France-Débat. «Mélenchon et le coq gaulois»

Par Jean-Jacques Marie

Sur son blog, en date du 18 juillet 2018, Jean-Luc Mélenchon dit solennellement «Non à l’Europe allemande» et renvoie à son ouvrage Le hareng de Bismarck, sous-titré Le poison allemand, publié en 2015, où il déclarait «Rompre avec le poison allemand est une exigence nationale, populaire, sociale et philosophique pour le camp du progrès humain.» ( p. 192)

Pourquoi cette rupture est-elle à ses yeux fondamentale? Parce que nous dit-il «L’Europe est aujourd’hui la «chose» des Allemands. Ils l’utilisent comme bon leur semble.» ( p. 112)

Exemple? «En 2014 c’est elle qui a imposé la candidature du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne pour la droite européenne contre le Français UMP Michel Barnier. Que les deux soient à droite n’enlève rien à la différence fondamentale qui les sépare (souligné par moi p. 114). En quoi consiste cette «différence fondamentale» entre un réactionnaire français et un réactionnaire luxembourgeois soutenu par la bourgeoisie allemande? Mélenchon répond: «Le premier est l’ancien Premier ministre du Luxembourg qui a joué à fond la carte de l’arnaque fiscale pour vivre aux crochets de l’Europe (…) le second est français, ce qui est souvent en soi un programme. Un gaulliste, ce qui est toujours mal vu hors des commémorations (Ibid)».Un gaulliste, donc un chaud partisan de la Cinquième République et de ses institutions profondément antidémocratiques chargé par l’Union européenne de faire capoter le Brexit, mais qui suscite la sympathie de Mélenchon… Parce qu’il est français et gaulliste! Dans le Hareng de Bismarck les classes sociales disparaissent. Plus de patrons et d’ouvriers et employés aux intérêts antagonistes. Restent face à face les méchants Allemands et les gentils Français. Gentils mais grandioses nous dit Mélenchon: «Les Français ont une vision exaltée de la politique où la puissance et la gloire vont ensemble.»(…) Nulle de nos actions qui ne soit une fresque.» (p. 135).La colonisation aussi?
On se souvient qu’en 2005 Sarkozy et Hollande firent ensemble (au point de se faire photographier tout sourire assis côte à côte sur un banc) pour appeler à voter oui au projet de constitution européenne. Malgré une campagne médiatique déchaînée d’une ampleur rarement atteinte, la majorité du peuple français (surtout sa population laborieuse) rejeta massivement le projet par 55 % de non contre 45 % de oui. On se souvient enfin qu’en 2008 Sarkozy et Hollande s’entendirent comme larrons en foire pour faire adopter par le congrès le texte rejeté.

Pour Mélenchon la coupable de cette violation du vote souverain n’est autre que Merkel. Il écrit en effet:  «En 2008 c’est elle qui a obtenu (souligné par moi) – sans difficulté – que Nicolas Sarkozy s’assoie sur le vote des Français pour leur imposer sous le nom de traité de Lisbonne le traité constitutionnel européen pourtant rejeté en 2005 par référendum.» (p. 113) Merkel «a obtenu»? Donc sans sa pression Sarkozy ne bronchait pas et Hollande (oublié par Mélenchon) n’aurait pas eu besoin de l’aider à faire voter le traité de Lisbonne?

Le cocorico répété de Mélenchon l’entraîne loin sur les rivages du chauvinisme et l’amène à prétendre que les méfaits de l’Union européenne ne seraient pour l’essentiel que le produit de la mainmise allemande et la négation d’un modèle français éternel.

Ainsi écrit-il: «La doctrine politique que l’Allemagne veut imposer partout (…) est la négation de l’identité républicaine de la France qui suppose le pouvoir sur toute chose du citoyen.» (p. 17-18). Ah bon? Dans la Ve République sous laquelle nous vivons depuis 60 ans le citoyen aurait donc pouvoir sur toute chose à la différence de ce qui se passe dans la sinistre Allemagne voisine… qui rafle tous les bénéfices ou presque de la liquidation de l’URSS et des «démocraties populaires.»

Ainsi précise-t-il «l’Allemagne a annexé économiquement les anciens pays soviétiques pour en faire l’atelier de production dont elle avait besoin pour produire moins cher. Le reste de l’Europe n’en a recueilli que des miettes. (souligne par moi)»( p. 112). Mélenchon regrette donc que les autres pays européens aient, selon lui, moins bénéficié que Berlin de la liquidation de la propriété d’Etat et de la mise sur le marché d’une force de travail qualifiée massivement réduite au chômage. Etrange internationalisme que cette dénonciation d’une mauvaise répartition du pillage…

De même la guerre menée par l’OTAN pour disloquer la Yougoslavie et fabriquer l’état mafieux du Kosovo… c’est encore et toujours l’Allemagne qui, nous dit l’insoumis en chef, «précipite l’éclatement sanglant de la Yougoslavie (…) à partir de 1998, soutient carrément la constitution des milices armées de l’UCK [Armée de libération du Kosovo]. (…) Puis plaide activement pour l’indépendance du Kosovo, en violation des résolutions de l’ONU.» ( p. 127), organisation de brigandage international dont Mélenchon soutient la légitimité des résolutions et mandats.

En lisant Le Hareng de Bismarck vous ne pouvez jamais savoir que le général qui commande les forces de l’OTAN en Europe est toujours un américain, (aujourd’hui le général Curtis Scaparotti), que le secrétaire de l’OTAN est un norvégien Jens Stoltenberg que le premier proconsul mis à la tête du Kosovo par l’ONU était un bon français de gauche, Bernard Kouchner, membre du premier gouvernement Jospin (1997-1999), alors que Mélenchon fut membre du second (2000-2002)! Un gouvernement Jospin qui en cinq ans privatisa pour 30 milliards d’euros d’entreprises publiques, sans que l’on puisse apparemment attribuer à Merkel cette docilité aux exigences de l’Union européenne, dont Mélenchon pousse le lecteur à se dire que débarrassée de la tutelle germanique, elle ne serait finalement pas si mal que cela.

Mélenchon va plus loin encore en prétendant: «L’OTAN et l’Allemagne c’est la même chose en botte ou en pantoufles». ( p. 130) Pour attribuer à Merkel, comme le fait Mélenchon le contrôle de l’OTAN et de toute l’Europe, le lecteur du Hareng de Bismarck doit ignorer aussi qu’il y a des bases militaires américaines en Allemagne (mais pas de bases allemandes nulle part), en Belgique, en Bulgarie, en Estonie, en Grèce, en Hollande, en Italie, en Lettonie, en Pologne et en Roumanie. L’Allemagne menace même, à l’en croire, la domination américaine. Selon Mélenchon, en effet: «Dorénavant la primauté des Etats-Unis est menacée dans tous les domaines.»( p. 116) Mais s’il n’ose pas affirmer que Merkel impose sa volonté à l’état-major américain en Europe, il en fait l’héritière d’Hitler. Après avoir affirmé, on l’a vu, que «l’Allemagne précipite l’éclatement de la Yougoslavie» il ajoute: « Dans ce cas l’Allemagne réunifiée rejouait le démantèlement de la Yougoslavie déjà tenté par elle en 1941»  (p. 126-128). Son délire chauvin le mène ainsi à identifier l’Allemagne nazie d’Hitler et l’Allemagne bourgeoise d’aujourd’hui. D’ailleurs, pour souligner leur parenté, il dénonce, «le projet annexionniste de l’Allemagne.» (p. 142) aujourd’hui.

Mélenchon n’évoque jamais le rôle crucial du FMI, qui applique au reste du monde les recettes destructrices que l’Union européenne met en œuvre en Europe. Or le FMI est, avec le consentement sinon sur ordre des autorités et des grandes banques américaines, dirigé depuis de longues années par de bons Français (le socialiste affairiste Strauss-Kahn, puis l’ancienne ministre de Sarkozy et surtout ancienne membre d’un riche cabinet d’avocats d’affaires américains, Christine Lagarde). La mise en accusation permanente de l’Allemagne dénoncée comme une dominatrice insolente de l’Europe aboutit à protéger toutes les institutions au service des intérêts du capital financier.
Nul doute que l’écrasante majorité des insoumis ne peuvent se reconnaître dans ce camouflage politique. (Article envoyé par l’auteur et qui sera publié dans les colonnes de la Tribune des Travailleurs, le 29 août 2018)

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Jean-Jacques Marie est l’auteur, entre autres, de Histoire de la guerre civile: 1917-1922 (Ed. Tallandier 2015), Les Femmes dans la révolution russe (Le Seuil 2017), La guerre des Russes blancs. L’échec d’une restauration inavouée 1917-1920 (Ed. Tallandier 2017), Khrouchtchev ou l’impossible réforme (Payot 2010) et de nombreuses biographies. (Réd. A l’Encontre)

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