Lors de la deuxième journée d’audience du procès France Télécom, mardi, au tribunal correctionnel de Paris, les déclarations des prévenus, dont celles de l’ex-PDG, se sont résumées à un défaussement de leurs responsabilités [voir les éléments constitutifs de ce procès en date du 6 mai 2019].
«Une crise médiatique.» C’est ainsi que Didier Lombard, l’ancien président de France Télécom, a qualifié le malaise social généralisé qui a sévi entre les murs de l’opérateur dans la période de 2007 à 2010, mardi, lors de la deuxième journée d’audience au tribunal correctionnel de Paris. La présentation et les propos liminaires des huit prévenus comparaissant pour des faits de harcèlement moral ont donné lieu à une grande démonstration de déresponsabilisation. Coutumier des sorties provocatrices, Didier Lombard a témoigné en premier à la barre. Et n’a pas failli à sa réputation.
S’il a rappelé avec fierté son parcours professionnel, exprimé «sa profonde tristesse que la situation ait involontairement contribué à fragiliser certains», faisant référence aux suicides et dépressions qui ont endeuillé l’opérateur après le plan Next (supprimant 22’000 postes), le ton n’a pas tardé à changer. «Selon vous, la transformation s’est bien passée?» interroge la présidente. «L’entreprise se portait mieux en 2009», explique tranquillement l’ex-PDG, allant même jusqu’à déclarer que «nos collaborateurs ont été privés de leurs succès. Les journaux disaient que leur entreprise était lamentable». Sur la responsabilité des médias dans cette affaire, il déroule: «J’ai lu des livres sur les suicides depuis. J’ai parlé de “mode” (en 2009) alors que je voulais dire “mood”. Il s’agit de l’effet Werther, l’effet médiatique qui multiplie les suicides.» L’assemblée bruisse, sous le choc des arguments. Sur «la mode des suicides», expression dévastatrice prononcée par Didier Lombard au plus fort de l’hécatombe, son avocat, maître Jean Veil, venu à sa rescousse, précise qu’«il a conscience que sa formule était épouvantable».
«Si je n’avais pas été là, ça aurait été pareil, voire pire»
De son côté, maître Sylvie Topaloff, avocate d’une majorité des 39 parties civiles, constate: «Vous regrettez ces mots mais vous en maintenez le sens. Y a-t-il eu une crise sociale?» «Non», répond implacable Didier Lombard, évoquant «des difficultés». «Si je n’avais pas été là, ça aurait été pareil, voire pire. Je ne suis pas sûr qu’à l’été 2009 (avant la médiatisation), l’entreprise était dans cet état-là», persiste et signe l’ex-PDG. Comble du déni, le nombre de suicides aurait même, selon lui, «été gonflé artificiellement». Ce qui fait bondir maître Topaloff: «Vous avez été interrogé 14’000 fois, vous n’avez jamais dit ça, permettez que je m’en étonne», ajoutant être «consternée». Une bonne partie de la salle s’agite, également affligée. Pour conclure, son associé, maître Jean-Paul Teissonnière, demande: «Vous parlez de tristesse mais pas de regrets. Vous avez dit à maître Topaloff, “je n’y peux rien”. Vous ne regrettez rien?» «Je ne répondrai pas à cette question!» tranche Didier Lombard, qui ne prononcera pas un mot d’excuse.
L’heure n’est pas non plus à la repentance du côté de l’ancien directeur des ressources humaines, Olivier Barberot. «Je souhaitais dire quelque chose sur le plan Act (volet social du plan Next), dont j’ai été le concepteur. Il est, de mon point de vue, injustement mis en cause», justifie-t-il, égrenant les mesures d’accompagnement mises en place: formations, espaces d’accueil… Quant à Louis-Pierre Wenès, pourtant numéro deux du groupe au moment des faits, il affirme, sans ciller, n’avoir «jamais vu ce qui ressemble à des équipes en détresse», confirmant au passage que le plan Next était une réussite. «On vous présentait comme le cost-killer de l’entreprise (tueur de coûts)», rappelle la présidente. «Oui et non», tergiverse-t-il. «Et “le bon, la brute et le truand”, comme on vous a surnommé?» Silence. «Je ne suis pas un modèle de diplomatie, j’ai une image dure», acquiesce-t-il.
«Votre départ est lié à la crise?» questionne-t-elle encore. «J’ai servi de bouc émissaire», ose même déclarer Louis-Pierre Wenès. «Hum…» laisse échapper la présidente. Durant l’interruption de séance, Raphaël, fils d’une des victimes, déplore des propos «hallucinants». «À les écouter, rien de mal n’a été fait. Didier Lombard se défausse complètement. Il parle de crise médiatique, de chiffres gonflés, de cadres privés de leurs succès… Il n’y a que lui qui peut dire des choses comme ça!» Prochaine audience aujourd’hui 9 mai, à 13h30. (Publié dans L’Humanité, en date du 9 mai 2019)
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