La crise politique au Brésil ou les rejets spontanés des partis politiques traditionnels

Manifestation le 20 juin 2013 à Brasilia
Manifestation le 20 juin 2013 à Brasilia

Par Jorge Novoa

La situation au Brésil – qui a explosé à partir de la tentative des mairies des grandes villes du pays (comme São Paulo, Rio de Janeiro, Salvador, Fortaleza, Porto Alegre, etc.) d’augmenter les prix des billets des autobus qui servent à la population en général – nous pousse à réfléchir sur beaucoup de choses au Brésil et dans le monde. Elle nous entraîne à réfléchir sur toutes les révolutions (Arabe, etc.). Elle nous conduit à réfléchir sur le rejet persistant des partis traditionnels – y compris au Brésil, où le Parti des Travailleurs [PT de la présidente Dilma Rousseff, et avant de Lula] qui pratique une action politique similaire à celle du PSDB, le Parti de la social-démocratie brésilienne (bourgeois) de Fernando Henrique Cardoso [deux mandats présidentiels de 1995 à 2003] et de José Serra. [Maire de São Paulo en 2006-2006, Gouverneur de l’Etat de São Paulo de 2007 à 2010, antérieurement ministre de FHC, candidat en 2010 à l’élection présidentielle face à Dilma Rousseff].

Nous pouvons remarquer également un manque de préoccupation pour désigner le mouvement comme socialiste, communiste, etc. Mais il y a la prise de conscience généralisée des leaders que le capitalisme ne peut être réformé, au moins par ceux qui ont commencé le MPL (Mouvement Pour le Passe Libre). D’autre part, il faut observer qu’il y a beaucoup des difficultés dans certains secteurs socialistes et révolutionnaires pour comprendre cela. Probablement Marx lui-même, s’il était là, aurait eu du mal pour présenter ce qu’il appelle une révolution socialiste. A son époque, il avait trouvé des difficultés à résoudre théoriquement l’équation que configurait le décalage entre le mouvement réel et les niveaux des consciences démocratiques radicales et socialistes.

Aujourd’hui encore, le poids de décennies de «socialisme réel» semble plus lourd de conséquences que nous ne pourrons l’imaginer. Il est curieux de voir comment pensent certains secteurs et leurs difficultés à comprendre la dialectique que supposent le mouvement social réel et ses contradictions avec les structures actuelles du capitalisme par rapport au degré de conscience réelle existant dans ces révolutions. Ces camarades restent dans un paradigme selon lequel. un beau jour, la révolution concrète rentrera entièrement dans leur modèle bien pensant et que les leaders de ces mouvements – ainsi que les réseaux médiateurs avec les mouvements réels – auront un discours «socialiste» pur. La contrepartie est de voir les manifestations, comme celle de jeudi 20 au soir (plus d’un million de personnes à Rio de Janeiro) comme l’expression d’un coup d’État puisqu’il n’y a pas de partis politiques traditionnels qui les structurent, ni de mots d’ordre centraux. Bien sûr, la possibilité d’un coup d’état n’est pas à être rejeté complètement tout particulièrement si les commissions d’organisation se montrent incapables d’encadrer les mouvements sociaux en cours, mais tout particulièrement si ce mouvement n’est pas capable de montrer une unité d’action et de perspectives. Ce que nous voyons nous signale un autre parcours réalisé par le processus réel.

La masse qu’expose la photo de la nuit du 20 juin au Rio de Janeiro, nous montre autre chose. Il est important que nous puissions constater: l’énorme mouvement du Brésil, par exemple, contre la hausse des prix des billets (tarif zéro), en se concentrant plus au moins sur la question du tarif, ne se développe pas de manière très homogène. Il y a des mots d’ordres quelques fois de principe comme par exemple, «A bas les politiciens ou a bas la corruption», jusqu’au «A bas le capitalisme». Dans l’exemple brésilien, il y a eu des affrontements et la répression policière, mais la spontanéité du mouvement massif et la persistance de son cours non violent traduit beaucoup d’éléments de la situation mondiale. Les images des mouvements dans d’autres pays ont produit aussi leurs effets.

Le PT [Parti des travailleurs], le PcdoB [Parti communiste du Brésil – d’origine maoïste], mais aussi le PSDB [ Parti de la social-démocratie brésilienne] et du PMDB [Parti du mouvement démocratique brésilien] veulent caractériser ce mouvement de masse comme étant de la classe moyenne. Ils sont incapables de comprendre que dans le pays où le peuple est complètement fou de football, ce même peuple devienne indigné par les investissements gigantesques pour la Coupe des Confédérations, Coupe du Monde de la FIFA et les Jeux Olympiques qui se montent à quelque 30 milliards de dollars. En même temps le la hausse des prix [entre autres des biens de première nécessité] – qui augmente toujours selon les statistiques officielles – est subi par la population comme une baisse réelle, insupportable, de leur pouvoir d’achat [consommation stimulée par une explosion du crédit]. Il n’y a pas une hausse de la qualité des services de santé publique, ni une réelle amélioration du système d’éducation nationale public [le secteur privé de l’éducation, déjà important, se développe]. La population générale veut pouvoir travailler, nourrir leurs enfants, habiter de manière décente. De la part des gouverneurs que des promesses et des actions publicitaires! Ou alors, comme dans le cas de la «bourse famille» un esclavage corrupteur de la conscience politique d’une partie, la plus vulnérable de la population.

Dans l’après-midi du 20 juin 2013 et dans sa nuit, beaucoup plus de 1 million de personnes a occupé les rues de toutes les villes, petites, grandes ou moyennes du Brésil. Il y en a qui parlent en trois millions au total. C’est-à-dire, même et compris celles de l’intérieur ont été le scénario d’importantes manifestations. Le pays du football explose. Des artistes et des footballeurs de la sélection commencent à se manifester en faveur des manifestants. Une enquête réalisée en direct dans un programme de télévision par un présentateur assez suivi à cause de son programme sur la violence dans la ville de São Paulo, a montré combien les gens qui restent chez eux refusent d’être manipulé – pendant que leurs enfants vont participer aux manifestations. A tel point que le présentateur, qui poussait les téléspectateurs à condamner les manifestations, a été obligé, en direct, de terminer le reportage totalement démoralisé.

Enfin, il est tout simplement ridicule de voir les spasmes de certains «interprètes diplômés» qui insistent pour affirmer que l’Internet n’a pas eu une influence sur la mobilisation, cela dans divers pays du monde. Qui a pu voir Dilma Rousseff – qui a déclaré que si les manifestations se poursuivent, elle mettra fin à l’utilisation d’Internet au Brésil – qui voit les taux de jugement positif envers Dilma passer de 90% à 50%, aura une autre idée de l’influence de l’Internet comme outil de diffusion d’idées, de mobilisations, de discussions. La blague qui circule actuellement sur Internet, y compris sur Facebook est la suivante :

« Combien des femmes sont nécessaires pour en finir avec les Brésiliens? Réponse : DI UMA» [D’une seule]. Voilà pourquoi elle a été huée lors de l’ouverture de la Coupe Mondiale des Fédérations. Il faut bien si rappeler qu’il reste encore dans la mémoire des millions des Brésiliens que l’impeachment [pour corruption] de Fernando Collor de Mello [1990-1992] a commencé ainsi et que les fils de cette même génération sont dans la rue parce qu’ils ne trouvent pas un véritable travail ou sont rejetés dans le précariat! Il faut voir cette vidéo sur le site du Jornal do Brasil (on line, bien sûr): https://www.facebook.com/photo.php?v=536149766449645

Il faut voir cette vidéo. Il ne faut pas croire qu’ils ont été manipulés par l’extrême-droite brésilienne ou par les fascistes tout court, ainsi que les plus de 1 million de personnes qui ont manifesté à Rio de Janeiro, le jeudi 20 juin. Bien sûr les fascistes peuvent agir et faire des provocations, promouvoir la confusion, mais ils ne sont pas capables de manipuler des millions de Brésiliens qui ont vécu les «directes» (1983-84, pour l’élection du président par élection directe des citoyens et citoyenne), les campagnes pour élire les PT et Lula ( de 1989 et lors des élections suivantes), qui ont vécu le «Fora Collor» [impeachment en 1992]. Ce n’est pas vrai qu’il n’y a pas des mots d’ordres centraux. Il faut les traduire à travers les exigences quotidiennes de la vie du «peuple simple». Il faut des assemblées par catégories et par quartier pour ne pas laisser la place aux provocateurs de n’importe quelle institution.

Il faut savoir ce que nous pouvons avoir comme recours à Facebook et à Internet. Nous ne sommes pas d’accord sur l’attaque de militants PT ou autres partis [comme le PSTU dont les membres ont été provoqués], etc. Ils ne sont pas responsables totalement [pour ce qui est des membres du PT] pour les décisions de leurs dirigeants, ni des gouvernants du pays. Dans le fond, ils savent que des millions de brésiliens ne sont pas stupides et ne se laissent pas manipuler. Le temps d’un changement majeur arrive dans un pays dans lequel la technologie ne peut pas se substituer à la politique. Quand des millions de personnes prennent la bonne décision au bon moment, il n’y a aucun appareil politique ou aucune technologie qui peuvent manipuler, ni contenir la marche de ce même peuple.

Les partis politiques – y compris ceux qui organisent des provocations comme celle menée sur la façade de la Mairie de São Paulo pour justifier la répression contre les manifestants — parlent d’un coup d’état. Parmi ces partis, le PT et le PcdoB montent en première ligne. Ils veulent organiser une contre-manifestation d’appui à Dilma Rousseff et au gouvernement.

En même temps on voit des manifestations de solidarité et de fraternisation entre les policiers et les manifestants dans certains endroits. Même les policiers commencent à rompre avec l’ordre de la hiérarchie militaire. Il y a eu un Général qui a écrit un manifeste à la nation. Les réponses ont été très dures. Il a été ridiculisé. Le chantage d’un coup d’État sera toujours présent. L’incroyable est que certains secteurs parlent en même temps de n’avoir pas peur de disputer ce qu’ils appellent l’hégémonie des masses et se servent de ce genre d’arguments.

Une chose est certaine: même si les mouvements sociaux ne posent pas le besoin d’en finir avec le capitalisme immédiatement (ils ne voient pas comment…), même si ses leaders ne posent pas des appels en direction du socialisme, ils sont plus au moins conscients que nous atteignons des points de non-retour. Pour cela il est plus que temps que l’on essaye d’en finir avec les fragmentations et que l’on trouve les moyens de pouvoir aider les masses à économiser leurs énergies, à lever les obstacles et les pièges que tous les défenseurs de l’ordre du Capital, de droite et de «gauche», sont en train de construire pour les empêcher d’atteindre leurs besoins concrets immédiats et médiats. Les développements inégaux des révolutions dans le monde ont besoin des échanges d’expériences et pour cela nous tous nous avons des choses à apporter. La crise profonde est encore devant nous et à voir les développements en cours (la Bulgarie est aussi dans un mouvement social de protestation ouvert contre son gouvernement) dans diverses nations, il faut prendre le devant des «fascistes internationaux».

Eux, ils sauront recoudre leurs brèches. Le mouvement des égaux, des communs, des enragés, des démocrates radicaux, des socialistes «inconscients» et de ceux conscients – qui mettent en jeu ce qu’ils ont – leur vie et celle de leur famille, ils ne savent pas ce qu’est la modestie. Nous qui le savons, nous n’avons pas besoin des ultimatums. Il y aura toujours des camarades plus intelligents et plus brillants que nous dans plusieurs domaines. L’enjeu est de ne pas nous comporter comme des concurrents, mais comme des coopérants solidaires et fraternels. Ensemble, chacun de nous ainsi que nous tous, nous serons plus forts. Nous n’avons pas le droit de nous tromper parce que nous n’aurions pas essayé. (21 juin 2013)

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