Etats-Unis. «C’est à nous de résister»

Editorial du Socialist Worker

Que la résistance commence! La crainte et le dégoût qui nous envahissent alors que nous regardons Donal J. Trump prêter serment avant de devenir le 45e président des Etats-Unis seront au moins partiellement contrebalancés par la satisfaction de voir des niveaux encourageants et sans précédent de protestations «saluant» le nouveau président.

• La cote d’approbation de Trump a chuté aux alentours de 40% avant même qu’il ne prenne ses fonctions, ébranlant ainsi sa prétention à disposer d’un «mandat» pour mettre en œuvre son programme raciste et réactionnaire.

• L’aversion répandue a conduit à un boycott culturel de la Maison Blanche. Des athlètes professionnels se sont élevés contre Trump et ont laissé entendre qu’ils ne visiteraient pas, comme c’est la tradition, la Maison Blanche après avoir remporté un championnat. Des musiciens semblent se bousculer pour l’honneur de figurer parmi ceux qui refusent de jouer lors de la cérémonie de l’investiture.

• Il n’est pas surprenant que Trump twitte que les sondages sont «truqués» et «complètement faux». Ses partisans vont sans aucun doute écarter les critiques du monde du divertissement comme relevant d’une élite en dehors du monde.

• La vérité apparaîtra toutefois clairement – pour tous ceux et celle qui voudront voir – dans les rues, au cours du week-end, dans la mesure où les partisans de Trump présents à la cérémonie d’investiture seront éclipsés par ceux manifestant contre lui, autant dans la capitale qu’à travers le pays.

• Des milliers de personnes prennent congé aujourd’hui [20 janvier] pour s’opposer directement à l’investiture. Des centaines de milliers défileront demain, samedi 21 janvier, lors de la Marche nationale des femmes [sur Washington] tout comme lors de centaines de «marches sœurs» dans tout le pays et dans le monde [plus de 600 aux Etats-Unis, des dizaines à travers le monde].

• Des dizaines de députés démocrates au Congrès ont déclaré qu’ils ne se rendront pas à l’investiture après que Trump a dénigré le représentant de la Géorgie et héros du mouvement des droits civiques John Lewis [ancien dirigeant du Student Nonviolent Coordinating Committee et l’un des organisateurs de la Marche sur Washington de 1963]. Ce dernier avait déclaré que Trump était un «président illégitime» en raison des accusations d’interférences russes lors de l’élection présidentielle.

• Il est agréable de constater que le parti d’opposition officiel de «notre» pays [le Parti démocrate] est engagé dans une certaine opposition après que la plupart des démocrates ont passé les premières semaines qui ont suivi les élections à chercher comment collaborer avec Trump. Soyons cependant clairs: quoi que les «Russes» aient fait ou non, cela n’est qu’une goutte dans l’océan comparé aux nombreuses raisons, bien plus importantes, qui motivent une opposition à Trump.

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• Si nous voulons parler des éléments qui font de Trump un président illégitime, commençons par le fait scandaleusement peu reporté que la marge de victoire de Trump dans des Etats clés qui lui ont permis d’accéder à la Maison Blanche est plus basse que le nombre d’électeurs – la plupart d’entre eux sont des personnes de couleur – dont les bulletins de vote n’ont jamais été enregistrés ou ont été irrégulièrement purgés des listes électorales.

• Parlons du fait que malgré cette suppression d’électeurs, Trump a obtenu près de trois millions de suffrages en moins qu’Hillary Clinton; ce qui correspond largement à ce qui était prédit par les sondages nationaux à la veille des élections. Il a toutefois remporté l’élection en raison du système grotesque du Collège électoral, créé il y a plus de deux siècles pour garantir l’hégémonie des propriétaires d’esclaves. Aucun autre pays ne rêverait d’utiliser un tel mécanisme pour choisir son gouvernement.

• Parlons également de l’ensemble d’un système politique qui est devenu si corrompu et non démocratique que nous sommes arrivés, d’une manière ou d’une autre, à devoir choisir entre la plus impopulaire paire de candidats depuis qu’existent les sondages portant sur la popularité d’un candidat.

• Il est après tout révélateur que le principal moyen d’immixtion dont on accuse la Russie est non pas d’avoir diffusé de «fausses informations», mais d’avoir piraté et divulgué d’authentiques courriels offrant une rare possibilité d’observer la vérité: le mépris cynique de la campagne Clinton pour ses partisans.

• Aujourd’hui, grâce à une élection profondément non démocratique, nous nous trouvons face à un gouvernement sur le point d’être constitué dirigé par un fanatique fanfaron et rempli d’une foule hétéroclite de banquiers cupides, de racistes de «l’alt-right» et d’idéologues du marché libre dont l’intention est de détruire les ministères [departments] dont ils sont supposés avoir la charge.

• Il s’agit d’une cabale de droite dont le but est de réaliser de massives coupes fiscales pour les riches, de fragiliser Medicaid [services médicaux limités pour les plus pauvres] par attrition et de privatiser l’éducation publique, ainsi que Medicare [prise en charge pour les personnes de plus de 65 ans, mais ne couvrant pas, de loin, tous les coûts] et la sécurité sociale. Ils entendent y arriver en faisant des immigrants des boucs émissaires, en attisant les peurs contre les musulmans et en réprimant les mouvements de protestation tels Black Lives Matter.

• Leur objectif est de lancer une nouvelle vague de réaction, semblable à celle inaugurée en 1980 par Ronald Reagan. Mais, à la différence de Reagan, Trump n’est pas porté par un large courant, au sein de la société, allant vers la droite. Dans le sillage de la Grande Récession, nous vivons une époque de bipolarisation où un grand nombre de personnes se radicalisent à gauche. Mais, pour l’instant, la droite est plus puissante et mieux organisée.

• Trump a déjà fait la preuve qu’il n’avait pas besoin d’être populaire pour remporter les élections et il n’est pas nécessaire que ses politiques telles que les déportations de masse ou l’abandon d’Obamacare soient populaires – elles ne le sont pas – pour les appliquer. Il a juste besoin que nous ne soyons pas capables de l’arrêter.

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• Les protestations contre l’investiture de Trump sont un début nécessaire de ce qui doit devenir une résistance forte et durable sur de nombreux fronts. Reconduisons dans toutes nos activités le sentiment d’aujourd’hui que nous sommes debout contre un gouvernement illégitime.

• Cela signifie créer les conditions pour que se réunissent les enseignant·e·s, les élèves, les étudiant·e·s et les parents qui combattront pour nos écoles et refuseront d’accepter l’agenda réactionnaire de Betsy DeVos [milliardaire, engagée depuis plus de 15 ans en faveur du financement des écoles privées et religieuses], la secrétaire à l’Education entrante, dont les politiques sont taillées non pour renforcer l’éducation publique mais pour la détruire.

• Cela signifie élargir les organisations de défense des droits des immigré·e·s de façon à ce qu’elles puissent défier toute déportation et détention aux ordres d’un gouvernement rempli de racistes ayant des liens avec des groupes suprématistes blancs et dirigé par un président qui a lancé sa campagne en appelant de manière infâme les immigrés mexicains des «violeurs».

• Et cela implique d’affronter tous les aspects du programme de Trump – du démantèlement syndical à la fermeture des cliniques où sont réalisés des avortements – plutôt que de chercher un «terrain commun» avec un ennemi qui promet un assaut inlassable contre tout ce qui nous est cher.

Ce type de résistance déterminée va largement au-delà de l’opposition docile de la politique dominante. En réalité, c’est déjà le cas.

• Dans les jours qui ont suivi les élections, les démocrates qui avaient baptisé Trump de l’épithète fasciste afin d’effrayer les électeurs et les conduire à voter pour Clinton ont immédiatement commencé à «normaliser» ce qui était grossièrement anormal, affirmant chercher des questions sur lesquelles ils pourraient travailler avec le futur président.

• Ce n’est qu’après l’élan grandissant de la Marche des femmes sur Washington au cours du mois écoulé – laquelle a exercé une pression sur un grand nombre de syndicats et d’organisations progressistes pour qu’ils mettent sur pied une mobilisation lors du week-end de l’investiture – que les démocrates ont été poussés à prendre une attitude plus oppositionnelle.

Pourtant, même ce faible signe de vie oppositionnelle a été formulé de la façon la plus conservatrice possible: comme une réponse patriotique à ces foutus russkies décidant de notre élection plutôt que contre une injustice et un racisme nés sur ce sol devant la privation du droit de vote.

• Les démocrates ne veulent pas soulever les véritables questions à l’origine de l’illégitimité de Trump, car ces dernières peuvent conduire à une mise en question de la légitimité d’un système politique corrompu dont ils contribuent au maintien. Le «parti des gens» espère que les protestations contre l’investiture ne seront qu’un événement isolé dont ses dirigeants pourront être rapidement ramenés au service de l’élite des grandes entreprises, tout en canalisant sans risque le mécontentement populaire vers des donations de campagne [pour préparer les prochaines élections de mi-mandat de novembre 2018].

• Nous ne pouvons permettre une telle chose. Notre tâche dans les prochains mois est de construire autant une résistance directe aux politiques de Trump que des mouvements sur la durée ainsi qu’une organisation socialiste en mesure de définir une route alternative, conjuguant les batailles contre les inégalités économiques et l’oppression.

Nous nous engageons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour faire en sorte que les protestations contre l’investiture ne soient pas un point culminant, mais le début de la résistance contre Trump. (Editorial publié le 20 janvier 2017 sur le site SocialistWorker.org, traduction A l’Encontre)

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