Québec: «Pour un front commun syndicat-mouvement étudiant»

Par Bernard Rioux

Cette journée du 13 juin a été une journée de mobilisations et d’explications au Québec. Ainsi, le quotidien Le Devoir écrit:

«Après avoir effectué une analyse plus poussée des dernières offres d’aide financière gouvernementales, les fédérations étudiantes en concluent que celles-ci contribueront surtout à accroître l’endettement étudiant, et parlent d’une «solution empoisonnée».

La Fédération étudiante collégiale (FECQ) et la Fédération étudiante universitaire (FEUQ) apportent même des bémols à l’affirmation selon laquelle les étudiants provenant de familles à revenus les plus faibles verront la hausse des droits de scolarité entièrement compensée par les bonifications au régime d’aide financière.

Elles soulignent notamment que le rehaussement du seuil du revenu parental de 28’000 dollars canadien (21’800 CHF) à 45’000 $ ne sera pleinement en vigueur qu’en 2016-2017, et qu’il s’approche de deux emplois à temps plein au salaire minimum.

Au cours d’une rencontre avec la presse, le 13 juin, à Montréal, pour présenter leurs conclusions, les présidentes des fédérations collégiale, Eliane Laberge, et universitaire, Martine Desjardins, ont aussi critiqué le relèvement du plafond des prêts et l’instauration d’une allocation compensatoire. Selon elles, ces mesures vont doubler l’endettement étudiant pour ceux qui proviennent de la classe moyenne. «Nous avons été choqués de voir que non seulement il y a explosion du plafond de prêt, donc inévitablement une explosion de l’endettement étudiant, mais en plus, les coûts liés à ces nouveaux prêts qui sont octroyés par le gouvernement vont augmenter», a dénoncé Mme Desjardins. «Tous les étudiants de la classe moyenne – ceux dont le salaire de leurs parents est entre 45’000 $ et 60’000 $ – vont voir leur endettement tripler», a soutenu de son côté Mme Laberge.»

Eliane Laberge

Ce «climat social», décrit par les représentant·e·s des étudiant·e·s, se double de la mise en place d’un Etat fort dont la «Loi 78» est emblématique, d’autant plus lorsque la répression s’exerce pour «protéger» une course de Formule 1, le 9 juin.

Dès lors, dans un style propre à une profonde révolte sociale des étudiant·e·s ainsi que des jeunes salarié·e·s et dans un Québec où l’Eglise catholique a encore un certain poids (sans comparaison avec le passé, certes), Robert Bibeau clame, ce 9 juin 2012: «Les troupes policières représentent le dernier rempart entre la nouvelle aristocratie qui possède, festoie et prospère et les représentants du peuple qui sont invités à retourner à leur besogne, vendre leur force de travail, peiner, étudier pour devenir chômeurs non assurés. Les médias à la solde ont charge de faire accepter la répression des libertés et cette dichotomie sociale comme normale et inéluctable. Vous les pauvres, contemplez les riches, vous pouvez les envier mais pas les molester. Allez, circulez vers vos quartiers de pauvreté, vous avez assez contemplé ceux que Dieu a désignés pour vous commander.»

Nous publions ci-dessous un article de Bernard Rioux synthétisant l’intervention de Gabriel Nadeau-Dubois, qui est une autre expression de la maturité politique de ce mouvement étudiant… qui dure depuis des mois. (Rédaction A l’Encontre)

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Le coporte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), Gabriel Nadeau-Dubois, a invité, le samedi 9 juin 2012, lors du Festival des solidarités tenu à Montréal, les syndicats à faire front commun avec les étudiants dès cet automne. Seul l’élargissement de la lutte pourra donner le souffle nécessaire pour casser l’intransigeance du gouvernement de Jean Charest, premier ministre du Québec, à appliquer son agenda néolibéral.

Le mouvement étudiant, le mouvement syndical, le mouvement écologiste, le mouvement populaire et les autres mouvements sociaux sont en effet placés devant un dilemme essentiel. Soit, ils montent au combat de façon isolée au risque de se voir imposer les volontés gouvernementales; soit, ils élaborent ensemble une plate-forme commune de revendications partagées et un plan d’action de résistance et se donnent des structures de coordination leur permettant de dépasser l’isolement dans lequel le gouvernement Charest voudrait bien les enfoncer. Le mouvement étudiant, le mouvement syndical et les autres mouvements sociaux devront ainsi identifier des revendications communes qui iraient au-delà de la hausse des droits de scolarité, a-t-il soutenu, en citant comme exemple la lutte contre la tarification des services publics et la contestation de la loi 78.

«Une éventuelle victoire n’est possible, selon le coporte-parole de la CLASSE, que par la consolidation d’un réel front commun entre les organisations partageant une base de principe solide et qui n’ont pas peur de nommer la lutte comme elle doit être nommée, c’est-à-dire une opposition de principe au néolibéralisme, une opposition au principe de l’utilisateur payeur». Il souhaite participer à construire une grève sociale à partir de l’automne. Il a ajouté : «Aller plus loin cet automne, cela voudra dire envisager sérieusement une mobilisation générale de la société. Cela voudra dire organiser concrètement la grève sociale.»

Le président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN), Louis Roy, croit qu’il est possible de créer un front commun social, mais il souligne que la mobilisation des membres de sa centrale et des autres restent à faire.

Jusqu’ici l’Alliance sociale des centrales syndicales et de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec) a bel et bien dénoncé les projets de tarification et de privatisation des services publics. Mais de telles dénonciations sont loin d’être à la hauteur de ce qui sera nécessaire pour faire reculer le gouvernement Charest. La Coalition contre la tarification et la privatisation des services publics a multiplié les initiatives, a accompli un important travail d’élaboration, de formation et de dénonciation des politiques gouvernementales…

Mais, le gros des troupes syndicales est resté en marge des mobilisations. Cette situation doit être dépassée et le mouvement syndical, particulièrement le mouvement enseignant qui est le plus directement concerné et dont des secteurs sont mobilisés, doit faire un travail systématique d’implication large et militante dans les mobilisations en cours et plus particulièrement dans la grande manifestation du 22 juin prochain.

L’urgence d’agir devant le rapetissement des droits démocratiques auquel font face le mouvement syndical et l’ensemble des mouvements sociaux

La loi 78 ne fait pas que restreindre le droit de manifester. Cette loi s’attaque d’abord au droit des étudiantes et des étudiants du Québec de s’organiser, d’agir collectivement, de faire grève… Elle s’inscrit dans la tradition de la négation des droits collectifs. Depuis des décennies maintenant, tant le gouvernement fédéral [du Canada] que les gouvernements provinciaux ont rapetissé le droit de grève des travailleurs et des travailleuses et ont placé une multitude d’obstacles au droit d’association. Depuis des décennies, les syndicats du secteur public ont vu leur droit de grève réduit jusqu’à sa caricature. Il ne s’agit plus aujourd’hui que d’un droit virtuel. C’est ainsi que les décrets ont pu succéder aux décrets et que les syndicats ont souvent été réduits à négocier les adoucissements à ces mêmes décrets. C’est ce même genre d’attaque que subit le mouvement étudiant organisé.

Pour les gouvernements néolibéraux qui dominent la vie politique au Canada et au Québec, il s’agit d’abord de réduire les organisations syndicales à l’impuissance pour ensuite tenter d’imposer ses politiques néolibérales. Toute la stratégie de concertation sociale est maintenant dépassée. Vouloir maintenir une telle stratégie, à l’époque de la gestion néolibérale, c’est accepter de servir de courroie de transmission aux intentions des patrons et de leurs gouvernements de faire payer aux travailleuses et aux travailleurs le coût de leur crise.

Pour élaborer une plate-forme commune, des moyens d’action et des perspectives d’action concrètes, des États généraux du mouvement syndical et des mouvements sociaux s’imposent

Il est maintenant essentiel que s’ouvre dans le mouvement syndical et les mouvements sociaux un vaste débat pour définir les orientations stratégiques de l’action collective, y compris sur les manières de dépasser les limites introduites par le droit au travail. La tenue d’Etats généraux du mouvement syndical et des mouvements sociaux pourrait être un moment fort de la nécessaire coordination des mouvements sociaux s’ils veulent créer les conditions lui permettant de résister à l’offensive d’envergure dont ils sont l’objet.

Dans le secteur public municipal, une offensive d’ampleur se prépare. Là aussi, c’est la restriction des droits démocratiques des organisations syndicales qui est à l’ordre du jour. En effet, les municipalités exigent de plus en plus clairement du gouvernement du Québec que leur soit accordé un droit de lock-out [fermeture provisoire d’une entreprise comme moyen de lutte contre les salarié·e·s]. Dans le secteur privé, comme à Rio Tinto Alcan, le lock-out est de plus en plus utilisé comme arme patronale. Les conditions de la convergence dans la lutte sont réunies.

Comment briser l’isolement au moment de la rentrée?

Comment éviter une résistance isolée et inefficace à la loi 78? Quelles tactiques de résistance faut-il mettre au point? Ne faudrait-il pas mettre sur pied des comités de coordination locaux et régionaux des différents mouvements sociaux pour évaluer collectivement les marges de manœuvre, les formes d’action et la défense contre la répression policière et les menaces de sanctions? Comment convaincre la majorité de la population que l’intransigeance gouvernementale empêche de créer les conditions normales d’enseignement ? Quel instrument de communication se donner pour réaliser cette tâche ? Comment assumer collectivement que les enseignant·e·s syndiqué·e·s ne soient pas les exécutant·e·s plus ou moins passifs de cette loi? Cela ne peut passer que par l’action collective et par une solidarité agissante.

Ainsi, le Syndicat des profs de Marie-Victorin (SECMV) indique la voie: on propose que «l’Assemblée générale demande à ses membres d’exprimer leur solidarité avec le Syndicat étudiant et l’ensemble du mouvement étudiant du Québec en s’engageant à refuser d’enseigner sous la contrainte de la loi 12 (projet de loi 78). » C’est élargir la grève étudiante vers le mouvement enseignant. Les fédérations syndicales enseignantes doivent se joindre à un tel mouvement… pour rendre les lois répressives impossibles à appliquer.

La tenue d’Etats généraux serait un moment de synchronisation des dynamiques de mobilisation des mouvements sociaux et un lieu de détermination des perspectives à déployer dans le sens de nos revendications.

Déployer et concrétiser une telle démarche impliquera des ruptures

On ne peut compter pour impulser les dynamiques du changement qu’en se basant sur les éléments les plus décidés et les plus mobilisés. Il ne faut surtout pas faire de la mobilisation de tous et de toutes la condition du développement des initiatives, car on ne saura faire que du sur-place.

Alors que la crise européenne semble s’approfondir, le projet néolibéral se fera plus dur et plus audacieux contre les acquis de la population et plus dangereux pour l’écrasement des libertés démocratiques, particulièrement celles des mouvements sociaux… La résistance dans cette longue bataille contre le néolibéralisme oblige les mouvements sociaux à repenser l’intégralité de leur stratégie et leurs formes de collaboration. (12 juin 2012)

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