Par Frédéric Lemaître
Pour célébrer son premier anniversaire, le mouvement d’extrême droite Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), qui réunit ses partisans tous les lundis à Dresde (Saxe, est de l’Allemagne), avait promis, lundi 19 octobre, un rassemblement exceptionnel. Il le fut. Non en raison du nombre de participants – Pegida a déjà réuni davantage que les 15’000 à 18’000 personnes comptabilisées – mais en raison des propos qui y ont été tenus. L’invité vedette, Akif Pirinçci, un écrivain allemand d’origine turque a en effet regretté la disparition des camps nazis. Un délit passible, selon certains juristes, de trois à cinq ans de prison.
Après avoir évoqué les réfugiés – qu’il appelle «envahisseurs» –Akif Pirinçci s’en est pris à un maire (CDU-Christlich Demokratische Union Deutschlands) qui aurait conseillé à un habitant hostile à l’ouverture d’un foyer pour réfugiés de quitter le pays puisqu’il n’en partageait pas les valeurs. «Il y aurait bien sûr d’autres alternatives. Mais malheureusement, les camps de concentration ne fonctionnent plus» [1], a déploré l’orateur, sous les applaudissements.
Agé de 55 ans, Akif Pirinçci est surtout connu des Allemands pour ses polars dont le héros est un chat surnommé Francis. Mais peu à peu, l’homme s’est fait une spécialité de dénoncer ce qu’il considère comme le politiquement correct. A Dresde, sans doute grisé par son succès, l’écrivain a parlé si longtemps [quelque 25 minutes] et de manière si excessive qu’il a fini par être hué et interrompu par Lutz Bachmann [1], le fondateur de Pegida.
Un livre dénonçant la théorie du genre
Evidemment, la référence aux camps de concentration a fait scandale. Dès mardi, une plainte a été déposée et le parquet a ouvert une enquête. Le comité international d’Auschwitz a dénoncé «un odieux signal d’impudence». Le groupe Bertelsmann, qui publie les ouvrages d’Akif Pirinçci, a annoncé qu’il retirait ceux-ci de la circulation. «La protection de la démocratie et des droits de l’homme constitue un volet essentiel de notre activité éditoriale, tout comme le respect des traditions et de la diversité culturelle. Les déclarations d’Akif Pirinçci vont totalement à l’encontre de ces valeurs», déclare le groupe. Sur Facebook, Lutz Bachmann, lui-même dans le collimateur de la justice, a reconnu mardi «une grave erreur» et a présenté ses excuses.
Pegida est composé de jeunes néonazis, mais aussi de personnes qui se définissent comme «patriotes» [une dénomination qui, en Suisse alémanique renvoie directement à la droite extrême et l’extrême-droite] et affirment condamner tout recours à la violence. Il n’en reste pas moins que la sortie d’Akif Pirinçci sur les camps a été applaudie, ce qui en dit long sur l’état d’esprit des participants.
En principe sort mercredi, chez un petit éditeur, le dernier ouvrage d’Akif Pirinçci. Intitulé Die grosse Verschwulung («La Grande Homosexualisation»), ce livre, d’après sa présentation sur Internet, dénonce ladite théorie du genre. (Publié dans Le Monde, 20 octobre 2015)
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[1] «Die KZs [camps de concentration nazis] sind ja leider derzeit ausser Betrieb». En allemand la formule sonne plus fort.
Son dernier ouvrage a pour titre : Deutschland von Sinnen. Der irre Kult um Frauen, Homosexuelle und Zuwanderer. L’Allemagne des sens. Le culte fou à propos des femmes, des homosexuels et des immigrants. Ses déclarations, durant son discours, contre Verts – qualifiés de Kinderfickerpartei, Le Parti des pédophiles – ou contre les musulmans – «Moslemmüllhalde», «Ce dépotoir de musulmans» – étaient plus que prévisibles. Il a été choisi par les organisateurs de Pegida pour cette raison. (Réd. A l’Encontre)
[2] Lutz Bachman, né à Dresde, a un passé chargé condamné à trois ans et demi de prison ferme pour 16 cambriolages et braquages commis durant les années 1990, Lutz Bachmann s’est enfui vers l’Afrique du Sud, où il s’est caché sous une fausse identité. Il a finalement été extradé,«de façon totalement non bureaucratique et efficace, pas comme chez nous avec les criminels étrangers» dit-il. Incarcéré, Lutz Bachmann a été relâché pour bonne conduite, avant de replonger pour trafic de drogue. Condamné avec sursis pour cette affaire, Lutz Bachmann est inéligible jusqu’en février 2015. (Libération, 22 décembre 2014; réd. A l’Encontre)
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