée par la direction de Syriza, qui s’exprima ouvertement dès le premier accord avec les créanciers en date du 20 février. Toutefois, cette défaite ne peut être analysée – même si l’intelligence a posteriori fait trépider les neurones de nombreux commentateurs – en dehors des rapports de force sociaux, politiques et économiques d’ensemble à l’échelle européenne. En outre, au sein même de Syriza, la force de frappe gouvernementale, avec ses relais dans un appareil d’Etat laissé quasi intact, neutralisait les oppositions aux pratiques cumulatives de subordination aux «conditions-cadres» défendues avec une détermination de classe implacable par l’association entre les «institutions» (ex-troïka et Mécanisme européen de stabilité) et la classe dominante grecque. Le résultat «exceptionnel» du référendum du 5 juillet – 61,3% de «non» – ne peut être détaché et isolé de la courbe plane des mobilisations sociales d’une certaine ampleur dès la fin de 2012 et, dès lors, d’un transfert d’espoir dans le gouvernement élu le 25 janvier. Un transfert qui devrait être saisi en prenant en compte le contexte d’une société ébranlée dans ses tréfonds suite à une régression sociale assimilable aux effets d’une guerre.
Nous publions ci-dessous le programme adopté par l’Unité populaire pour les élections du 20 septembre. Dans une déclaration publiée, le 15 septembre, par le Red Network – composante de l’Unité populaire, dont la force la plus importante est représentée par le Courant de gauche de Panagiotis Lafazanis – sur le site Rproject, il est souligné notamment que la rupture avec l’Eurozone découlant de l’obstacle placé par ses institutions pour répondre aux besoins sociaux fondamentaux débouche certes sur l’adoption d’une monnaie nationale. Mais la drachme ne peut être qu’un outil d’un programme de transition d’ensemble et ne peut pas s’y substituer.
L’Unité populaire, comme front d’organisations, en est à ses premiers pas. Les résultats du 20 septembre ont leur importance. Pour l’heure, dans la large majorité des sondages l’Unité populaire est crédité de 3 à 5% des intentions de vote. Les scénarios politiques issus de ces élections sont multiples. Mais l’interrogation principale reste: quelles seront l’ampleur et les formes du rejet des conséquences très concrètes du déploiement du troisième mémorandum. (Rédaction A l’Encontre)
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Programme électoral de l’Unité populaire
La création d’Unité populaire a pour point de départ le NON massif du peuple grec lors du référendum du 5 juillet. Au terrorisme des forces dominantes dans l’Union européenne et en Grèce, une vaste majorité sociale, avec une forte présence de jeunes, a opposé une véritable révolte populaire. La résistance du peuple grec, une résistance sans précédent du fait de sa durée comme de son caractère massif – surtout les deux premières années d’imposition des mémorandums – constitue également un héritage précieux pour l’Unité populaire. Notre parti a constitué l’expression de la résistance généralisée contre le plan stratégique d’imposition d’une austérité permanente, de dépouillement de tout droit du travail, d’accaparement des biens publics, de démantèlement de la démocratie et d’imposition d’un régime de souveraineté limitée.
Pas plus d’un mois après le «OXI» du peuple grec au référendum, l’adoption du troisième mémorandum a causé un bouleversement dans le champ politique. L’équipe dirigeante du gouvernement, portée au pouvoir par les élections du 25 janvier, a brutalement mis en pièces le contrat social qui la liait à la majorité populaire, semant la désolation et attisant de nouveau la peur. Elle est passée sur la rive opposée, celle des forces des mémorandums, bombardant les couches ouvrières et moyennes de nouvelles mesures dirigées contre le peuple. Ce retournement a permis aux créanciers d’avancer encore, avec un coup d’Etat politique en violation de toute notion de souveraineté populaire. Avec le troisième mémorandum, la surveillance internationale devient plus étouffante encore, l’illustration la plus flagrante de cette humiliation étant la création du fameux «fund», du fonds chargé de procéder à la mise sous hypothèque des biens nationaux et de la richesse sociale pour des générations entières.
Mais le troisième mémorandum n’est qu’un début. A l’ordre du jour sont déjà inscrits le démantèlement complet du droit du travail et des relations professionnelles, une nouvelle réduction, jusqu’à des niveaux ridicules, des pensions de retraites principales et complémentaires, une razzia fiscale sur les revenus des agriculteurs ainsi que des strates sociales basses et moyennes, tout comme une série d’autres mesures dont l’application sera mise en œuvre dans les prochains mois.
C’est précisément pour cette raison, et pour empêcher la formation d’un front anti-mémorandum de politique alternative, que le gouvernement a été poussé à démissionner et à entraîner le pays vers des élections express. Il s’agit d’une tentative d’accaparement du vote populaire, avant que le peuple ne puisse s’informer et ne ressente, dans son quotidien et dans toute leur ampleur, les effets du troisième mémorandum. Ces tentatives ont bénéficié du soutien inconditionnel des dominants de l’Europe – Merkel, Juncker, Moscovici, Dijsselbloem –, lesquels ont tout fait, il y a deux mois, pour empêcher que ne s’exerce le droit d’expression démocratique du peuple grec via un référendum.
Nul ne peut sérieusement croire que ces mesures, aux conséquences sociales catastrophiques, pourraient de quelque façon que ce soit être efficaces même d’un point de vue strictement financier. Elles sont vouées à l’échec, et cet échec mènera droit à de nouveaux trains de mesures antipopulaires, pour nourrir un cercle vicieux que nous avons connu sous les gouvernements pro-mémorandums précédents. Ouvriers, paysans, jeunes, professionnels et petits entrepreneurs sont ravagés à la seule fin d’assurer le versement des tranches d’«aide» qui, sitôt qu’elles sont encaissées, sont reversées à 99% soit aux créanciers, soit aux banquiers. Il ne reste pas une goutte pour l’économie réelle et les citoyens qui sont au bord de l’extinction économique.
Il est ridicule d’attendre de cette équipe dirigeante, qui a signé le troisième mémorandum et qui est depuis encensées par les représentants des créanciers et de l’oligarchie nationale, qu’elle parvienne – un jour lointain, d’une façon encore à déterminer – à se dégager de ce carcan. Si vous prenez le mauvais train, aucune des gares où vous vous arrêterez ne sera la bonne. Et se fourvoie quiconque s’imagine qu’un gouvernement qui a accepté de retirer immédiatement 93 euros par mois aux plus pauvres des pauvres, réduisant la retraite minimum au plancher humiliant de 393 euros, sera en mesure de s’élever contre les intérêts dominants.
Pour un vaste front du «non jusqu’au bout»
Pour toutes ces raisons, le besoin s’est avéré urgent de constituer l’Unité populaire, un front politique et social de renversement des mémorandums, contre l’austérité qui tue, la dérive antidémocratique et la transformation de la Grèce en une colonie au cœur de l’Europe, avec la dette pour levier.
Nous avons besoin d’un large front populaire et patriotique, digne de confiance, cohérent et désintéressé, qui restaurera les espoirs trahis, vaincra la peur et insufflera la victoire au large courant jeune et populaire du «OXI» du 5 juillet. Ils parlent en vain, ceux qui dénoncent a priori cette tentative comme une «opération de francs-tireurs», prétendument responsables de la chute du «premier gouvernement de gauche». Il n’y eut de renoncement que de la part de ceux qui ont choisi de devenir le troisième gouvernement des mémorandums de ce pays.
L’Unité populaire n’est pas un pavillon de complaisance, et ne veut pas davantage ajouter son nom à celui des partis de l’establishment en faillite. Elle constitue une alliance d’organisations politiques, de mouvements et de citoyens engagés sans étiquette, et ambitionne de donner sa voix, d’inspirer et de renforcer un vrai mouvement populaire, avec des initiatives auto-organisées. Nous voulons qu’elle devienne la voix de ceux qui aujourd’hui n’ont pas voix au chapitre, la force des faibles. Nous voulons qu’elle constitue le point de départ du front qui scellera l’alliance des travailleurs, des chômeurs, des paysans, des travailleurs indépendants, des couches urbaines moyennes et inférieures, des intellectuels et des gens de lettres et de culture, dans un effort commun pour que la société grecque change de voie.
Cette perspective n’est pas compatible avec les logiques d’hégémonisme et de vérité exclusive. Toutes les sensibilités sociales, toutes les traditions politiques progressistes et les inclinations idéologiques y ont leur place. Le fonctionnement démocratique constitue, pour ce front, une condition sine qua non de son existence, autour des militants eux-mêmes, de leurs revendications et de leurs questionnements. Les forces, les militants et militantes qui participent à l’Unité populaire sont liés entre eux par un solide accord politique pour une solution alternative et radicale immédiate, absolument nécessaire, à la tragédie des mémorandums.
Cette solution s’avérera efficace et au profit des classes populaires, aux dépens du grand capital, et débarrassera la Grèce de la domination mortifère des centres impérialistes. Nous sommes unis par la recherche commune, à travers des chemins divers, d’une société nouvelle, libérée des chaînes de l’exploitation et de toute forme d’oppression, une société solidaire, juste et libre, sur la voie vers le socialisme du XXIe siècle.
Les mesures immédiates pour une sortie de la catastrophe sociale
L’Unité populaire se donne pour objectif immédiat la création, à travers les mouvements sociaux et l’action politique, à l’intérieur et hors du Parlement, des conditions pour une solution alternative radicale à la réalité actuelle des mémorandums.
Les coordonnées fondamentales de l’autre voie ont déjà été définies par de nombreuses forces de gauche, mouvements radicaux et scientifiques progressistes. La solution alternative que nous défendons vise à donner des réponses à tous les problèmes cruciaux de l’économie, de la société, de l’État et de la politique extérieure. Elle ne se limite naturellement pas à la question de la politique monétaire, comme l’affirment les faussaires et sycophantes qui dénoncent un supposé «lobby de la drachme».
Le problème de cette solution alternative ne réside pas dans la prétendue insuffisance de traitement «technique» qu’elle présenterait, mais dans son insuffisante préparation politique : elle n’a pas suffisamment fait l’objet de discussions au sein du peuple et des collectivités sociales. C’est-à-dire, parmi ceux qui seront appelés à livrer une lutte acharnée, face à des intérêts énormes, pour faire de cette alternative une réalité. C’est cette lacune que nous aspirons à combler sans tarder, par une vaste campagne de dialogue public, face à ceux qui s’efforcent d’imposer un nouveau «délit sui generis», et de diaboliser, voire de pénaliser le débat «interdit».
Les mesures immédiates et urgentes qui doivent être adoptées pour ouvrir une nouvelle voie sont les suivantes:
– La suppression des mémorandums assassins tant pour la société que pour l’économie, ainsi que des accords coloniaux d’emprunts signant l’hypothèque de notre futur qui les accompagnent.
– L’arrêt du remboursement de la dette – dont même le FMI reconnaît, de son point de vue particulier, qu’elle n’est pas soutenable – avec pour horizon l’annulation globale de la plus grande part de cette dette. La cessation des paiements sera accompagnée d’actions politiques et légales, au niveau international, qui exploiteront également les conclusions en la matière de la Commission de vérité sur la dette publique du Parlement hellénique.
– Indépendamment, mais parallèlement à l’action internationale sur la question de la dette, seront immédiatement et avec insistance posées des exigences – à caractère politique, juridique aussi bien que citoyen – en ce qui concerne le versement des sommes dues par l’Allemagne au titre de réparation pour les victimes et la dévastation causées par la barbarie nazie.
– L’arrêt immédiat de l’austérité et la mise en œuvre d’une politique de redistribution de la richesse sociale au profit des travailleurs et aux dépens des oligarques. Un soin tout particulier doit être accordé aux couches de la population les plus durement touchées par la crise, avec un renforcement de leurs revenus et une augmentation graduelle des salaires minimum, des pensions et des allocations de chômage, la garantie de soins médicaux et de biens fondamentaux (électricité, eau, chauffage) pour tous.
Plus généralement, les salaires, les retraites et les dépenses sociales pour l’enseignement public gratuit, la santé populaire, la culture, seront soutenus. Leur augmentation graduelle sera encouragée, en fonction des rythmes de croissance. Les mesures fiscales et autres des mémorandums, qui déciment les paysans et les travailleurs indépendants, seront levées. L’ENFIA (impôt foncier unifié) sera supprimé et seul sera institué un impôt sur la grande fortune foncière.
– La nationalisation des banques et leur fonctionnement sous contrôle social, assurant une garantie absolue de l’épargne populaire. Le nouveau système bancaire, nationalisé et débarrassé du «parrainage» de la BCE, garantira l’annulation des dettes pour les foyers épuisés par la crise. Il fournira les liquidités tout aussi indispensables aux professionnels et aux PME qui sont menacés de disparition. Dans cette optique, la Banque Agricole et la Caisse d’Epargne Postale seront rouvertes et les scandales liés à leur bradage seront investigués. La nationalisation des banques permettra que soient détectés et investigués les prêts abusifs [«thalassodània»] accordés aux groupes jouissant de monopoles et les cas d’évasion fiscale, au moyen des diverses listes telles que la liste Lagarde.
Reconstruction économique et renaissance culturelle
Parallèlement à ces mesures d’extrême urgence, qui donneront une première bouffée d’air à l’économie et aux couches populaires, des réformes radicales seront mises en œuvre en vue de la transformation du modèle de croissance en faillite et du renversement des rapports de force sociaux en faveur du peuple et aux dépens des oligarques et de leurs réseaux.
Ces réformes comprennent, entre autres:
– la révision radicale de la législation du travail, avec le rétablissement des conventions collectives et des négociations collectives libres. La prévention contre l’arbitraire patronal, avec des mesures de dissuasion et des limitations posées en matière de licenciements, la mobilisation et le renforcement des inspections du travail. Un OAED [ndlt: Organisme pour l’emploi de la main-d’œuvre] réformé, social et public, et la suppression des entreprises privées de sous-traitance de travailleurs.
– La création d’un système fiscal stable, socialement juste et basé sur le principe de la redistribution, afin que le coût de la crise soit enfin pris en charge non pas par les bêtes de somme habituelles, mais par les possédants.
– L’arrêt des privatisations rapaces, des réductions d’effectif et des liquidations d’entreprises, réseaux et infrastructures (Entreprise publique d’électricité, gaz naturel, ports, aéroports, bâtiments et terrains du domaine public, etc.). La suppression immédiate du TAIPED [Fonds de développement des actifs de la République hellénique]. La récupération des biens publics cédés au capital privé, par l’annulation des décisions illégales et inconstitutionnelles relatives à leur cession, sans dédommagement, à l’exception des petits porteurs. La nationalisation, la reconstruction et la remise en marche, sous contrôle ouvrier et social, de toutes les entreprises, réseaux et infrastructures d’importance stratégique, qui assumeront le rôle de locomotives de l’économie. L’objectif est d’assurer une revitalisation rapide de l’économie qui créera des emplois et renforcera la place des travailleurs, dans le respect de l’environnement.
– La reconstruction du système national de santé – qui a été complètement démantelé –, des hôpitaux publics et d’un système de santé assurant des soins de premier degré et de haute qualité, accessibles à tous, dans la capitale comme en province.
– La lutte contre la désertification culturelle et la garantie du caractère public des institutions culturelles et de l’accès de l’ensemble de la population à la création culturelle. Le soutien public à chaque initiative de création des hommes de culture et de tous les citoyens.
– La reconstruction économique avec transfert du centre de gravité a) de la consommation de produits d’importation à la production (principalement à la production industrielle et agricole de produits de haute qualité) et b) de la compression du coût du travail à la maximisation de la plus-value. Nous visons, enfin, une transition d’une croissance au service de ceux qui détournent le travail et la nature à une croissance centrée sur le renouveau technologique, l’innovation, l’organisation moderne et, surtout, sur les facteurs de richesse sociale. Cette croissance s’appuiera sur le savoir, l’entrain et la créativité des travailleurs. Cette orientation nécessitera une politique de planification démocratique au niveau central comme à la périphérie, avec une dimension environnementale forte.
– Le soutien substantiel à l’enseignement public et gratuit et à la recherche, qui constitue, en plus de toutes les autres mesures, une condition fondamentale de la conversion vers un nouveau modèle social performant.
– Le «troisième» secteur (aux côtés des secteurs public et privé) constitue une composante essentielle de la reconstruction économique : coopératives, entreprises autogérées qui ont été abandonnées par leurs propriétaires, structures solidaires, etc. Il sera exigé un renfort substantiel de la part du système bancaire public et de l’appareil d’Etat.
– La politique de solidarité et d’humanité face aux réfugiés et aux migrants économiques. Nous combattrons tout comportement xénophobe et raciste, dont le cas d’Aube dorée constitue un exemple extrême qui tend à transformer la guerre sociale du capital en guerre «civile» ethnique, à l’intérieur même du monde du travail. Nous lutterons contre les guerres impérialistes qui exacerbent le problème des réfugiés et des migrants. Nous revendiquerons le soutien que doivent accorder à notre pays et aux autres pays en «première ligne» les autres pays du nord de l’Europe, tout en exigeant la suppression de l’accord de Dublin II qui transforme la Grèce en une gigantesque prison pour migrants.
Sortie de la prison monétaire de l’Eurozone
Nous sommes pleinement conscients que l’annulation des mémorandums à elle seule et plus encore les changements radicaux que nous avons décrits susciteront la réaction virulente des forces dominantes de l’UE. Celles-ci tenteront d’étouffer notre entreprise dans l’œuf, en utilisant comme principal levier l’arrêt des liquidités fournies par la BCE aux banques grecques. C’est d’ailleurs précisément ce que nous avons vécu dès le semestre dernier, même avec la politique beaucoup plus modérée du gouvernement SYRIZA-ANEL.
Par conséquent, les questions relatives à la sortie de la zone euro et à la rupture avec les politiques néolibérales et les choix de l’UE – qui emprunte des chemins de plus en plus conservateurs et antidémocratiques – sont à l’ordre du jour. Il ne s’agit pas de quelque obsession idéologique, mais du réalisme politique le plus élémentaire. L’expérience, cher payée, des derniers mois, a montré aux plus sceptiques que les forces dominantes, au sein de l’actuelle UE allemande, ne sont ni des «alliés» ni des «partenaires». Ce sont des maîtres chanteurs économiques et des violeurs politiques. Ils n’hésitent pas à se venger sur un peuple tout entier, appliquant la plus féroce des «punitions collectives», lorsque les décisions de ce peuple ne leur conviennent pas.
La reconquête de la souveraineté monétaire et l’institution – sur de nouvelles bases: démocratiques, sociales et orientées vers la croissance – d’une nouvelle monnaie, ne constituent pas un objectif per se. Elles ne constituent que l’un des outils nécessaires à la réalisation des changements radicaux que nous avons décrits; de ces changements, le garant final ne sera pas la monnaie, mais la lutte des classes populaires. En dépit des inévitables difficultés des premiers mois, rien ne justifie les Cassandre qui identifient cette initiative à un holocauste économique et à la mort de la nation. Au cours du XXe siècle, 69 unions monétaires se sont effondrées, sans pour autant causer la fin du monde. L’institution d’une monnaie nationale, en tant que condition pour l’application d’un programme progressiste de reconstruction et de sortie de l’impasse, ne constitue pas seulement un choix viable; c’est un choix d’espoir, à même de placer le pays sur une nouvelle voie de développement.
Nous ne sommes pas nostalgiques de la Grèce capitaliste de la drachme. Nous savons pertinemment que la situation de notre pays, avant l’euro, était tout sauf idyllique. Mais les 13 années que nous avons vécues avec l’euro, et tout particulièrement les dernières, ne furent en rien meilleures: les sept premières années ont marqué, pour certaines parts de la population, l’ère de l’ivresse du crédit et de la consommation, sur les ruines de la base productive du pays. Cependant, les six années suivantes ont été celles du réveil brutal de cet état d’ébriété, et la descente aux enfers des mémorandums, sans une once de lumière au bout du tunnel. Il est temps, désormais, de tenter une sortie salutaire.
La reconquête de la souveraineté monétaire, avec la Banque de Grèce désormais libérée de la BCE, fonctionnant sous la responsabilité gouvernementale, publique et sociale, et l’émission d’une monnaie nationale, offrira les liquidités nécessaires à l’économie, sans les conditions odieuses des accords d’emprunt. Elle aidera de façon décisive au soutien des exportations, à la limitation et au remplacement graduel des importations par des produits locaux, et au renforcement de la base productive du pays et du flux touristique.
Elle favorisera la création d’emplois, au moyen d’un programme de nécessaires investissements publics de production, d’initiatives de développement des grandes entreprises publiques, de soutien du secteur public de l’économie et de rétablissement du crédit accordé aux PME. La suppression des charges, notamment fiscales, pesant sur les revenus modestes et moyens et sur les entreprises – imposées par les mémorandums aux seules fins d’assurer le service de la dette non viable – revigorera la demande et conduira à la croissance. Nous présenterons et soumettrons au débat, de façon globale, un plan spécifique pour la Grèce, qui appliquera un programme radical, progressiste avec une monnaie nationale.
Pour une place équitable de la Grèce dans le monde moderne
La sortie de la «prison» économique de l’Eurozone ne suppose pas une «autarcie» et une politique internationale d’isolement, comme l’affirment à tort nos adversaires. Au contraire, en inaugurant une voie différente de changements radicaux, le peuple grec peut constituer un phare d’espoir pour les autres peuples d’Europe et du monde, et s’assurer des sympathies, des soutiens et des alliances précieux. La voie alternative que nous proposions ne privera la Grèce que de ses chaînes, qui la limitent dans le rôle du «terrain» euro-atlantique. Elle libérera, ce faisant, ses potentialités en termes de développement, de relations mutuellement bénéfiques avec tous les pays qui respecteront sa souveraineté et sa décision d’être amicale vis-à-vis de tous les peuples du monde, sans que cela n’aille de soi pour aucune puissance.
Nous nous donnerons pour direction centrale une nouvelle politique, multidimensionnelle et indépendante, dans le domaine des relations internationales, comme dans ceux de l’énergie, de l’économie et de la politique. Ces relations internationales ne se limiteront pas aux strictes frontières de l’UE. Nous voulons développer une politique énergétique de coopération sur le bassin méditerranéen, les Balkans, le Moyen-Orient. Cette politique mettra en valeur les nouvelles potentialités de partenariats mutuellement bénéfiques avec les puissances émergentes des BRICS, l’Amérique latine et d’autres régions du monde.
Nous nous prononçons contre la nouvelle «guerre froide» et une nouvelle division de l’Europe, avec l’érection d’un nouveau mur avec la Russie. Nous luttons contre les choix impérialistes et les stratégies aventurières de l’OTAN. Nous nous engageons en faveur de la sortie de la Grèce de cette alliance, une machine de guerre qui démantèle les Etats, opprime les peuples et déstabilise l’axe géopolitique le plus large de notre région, de l’Ukraine orientale au Moyen-Orient. Nous luttons pour la fermeture des bases américaines de l’OTAN, pour la non-participation de la Grèce à quelque organisme impérialiste que ce soit. Nous aspirons à ce que les problèmes causés dans les relations helléno-turques par les exigences d’Ankara soient abordés par un dialogue pacifique, sur la base du respect total des accords internationaux, du droit international et plus particulièrement du droit des mers.
Nous sommes foncièrement opposés à toute tentative de modification des frontières dans notre région. Nous rejetons tout attisement de tendances nationalistes ou chauvinistes. Nous luttons pour une solution juste et durable pour Chypre, sur la base des résolutions des Nations Unies, pour une Chypre indépendante, sans troupes d’occupation ni bases étrangères. Nous considérons nécessaires l’arrêt de la coopération militaire avec Israël – puissance d’occupation de terres étrangères dans la région – et la reconnaissance immédiate de l’Etat de Palestine. Nous nous tenons solidairement aux côtés de tous les peuples du monde qui se battent pour la liberté, la justice et l’autodétermination.
La sortie de la zone euro et la mise en œuvre d’un programme radical avec pour protagoniste le peuple organisé, impliquent une voie de conflit avec les choix de l’UE et ses organes supranationaux antidémocratiques. Car dès l’accord de Maastricht, la procédure de constitution de l’UE sert la cause néolibérale, renforce les vues impérialistes des grandes puissances et nuit à la souveraineté populaire.
Face à l’inévitable attaque du capital financier et de ses représentants politiques, le peuple doit être prêt à tout. La question de la sortie de la Grèce de l’Union européenne peut être inscrite de fait et à tout moment à l’ordre du jour. Dans ce cas, nous appellerons le peuple à persister dans la mise en œuvre du programme progressiste qu’il a choisi, en se prononçant, par référendum, en faveur du maintien ou de la sortie de la Grèce de l’UE, comme cela s’est d’ailleurs déjà fait et se fait encore dans d’autres pays européens.
En tous les cas, la sortie de la zone euro et la rupture avec le cadre asphyxiant de l’UE ne signifient nullement l’isolement de la Grèce vis-à-vis de son environnement européen. Nous nous adresserons tout particulièrement aux autres peuples, aux mouvements sociaux et aux forces progressistes des pays membres de l’UE, auxquels nous sommes attachés par de profonds liens économiques, politiques et culturels. Nous aspirons à contribuer à la création d’un mouvement paneuropéen autour des objectifs qui portent les intérêts communs du monde du travail, indépendamment de la nationalité de chacun.
Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP en anglais) constitue une étape clé de la mutation conservatrice de l’UE. Cet accord cède les biens publics (eau, éducation, santé, etc.) aux entreprises multinationales et ouvre tout grand la voie aux aliments génétiquement modifiés, tout en supprimant toute notion de droit du travail et de souveraineté nationale susceptibles de constituer un obstacle face à l’impunité des «investisseurs». Nous lutterons de toutes nos forces, avec tous les mouvements progressistes d’Europe, pour empêcher la ratification de ce monstrueux accord.
Démocratie partout, pouvoir populaire
Un élément essentiel de notre proposition alternative est la transformation radicale de l’Etat, de la justice et de l’administration publique. Le rétablissement et l’élargissement des libertés démocratiques, de l’espace de travail jusqu’au droit à manifester, la suppression des MAT [ndlt: «Unités de rétablissement de l’ordre», équivalent des CRS] et plus généralement la lutte contre les mécanismes de répression face au «peuple ennemi», la démocratisation et la transparence dans le champ des médias, la lutte décisive contre la corruption et la collusion, constituent les mesures les plus urgentes dans ce domaine.
Parallèlement, nous réexaminerons le rôle et la direction adoptés, dans des domaines cruciaux, par les «autorités indépendantes» qui régissent le système bancaire, les télécommunications, l’énergie, l’information, etc. Bien entendu, d’autres autorités indépendantes, qui sont à même de jouer un rôle social important, telles que l’ASEP [ndlt: Conseil supérieur de sélection des personnels] seront maintenues et soutenues, par un renforcement de la transparence et du contrôle social. Par ailleurs, nous lancerons une large consultation sociale pour la révision de fond de la Constitution et de tout le système politique, en vue d’une nouvelle Assemblée constituante qui émergera d’élections à venir. Cette révision a pour objectif central l’instauration d’une nouvelle forme de démocratie plus avancée, qui alliera démocratie représentative et démocratie directe, gouvernement avec le soutien à l’initiative populaire et à l’autonomie, participation populaire et décisions populaires directes, en se basant sur les meilleures pratiques et expériences en la matière dans le monde entier.
La poursuite du pouvoir gouvernemental n’est pas, pour nous, une fin en soi. Elle s’inscrit dans l’objectif global de revendication de l’exercice du pouvoir politique par une large alliance populaire. Elle sert un programme de sortie immédiate de l’impasse, qui peut être mis en place par un gouvernement qui s’appuiera sur la force du peuple organisé et sur ses institutions propres, sur le mouvement ouvrier, le mouvement de la jeunesse, les mouvements locaux et environnementaux, les mouvements solidaires, les formes d’autogestion populaire. La mise en œuvre d’un tel programme est également susceptible de modifier les rapports de force sociaux et de faire émerger la possibilité concrète d’ouvrir une nouvelle voie pour la société grecque, dans une perspective socialiste». (2 septembre 2015)
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