Etats-Unis. «Face à la répression des migrant·e·s: rien de moins qu’une égalité pleine et entière»

Par Socialist Worker (éditorial)

Dans un éditorial publié le 20 mars, le New York Times (NYT) demandait que les entreprises qui emploient des travailleurs sans papiers soient réprimées. Sans cela, le quotidien avertissait, «les contribuables américains continueront à financer une répression des immigrants onéreuse et cruelle pendant des années et des années. Au même moment, les employeurs continueront, tout en détournant le regard, à récolter tranquillement les avantages que procure le travail des immigré·e·s.»  

Cinq jours plus tôt, dans un quartier industriel du Queens [à New York] – à plus de six kilomètres et dans un univers à mille lieues des bureaux du NYT à Manhattan – la direction des boulangeries industrielles Tom Cat Bakery a remis à son personnel une lettre indiquant que, suite à un audit gouvernemental, les travailleurs qui ne pourraient pas procurer une preuve de leur statut d’immigration dans les dix jours seraient licenciés.

Est-ce un exemple de ce que le New York Times souhaite? Si tel est le cas, dans quelle mesure est-ce différent de la «répression cruelle des immigrés» qu’ils prétendent condamner?

Nombreux sont ceux qui ont été surpris de voir le quotidien liberal le plus célèbre du pays donner des conseils à l’administration Trump sur la manière de traquer plus efficacement les immigré·e·s. S’il y a eu un «côté positif» à la xénophobie de Trump, c’est bien que des médias de premier plan tels que le NYT aient enfin commencé à publier des reportages sur le coût humain des déportations et des détentions d’immigré·e·s. Une chose qu’ils n’avaient largement pas faite au cours des huit longues années au cours desquelles Barack Obama était le «déporteur en chef».

Les immigré·e·s et ceux qui les soutiennent doivent considérer l’éditorial du NYT comme étant un rappel déplaisant, mais important, sur le fait que nous ne devrions pas confondre la volonté de l’establishment liberal d’attaquer Donald Trump avec un jugement selon lequel ce secteur de l’establishment serait, en réalité, de notre côté.

C’est aussi un avertissement. Si notre combat contre les politiques migratoires de Trump n’aboutit pas à asseoir nos revendications de justice et d’égalité, d’autres «revendications», bien pires, seront imposées par des voix liberal qui affirmeront parler en notre nom (celui du mouvement).

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Le NYT a raison de dire que l’absence de poursuites judiciaires contre les employeurs met au jour l’hypocrisie des politiciens qui affirment être contre les migrant·e·s sans papiers parce qu’ils violeraient la loi. Ainsi que le note l’éditorial: «Les employeurs américains continuent à penser qu’ils courent peu de risques à employer des migrant·e·s sans papiers pour réaliser les emplois subalternes, harassants, le plus souvent avec de faibles salaires. Au même moment, tandis que les déportations de Monsieur Trump s’accélèrent, que des familles sont déchirées et que les communautés de travailleurs immigrés fortement enracinées dans le pays sont saisies par la peur et l’incertitude.»

Trump, comme avec tout ce qu’il touche, fait du double standard qui existe depuis longtemps une chose encore plus visible et grotesque. Il fulmine contre les immigré·e·s, vus comme des «criminels», et désire créer un ministère de la propagande diffusant des récits sur la violence supposée des immigrés – alors même que le cabinet qu’il a nommé est composé d’escrocs dont les crimes vont de saisies hypothécaires illégales (Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor) à des poursuites judiciaires biaisées racialement (le procureur Jeff Sessions), pour ne citer que ces deux exemples.

Andrew Pudzer [propriétaire de chaînes de fast-food], le candidat qui n’a finalement pas accédé au poste de secrétaire au travail, a, quant à lui, été impliqué dans des affaires de vol de salaire et d’emploi de travailleurs sans papiers.

Cette duplicité n’est pas le propre du gouvernement Trump. C’est une caractéristique de la mise en œuvre des politiques de l’immigration, autant aux Etats-Unis que dans les autres pays.

L’objectif central de la vague de peur, engendrée par les raids de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE, le service de l’immigration et du contrôle des douanes) dans tout le pays, n’est pas tant de déporter tous les immigrés ou de les arrêter pour avoir «volé» des emplois aux travailleurs nés aux Etats-Unis. Il s’agit plutôt de faire en sorte que la majorité d’entre eux et elles continuent à travailler, mais dans une position encore plus vulnérable et précaire: craignant de revendiquer leurs droits (et soumis au risque que le patron appelle l’ICE) ou de chercher un autre emploi (où ils pourraient être appelés à fournir de nouveaux documents).

Les preuves s’accumulent que les agents de l’immigration font la chasse à ceux qui sont des animateurs sur les lieux de travail (comme les employés de Tom Cat, qui ont organisé des campagnes victorieuses visant à améliorer leurs conditions de travail ou encore les trois activistes [militants de Migrant Justice] de l’industrie laitière arrêtés par l’ICE il y a deux semaines dans le Vermont.

Ces travailleurs sont visés non parce qu’ils ont violé une quelconque loi, mais parce qu’ils revendiquent que leurs employeurs respectent les lois qui sont supposées protéger les travailleurs des conditions de travail inhumaines et des salaires très bas.

Le New York Times a raison de dénoncer la prétendue politique de «mise en œuvre des lois» de Trump qui emprisonne et déporte des travailleurs, tout en ignorant les crimes bien plus sérieux de leurs employeurs.

La solution consiste à punir les employeurs pour ne pas respecter le droit du travail, et non pas les lois sur l’immigration, ainsi que de décriminaliser totalement l’immigration et d’arrêter de poursuivre des personnes parce qu’elles migrent vers des pays dans lesquels elles cherchent des conditions de vie meilleures.

Ainsi que l’a déclaré un syndicaliste né aux Etats-Unis lors d’un rassemblement de soutien aux travailleurs de Tom Cat: «Peu importe leur statut, s’ils travaillent ici, ils méritent le respect et la jouissance de droits.»

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La résistance croissante contre Trump fera un pas important le 1er Mai, avec de grandes manifestations et, espérons-le, des grèves dans les villes et localités du pays.

En ce jour historique, les droits des migrant·e·s seront placés au centre des protestations. Cela signifie que c’est un moment crucial pour que le mouvement débatte et discute non seulement de ce contre quoi il se bat, mais également de ce pour quoi il lutte (ainsi que de s’interroger sur la manière de gagner des millions de personnes à nos revendications).

Nous proposons de commencer avec deux principes simples: 1° tout le monde devrait jouir de droits égaux indépendamment du lieu de naissance; 2° les êtres humains devraient disposer des mêmes droits que ceux des entreprises à traverser les frontières. Ce sont là des idées de base avec lesquelles la plupart des gens seront d’accord, mais elles constituent un défi majeur à la façon dont les patrons nous divisent et nous affaiblissent.

Sur la base de ces principes, un grand nombre de mesures mises en avant par les prétendus alliés des immigré·e·s au sein du Parti démocrate – telles que les programmes de travailleurs invités, la déportation des immigré·e·s condamnés pénalement, placer les autres immigré·e·s sur la longue (et peut-être sans fin) «voie vers la naturalisation», ainsi que fermer la porte au nez de ceux et celles qui ne sont pas encore arrivés – ne sont pas des compromis sur la voie de la justice, mais une manière plus ordonnée de réguler des inégalités permanentes ainsi que de fournir aux employeurs une main-d’œuvre précaire.

Cela ne signifie pas que notre mouvement devrait rejeter tous les compromis qui se situent en deçà de la création d’un monde sans frontières. La préoccupation immédiate doit être, bien entendu, de mettre un terme à la vague de déportations de Trump.

Cela veut bel et bien dire, en revanche, que l’on doit rejeter la trajectoire sans issue de la dénommée «réforme d’ensemble de l’immigration» mise en avant depuis des années par les Démocrates et les Républicains «modérés». La dernière version de cette réforme, datant de 2013 et introduite par Chuck Schumer, démocrate de New York, comprenait des mesures «trumpiennes», telles que l’engagement de 40’000 agents supplémentaires pour le contrôle des frontières ainsi que le déploiement de la Garde nationale sur la frontière.

Les démocrates insistent sur le fait qu’ils soutiennent ces mesures horribles afin de faire en sorte qu’une législation soit passée pour aider les sans-papiers actuels. L’éditorial récent du NYT montre toutefois une chose différente.

Dans un moment où il ne peut y avoir de compromis avec Trump, l’establishment liberal cherche encore comment mettre un arrêt aux «flux d’immigré·e·s sans papiers» qu’il considère clairement comme étant un problème – même s’il n’a rien à dire sur les «guerres contre la drogue» menées par les Etats-Unis dans divers pays [d’Amérique centrale et du Sud] ainsi que les accords commerciaux léonins qui engendrent la violence et la pauvreté, obligeant les gens à franchir la frontière en dépit «de la répression cruelle» de Trump.

Alors que nous nous préparons pour le 1er Mai et pour la suite, notre objectif doit être de bâtir un mouvement suffisamment fort et fier de dire «non, merci» à ces prétendus alliés. Nous devons affirmer que nous ne voulons rien d’autre qu’une liberté et une égalité pleines et entières, pour nous, pour nos proches et nos voisins. (Editorial du Socialist Worker, publié le 30 mars 2017; traduction A l’Encontre)

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