Marx a constamment insisté sur les déterminants productifs de la crise capitaliste. Dans le cadre des profondes transformations engendrées par la mondialisation, ce principe permet d’éviter des lectures simplistes mettant exclusivement l’accent sur la dimension financière.
Finance et production
Aujourd’hui, les grands capitaux se déplacent d’une activité spéculative à une autre, grâce à une dérégulation qui nourrit les bulles de liquidités. La gestion des entreprises au service des actionnaires renforce également les déséquilibres du crédit, l’instabilité des taux de change et la volatilité boursière. Ce processus aggrave les tensions qui naissent de l’effet de levier, des produits dérivés et des nouveaux instruments de titrisation. Il est clair que le néolibéralisme a ouvert les vannes pour une énorme débauche de spéculation.
Marx a montré, il y a déjà 150 ans, que ces paris fous sont caractéristiques du capitalisme. La spéculation n’est pas un aléa mais une activité constitutive du système. Elle a acquis une dimension considérable durant les trois dernières décennies, mais elle n’est pas une spécificité du modèle néolibéral. Cette précision permet de décrypter les relations entre déséquilibres financiers et productifs que Le Capital avait déjà mis en évidence. Marx a décrit les tensions propres à la sphère financière, mais il a souligné qu’elles dérivent en fin de compte des changements qui s’opèrent dans la sphère productive.
On peut ensuite remarquer que l’hégémonie actuelle de la finance n’est qu’un aspect des mutations en cours et non pas une donnée structurelle du capitalisme contemporain. La classe dominante utilise l’arme de la finance pour rétablir le taux de profit. La mondialisation financière est ainsi étroitement liée au développement de l’internationalisation productive. Le très grand nombre de titres en circulation est la condition d’une gestion des risques toujours plus sophistiquée. La financiarisation permet ainsi d’organiser à l’échelle du monde des activités productives ou commerciales soumises aux fluctuations erratiques des marchés. L’expansion du capital fictif fait aussi partie des conditions de fonctionnement de ce modèle en épousant au plus près les mouvements du capital-argent. Elle permet en outre d’accompagner les échanges de biens intermédiaires.
Toutes ces connexions expliquent la persistance de la mondialisation financière après la crise de 2007-2008. Les capitaux continuent à circuler librement d’un pays à l’autre car ils servent de lubrifiant au fonctionnement des multinationales capitalistes. Toutes les tentatives de réintroduire des contrôles sur les banques ont échoué en raison de la résistance de la finance. Ce pouvoir de veto illustre bien l’imbrication du monde de la finance et de la sphère productive: ce sont les deux facettes d’un même processus d’internationalisation.
Le Capital fournit de nombreuses indications sur la dynamique financière qui mobilisent une interprétation originale des fonctions de la monnaie. Marx souligne le rôle irremplaçable d’intermédiation joué par la monnaie dans l’ensemble du processus de reproduction du capital. Il montre comment les différentes fonctions de la monnaie (unité de compte, moyen de paiement et réserve de valeur) sont soumises à la même logique objective qui régit l’ensemble du cycle de la marchandise.
Ce rôle de la monnaie a pris des formes très différentes selon les régimes monétaires en vigueur. L’étalon-or du XIXe siècle, par exemple, est très différent du régime actuel de parités administrées par les banques centrales. Mais dans tous les cas les régimes monétaires s’adaptent à la dynamique spécifique de l’accumulation du capital, aux formes de la concurrence et de la production de plus-value.
Le Capital contribue à rétablir ces résultats fondamentaux, et pas seulement en opposition aux mythes orthodoxes sur la transparence commerciale, l’allocation optimale des ressources ou la monnaie considérée comme exogène, neutre et passive. Marx met aussi en évidence le simplisme des approches hétérodoxes. Pour lui, la monnaie n’est pas une simple représentation symbolique, un mécanisme conventionnel ou un instrument qui s’adapte au cadre institutionnel. Son rôle nécessaire et spécifique renvoie à la métamorphose des différentes formes que le capital emprunte pour parcourir les circuits productifs, commerciaux et financiers.
Le rôle essentiel du Capital pour comprendre l’évolution actuelle des salaires, les inégalités, le chômage et la crise devrait conduire à une réévaluation globale de ses contributions à la théorie économique. Il serait utile, par exemple, d’actualiser l’étude qu’Ernest Mandel avait réalisée à l’occasion du centenaire de la première édition du Capital [3].
Economie mondiale, économies nationales
L’oeuvre du penseur allemand ne se borne pas à clarifier la signification des catégories de base de l’économie. Il esquisse également des lignes de recherche pour comprendre la mondialisation en cours. Si Marx n’a pas eu le temps d’écrire le tome qu’il préparait sur l’économie internationale, il a toutefois esquissé des idées essentielles pour comprendre la logique globalisatrice du système.
Ces principes restent pertinents aujourd’hui, quand le capitalisme fonctionne au service de multinationales géantes qui incarnent le saut enregistré dans l’internationalisation. WalMart vend plus que ce que produit une centaine de pays, le volume d’activité de Mitsubishi dépasse le PIB de l’Indonésie et General Motors celui du Danemark.
Les multinationales ont diversifié leurs processus de production, désormais organisés en chaînes de valeur globales d’où sortent des marchandises made in the World. Ils localisent les segments de production en fonction des avantages procurés par chaque région du monde en matière de salaires, de subventions et de disponibilité des ressources naturelles.
La généralisation des traités de libre-échange accompagne cette mutation. Les multinationales ont besoin d’une baisse des droits de douane et de la plus grande liberté de circulation pour réaliser leurs échanges entre filiales et maisons mère. C’est pourquoi elles imposent des accords qui consacrent la suprématie des entreprises en cas de différend. L’issue de ces procès est décisive dans des secteurs tels que la génétique, la santé ou l’environnement.
En relisant Le Capital, on peut surmonter deux erreurs fréquemment commises dans l’analyse de l’internationalisation en cours. La première consiste à penser que le capitalisme fonctionne aujourd’hui selon la même logique d’une juxtaposition de capitalismes nationaux qui prévalait aux XIXe et XXe siècles. La seconde erreur, symétrique, serait de considérer que le capitalisme est intégralement mondialisé, que les frontières se sont effacées, que le rôle des Etats s’est réduit à peu de choses et que les classes dirigeantes sont directement intégrées au niveau transnational.
Le capitalisme se trouvait dans une phase très différente du contexte actuel quand Marx écrivait son œuvre maîtresse. Mais il a correctement conceptualisé comment les tendances à la mondialisation se développent au sein même des États et des économies nationales. La proportion dans laquelle se combinent formations nationales et mondialisation a évidemment changé, mais cette articulation est toujours valide.
Le Capital a approfondi les idées du Manifeste communiste sur le caractère international de l’expansion bourgeoise. Dans le premier ouvrage, Marx avait décrit la formation d’un marché mondial, la puissance du cosmopolitisme économique et la rapide universalisation des règles commerciales. Dans son livre de la maturité, il a précisé les formes que prennent ces tendances et a souligné leur articulation avec les conjonctures nationales.
Marx a affiné son analyse de l’internationalisation à partir de sa critique de la thèse de Ricardo sur les «avantages comparatifs». Il a montré que les inégalités qui prévalent dans les échanges internationaux sont de nature structurelle. C’est pourquoi il a rejeté toute perspective de convergence harmonieuse entre pays ainsi que les schémas d’ajustement spontané aux caractéristiques des concurrents. Cette approche a permis à Marx de remarquer qu’au niveau international les rémunérations sont plus élevées pour les travaux dont la productivité est supérieure. C’est donc dès le début du capitalisme que Marx a su identifier certains éléments des explications ultérieures des écarts dans les termes de l’échange.
Le théoricien allemand a également observé la longue liste des désajustements engendrés par l’expansion capitaliste au-delà des frontières nationales. Il a enregistré les fractures de plus en plus profondes que ce processus provoque à l’échelle mondiale. Mais Le Capital a étudié cette dynamique dans des contextes nationaux spécifiques, en décrivant l’évolution des salaires, des prix et des investissements dans différentes économies. Il a notamment détaillé cette dynamique à propos du développement industriel de l’Angleterre.
La lecture de Marx invite par conséquent à concevoir la mondialisation contemporaine comme une tendance dominante qui coexiste avec des logiques nationales d’accumulation du capital, de telle sorte que les deux processus fonctionnent de manière combinée.
Une nouvelle approche de la polarisation de l’économie mondiale
Le Capital est aussi d’une grande utilité pour analyser la logique des rapports entre Centre et Périphérie qui est à la racine de la fracture mondiale actuelle. Dans ses observations sur le développement général du capitalisme, Marx a mis en avant plusieurs idées sur cette division. Son hypothèse initiale était que les pays arriérés connaîtraient le même processus d’industrialisation que l’Occident. Il pensait que l’expansion du capitalisme allait effacer les frontières et créer un système mondial interdépendant.
Telle était sa vision dans le Manifeste communiste où il expliquait que la Chine et l’Inde se moderniseraient grâce aux chemins de fer et à l’importation de textiles britanniques. L’observation de la dynamique objective du développement capitaliste conduisait alors Marx à considérer que les structures antérieures seraient absorbées par le progrès des forces productives. Mais durant la rédaction du Capital, Marx en vint à discerner des tendances contraires et à remarquer que la puissance dominante se modernisait en creusant l’écart avec le reste du monde. Cette approche fut renforcée par son observation de ce qui se passait en Irlande. Marx fut impressionné par la façon dont la bourgeoisie anglaise y étouffait l’émergence des manufactures afin de garantir la prééminence de ses exportations. Il remarqua aussi comment elle y recrutait une main-d’œuvre bon marché afin de peser sur la progression des salaires en Angleterre.
Ces nouvelles observations conduisirent Marx à postuler que l’accumulation primitive ne débouche pas forcément sur un puissant processus d’industrialisation dans les pays soumis au joug colonial. Dans ce constat, on trouve les bases des critiques adressés plus tard aux schémas selon lesquels les pays de la Périphérie seraient tirés par ceux du Centre. C’est le fondement des conceptualisations ultérieures du sous-développement.
Marx n’a pas produit une théorie du colonialisme, ni une interprétation de la relation Centre-Périphérie. Mais il a laissé toute une série d’observations pour la compréhension de la polarisation du monde, qui ont été reprises par ses successeurs et par les théoriciens de la dépendance.
Cette ligne de travail est très intéressante car elle permet d’observer comment le néolibéralisme exacerbe aujourd’hui les fractures mondiales. Au cours des trois dernières décennies, les écarts se sont creusés au détriment des pays les plus pauvres de la Périphérie. Cette dégradation a été renforcée par la domination de l’industrie agroalimentaire, la dette extérieure et la dépossession des pays dépendants de leurs ressources naturelles, ces extorsions pouvant prendre des formes très violentes en Afrique et dans le monde arabe.
Les recherches de Marx ont aussi porté sur les différenciations entre pays du Centre. Il a par exemple compris que l’essor de l’industrie britannique ne se reproduirait pas en France et qu’il pouvait exister des modèles de croissance s’articulant avec le servage en Russie ou l’esclavage aux Etats-Unis.
C’est à partir de ces observations que l’auteur du Capital a progressivement changé de paradigme conceptuel. Dans ses travaux les plus aboutis, il a dépassé son schéma initial unilinéaire fondé sur la seule évolution des forces productives. La chronologie rigide selon laquelle les pays de la Périphérie devraient suivre le même processus de modernisation est ainsi remplacée par un nouveau point de vue qui prend en compte la diversité du développement historique. Cette méthode d’analyse est précieuse pour analyser la spécificité des formations intermédiaires qui ont constamment émergé depuis 150 ans et pour rendre compte des dynamiques de croissance accélérée comme en Chine, ou des épisodes de restructuration profonde du système comme le néolibéralisme.
Les prémices de l’anti-impérialisme
Marx a étudié l’économie du capitalisme sous l’angle de son impact sur la lutte des classes. C’est pourquoi il s’est intéressé aux processus politiques révolutionnaires à l’échelle internationale. Il a suivi avec un intérêt particulier le développement des révoltes populaires en Chine, en Inde et en particulier en Irlande et a compris l’importance des liens entre luttes nationales et luttes sociales. C’est pourquoi il a milité pour que les ouvriers anglais apportent leur soutien au soulèvement en Irlande, de manière à lutter contre les divisions entre les opprimées des deux pays.
De cette expérience, Marx tira la conclusion qu’il ne fallait pas conditionner l’indépendance de l’Irlande aux victoires du prolétariat en Angleterre. Il abandonna son internationalisme cosmopolite initial pour montrer que le lien entre les deux processus devait être conçu comme la convergence de la résistance anticoloniale et des luttes sociales dans les économies du Centre.
Dans le Manifeste, le révolutionnaire allemand ne se contentait pas de décrire la destruction des formes économiques précapitalistes, il dénonçait vigoureusement le colonialisme et les atrocités commises par les grandes puissances. Mais dans ses œuvres de jeunesse Marx postulait encore que l’expansion du capitalisme allait précipiter l’éradication de ce système. Il défendait un internationalisme prolétarien élémentaire qui n’avait pas rompu avec les anciennes utopies universalistes.
Dans ses analyses ultérieures, Marx a mis en évidence la dimension progressiste des révolutions dans les pays de la Périphérie. Ces prises de position seront reprises par ses disciples au XXe siècle, qui souligneront la contradiction entre les puissances dominantes et les nations opprimées, ainsi que la convergence possible entre luttes nationales et sociales. Ces analyses ont conduit à l’élaboration de stratégies d’alliance entre les salariés des métropoles et les déshérités du monde colonial.
C’est sur cette même base que les théoriciens du marxisme latino-américain ont conçu la synthèse du socialisme et de l’anti-impérialisme. Ce schéma a conduit à une convergence entre la gauche et le nationalisme révolutionnaire face à l’impérialisme américain, qui a inspiré la révolution cubaine et a été repris par le processus bolivarien.
Ces acquis retrouvent une importance renouvelée dans une situation marquée par les agressions de Trump. Les outrances du magnat ont pour effet de revitaliser les traditions anti-impérialistes, en particulier dans des pays particulièrement maltraités comme le Mexique. Ainsi renaît la mémoire des résistances aux incursions des Etats-unis. Marx avait compris que les grandes humiliations nationales pouvaient déclencher des processus révolutionnaires et ce qu’il avait pu observer au XIXe siècle est de nouveau d’actualité aujourd’hui.
Les revers et l’idéologie
Marx a dû faire face à des moments d’isolement, au reflux des luttes populaires et à la consolidation de la domination bourgeoise. Et ces circonstances ont coïncidé avec la rédaction de diverses parties du Capital. Marx a donc eu à affronter la même adversité que l’on rencontre aujourd’hui avec la consolidation du néolibéralisme. Ce type de situations le conduisit à se demander comment domine la classe dominante, ce qui l’a conduit à conceptualiser le rôle de l’idéologie dans cette domination.
On trouve plusieurs développements consacrés à cette problématique dans l’étude du fétichisme de la marchandise du Capital. Ils permettent d’éclairer le mode opératoire du néolibéralisme au cours des dernières décennies. Le système produit une puissante idéologie qui repose sur de fausses attentes. Cela passe par la diffusion de fables sur la sagesse des marchés et sur la prospérité spontanée, par l’idée que la richesse va «ruisseler» et par la réactivation des mythologies traditionnelles de l’individualisme. Marx avait déjà décortiqué les nombreuses facettes de ces fausses croyances propagées par les dominants afin de faire de leur oppression une loi naturelle.
Le credo néolibéral fournit ainsi à la classe dominante les arguments nécessaires pour justifier sa domination. Même si le degré de pénétration de ces idées est très variable, leur impact sur la subjectivité de tous les individus est évident. Cependant, comme au temps de Marx, la reproduction du capitalisme est également fondée sur la peur. Le système souffle en effet le chaud et le froid: il fait miroiter un avenir radieux mais en même temps distille l’effroi face à cet avenir. Le néolibéralisme joue surtout sur l’angoisse du chômage, sur les humiliations de la précarité du travail et sur la désespérance devant la fracture sociale.
Ces craintes sont relayées par les grands moyens de communication à coups de présentations sophistiquées et de tromperies inventives. Les médias ne se bornent pas à façonner l’opinion commune mais fonctionnent aussi comme de véritables machines de diffusion des valeurs conservatrices. Ils complètent, voire remplacent, le rôle des anciennes institutions scolaires, militaires ou ecclésiastiques dans le maintien de l’ordre bourgeois. La presse, les médias et les réseaux sociaux occupent un espace inimaginable au XIXe siècle. Ils diffusent les illusions et les craintes qui renforcent l’hégémonie politique du néolibéralisme.
Ces mécanismes ont cependant été sérieusement érodés par la perte de légitimité qu’engendre le mécontentement populaire. Trump, le Brexit ou la montée des partis réactionnaires en Europe, montrent comment le malaise social peut être récupéré par la droite. Face à de telles situations, Marx a forgé une tradition durable visant à construire des alternatives qui combinent la résistance et la compréhension de la conjoncture.
Le projet socialiste
Marx a activement participé aux mouvements révolutionnaires qui débattaient des idées socialistes et communistes. Il n’a pas réduit ses interventions pendant qu’il rédigeait Le Capital. S’il n’a jamais élaboré un modèle détaillé de la société future, il en a exposé les fondements. Sa critique acerbe de l’oppression l’a conduit à concevoir des régimes économiques fondés sur l’élargissement de la propriété publique. Il militait aussi pour la mise en place de systèmes politiques régis par l’auto-administration populaire. Marx faisait le pari d’une installation rapide de ces systèmes en Europe ; la transformation révolutionnaire commencerait sur le vieux continent et se propagerait à l’ensemble de la planète. Il voyait dans la Commune de Paris une première ébauche de ce projet.
On sait que l’histoire a suivi un chemin très différent. Le triomphe bolchevique de 1917 a ouvert la séquence des grandes victoires populaires du XXe siècle, y compris les tentatives de construction du socialisme dans divers pays de la Périphérie. Effrayées par ces bouleversements, les classes dominantes firent des concessions sans précédent pour contenir la force des mouvements anti-capitalistes. Dans les années 1970-1980, la perspective du socialisme était si populaire qu’elle était revendiquée par d’innombrables partis et mouvements.
Mais on sait aussi ce qui est arrivé ensuite. L’effondrement de l’Union soviétique a ouvert une longue période de réaction contre l’égalitarisme, qui persiste aujourd’hui. Ce panorama est cependant altéré par la résistance populaire et le déclin du modèle politico-idéologique qui a sous-tendu la mondialisation néolibérale. Dans ce contexte, les relectures du Capital rejoignent la redécouverte du projet socialiste. Les jeunes n’ont plus à porter les traumatismes de la génération précédente, ni les frustrations qui ont suivi l’implosion de l’URSS.
L’expérience même de la lutte est formatrice. De nombreux militant·e·s comprennent que la conquête de la démocratie effective et de l’égalité réelle nécessite un autre système social. Face aux souffrances infligées par le capitalisme, ils perçoivent le besoin de construire un horizon d’émancipation.
L’arrivée de Trump au pouvoir apporte de nouvelles dimensions à ce combat. Le richissime président tente de restaurer par la force l’hégémonie des États-Unis. En réactivant un unilatéralisme militaire belliqueux, il cherche à renforcer la domination de Wall Street et du lobby pétrolier. Trump ne se contente pas de proclamer que l’Amérique doit recommencer à «gagner les guerres». Il a déjà mis à exécution son programme militaire en bombardant la Syrie et l’Afghanistan. Il exige aussi la subordination du vieux continent, menaçant ainsi la pérennité de l’Union européenne. Trump ne se limite pas à la construction du mur à la frontière mexicaine, il multiplie les expulsions d’immigrés, encourage les coups de droite au Venezuela et menace Cuba.
Cette situation convulsive est une autre raison pour que Marx retrouve son actualité aujourd’hui. Ses textes fournissent un guide pour comprendre l’économie contemporaine, mais ils offrent également un cadre pour l’action politique autour de trois principaux axes: renforcer la résistance anti-impérialiste, mener la bataille idéologique contre le néolibéralisme et redonner un rôle central au projet socialiste.
Mode de vie et engagement
Les théories élaborées par Marx ont révolutionné tous les cadres théoriques et bousculé les fondements de la pensée sociale. Mais le théoricien allemand s’est aussi distingué comme un acteur de premier plan des luttes sociales. Son mode de vie serait aujourd’hui caractérisé comme celui d’un militant.
Marx a refusé la posture de l’observateur neutre des conflits sociaux. Il s’est toujours rangé du côté des opprimés, et a choisi de prendre part à l’action révolutionnaire. Cet engagement a orienté ses travaux vers les problèmes de la classe ouvrière et la conquête des droits sociaux en vue de la construction d’une société débarrassée de l’exploitation. Marx a toujours pris soin de combiner de manière étroite l’élaboration théorique et la pratique politique. Il a inauguré un type d’intellectuel à la fois économiste et socialiste, et ce modèle sera repris par de nombreux penseurs.
Grâce à ce positionnement, Marx a pu éviter deux erreurs: la retraite universitaire éloignée de l’engagement politique et l’action pragmatique désordonnée. Il lègue ainsi un message d’intervention dans les luttes et de travail intellectuel pour comprendre la société contemporaine. Continuer sur cette voie est le meilleur hommage que l’on peut rendre au 150e anniversaire du Capital. (Traduction pour A l’Encontre par Michel Husson)
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Notes
[1] Claudio Katz est un économiste argentin, chercheur au CONICET, professeur à l’Université de Buenos Aires et membre du réseau EDI (Economistes de gauche). Cet article est la traduction de: «La relevancia contemporánea de Marx», Rebelión, 19 mai 2017 (traduction: Michel Husson).
[2] Cet article synthétise les idées exposées dans Claudio, Katz, La economía marxista hoy. Seis debates teóricos, Maia, Madrid, 2009 ; Neoliberalisme, desarrollismo, socialismo, Batalla de ideas, 2016, Buenos Aires; «Marx y la periferia», Rebelión, 28 mars 2016 ; «The Manifesto and Globalization», Latin American Perspectives, n° 121, vol. 28, n° 6, novembre 2001. On trouvera dans ces textes l’ensemble de la bibliographie.
[3] Claudio Katz fait ici référence aux préfaces de Mandel aux trois volumes de l’édition anglaise du Capital publiée par Penguin en 1976, 1978 et 1981. Ces préfaces ont été traduites en espagnol et réunies sous forme d’un livre, El Capital: cien años de controversias en torno a la obra de Karl Marx [Le Capital: cent ans de controverse autour de l’œuvre de Karl Marx]. Les préfaces de Mandel n’ont malheureusement jamais été traduites en français (NdT).
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