Brésil. Assez de coups d’Etat constitutionnels. Pour des élections présidentielles directes et des élections générales!

Michel Temer (encore) président

Editorial d’Esquerdaonline

Le scandale JBS (1) a frappé durement le gouvernement Temer. Le président, dans l’exercice de son mandat [initié dès la destitution de Dilma Rousseff, le 31 août 2016, puisqu’il était vice-président; pour rappel Michel Temer (1940), en plus de sa fonction d’avocat a été professeur de Droit constitutionnel!], a payé le silence d’Eduardo Cunha [2]. Il semble donc, car tout a été enregistré et une série d’enregistrements ont été remis au Ministère public par les propriétaires du groupe JBS.

Les principaux médias et le capital financier
contre Temer

La presse grand public a opéré un virage serré mercredi 16 mai. Si l’on comprend le caractère de la grande presse brésilienne, nous savons qu’il ne s’agit pas seulement d’informer sur un nouvel événement politique, mais d’une tentative évidente d’assurer une sortie de la crise politique brésilienne en mettant de côté Michel Temer.

Les dirigeants du capital financier ont exercé des pressions afin que Temer démissionne dès le jeudi 18 mai. Le dollar est à la hausse par rapport au real et la Bourse de São Paulo a reculé [de 8,8% lors de sa clôture le jeudi 18 mai]. Le capital financier passait ainsi son message.

Les propriétaires JBS sont déjà, en ce moment, à New York, pour négocier avec le Département américain de la justice [voir fin de la note 1, sur le «scandale de la viande avariée].

Un nouvel accord politique national est en cours de négociation. Et donc, le débat portant sur les modalités de la succession à Temer est déjà mené au sein de l’oligarchie; cela conjointement à d’innombrables calculs politiques. Les analystes Globo News (TV), ce soir 18 mai 2017, cherchent selon deux hypothèses. La première – et elle est très claire –, la continuité de Temer à la présidence est intenable. La seconde n’est autre que la nécessité d’un accord visant à stabiliser Brasilia (capitale fédérale: centre formel du pouvoir), afin de mettre en œuvre des contre-réformes déjà annoncées (droit du travail, budget, sécurité sociale, etc.).

La nouvelle droite s’affirme sur la scène politique

Le MLB (Mouvement pour un Brésil libre), mouvement d’une droite affirmée, a lancé la campagne sur le thème: «Temer doit démissionner». Le «Descendez dans la rue» a pour objectif: «Emprisonnez-les tous: Temer, Dilma, Lula et Aécio Neves [candidat du PSD à la présidence contre Dilma Rousseff]». Ronaldo Caiado, le sénateur des DEM (Démocrates, très à droite), appelle à la démission de Temer sur le réseau Twitter et défend l’idée d’élections présidentielles anticipées.

Une manifestation de la droite est convoquée pour le dimanche 21 mai 2017. Apparemment, la nouvelle droite a l’intention de jouer non seulement sur le terrain politique institutionnel, mais aussi d’occuper «le champ de la rue».

Descendons dans la rue pour renverser Temer et aussi les contre-réformes

Les dernières manifestations de la droite furent un échec, parce que la population est opposée aux contre-réformes. Sur ce terrain, la grande presse (du type O Globo de l’influent groupe de médias du même nom) et la nouvelle droite sont isolées. Même après une campagne offensive, 71% de la population est contre la PEC 2: projet d’amendement constitutionnel visant à la contre-réforme de la sécurité sociale.

Des dizaines de manifestations ont déjà été annoncées, ce 18 mai, à travers tout le pays. Dimanche 21, sont convoquées des manifestations dans tout le pays par les deux fronts: Peuple sans peur (lié au Parti des travailleurs) et Brésil populaire [front qui réunit un grand nombre d’associations, allant du MST au MTD, au MMC (Mouvement des femmes paysannes), à Consulta Populaur, en passant par la Marche mondiale des femmes, Via Campesina; au total plus de soixante mouvements]. L’appel à une manifestation nationale dans la capitale Brasília le mercredi 24 mai acquiert encore plus d’importance politique.

Il est temps que les travailleurs et travailleuses entrent sur le terrain socio-politique avec des manifestations et une grève générale. Tous les puissants qui sont contre Temer actuellement sont aussi en faveur des contre-réformes et essayent de conserver tous leurs instruments politico-institutionnels, malgré une crise politique monumentale.

Elections directes et de suite des élections générales

Si Temer démissionne ou si s’ouvre un processus de destitution (impeachment), la Constitution détermine qui seront appelés à exercer les fonctions de président de la République, et cela selon l’ordre suivant: les présidents de la Chambre des députés et du Sénat fédéral [système bicaméral] et de la STF (la Cour suprême fédérale).

Rodrigo Maia (DEM, il a succédé à Cunha en 2016) et Eunício Oliveira (PMDB, grand propriétaire, entrepreneur et actuel président du Sénat) sont des alternatives effrayantes, les deux sont des représentants de la vieille droite. Les ennemis de la classe travailleuse et des pauvres et expriment ce qu’il y a de pire dans l’oligarchie politique. Tous sont accusés de corruption.

Carmem Lucia, actuelle présidente du STF (Supremo Tribunal Federal) représente une solution dangereuse et bonapartiste [en 2006, après une carrière académique, elle fut nommée comme membre du STF par Lula]. Par rapport à l’appareil judiciaire, elle cultive une image d’impartialité. Mais cette membre du STF (venant de l’Etat du Minas Gerais) défend avec énergie les contre-réformes qui suppriment divers droits; et sa position comme son option politique sont claires.

Chacune de ces figures disposerait d’un mandat visant à bloquer la crise, au moment où le Congrès (les deux chambres) serait en charge d’organiser une nouvelle élection indirecte. Il est clair que le Congrès n’a aucune légitimité pour voter au nom du peuple. On en a assez des coups d’Etat constitutionnels. Nous voulons voter directement pour le président, donc nous sommes en faveur d’élections directes et immédiates [cela renvoie aussi à la campagne menée en 1984 et 1985 pour le droit d’élire directement le président du pays, dans la période de sortie de la dictature et de la perte de crédibilité des institutions].

Et pourquoi les élections directes? Exiger des élections générales signifie que la bataille ne se limite pas à l’élection d’un nouveau président, mais à choisir, conjointement, un autre Congrès. Dans la situation actuelle du Brésil ces revendications ressortent d’une approche démocratique basique car le Congrès a perdu toute légitimité, que ce soit parce qu’il est impliqué dans tous les scandales de corruption, ou que ce soit parce qu’il a plongé ses mains dans la caisse (à corruption), a soutenu des modifications constitutionnelles qui s’opposent à la volonté populaire. Il est temps de descendre dans la rue! Dehors Temer et ses contre-réformes! Tous et toutes à Brasilia! (Publié le 18 avril 2017; traduction A l’Encontre)

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[1] • Selon, la presse économique internationale, la Cour suprême du Brésil a dévoilé, samedi 20 mai 2017, un témoignage obtenu en échange d’une réduction de peine, selon lequel le président Michel Temer a reçu 15 millions de reais (4 millions d’euros) de dessous-de-table en 2014, avant son arrivée au pouvoir, de dirigeants du groupe alimentaire JBS SA.

Toujours selon ce témoin auditionné par la justice, l’ancien président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva a, lui, reçu l’équivalent d’environ 45 millions d’euros sur des comptes à l’étranger de la part de JBS, tandis que l’ex-présidente Dilma Rousseff a obtenu près de 27 millions d’euros.

• Pour apprécier le poids économique et politique du groupe JBS, il est utile de se référer à ce que le quotidien Le Monde soulignait, déjà en date 13 mars 2015: «Au terme d’une année 2014 marquée par une hausse de 29,7% du chiffre d’affaires, à 120,5 milliards de rais (36 milliards d’euros), le groupe brésilien JBS revendique le rang de «deuxième entreprise alimentaire du monde», comme l’a indiqué son PDG, Wesley Batista, dans un communiqué publié jeudi 12 mars 2015.

Le géant brésilien (215’000 salariés) se classe encore loin derrière le groupe suisse Nestlé, dont le chiffre d’affaires a dépassé 85 milliards d’euros en 2014, et juste devant l’américain Tyson Foods, qui a annoncé 34,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour l’année fiscale clôturée fin septembre 2014.

JBS est un acteur clé de la filière agroalimentaire au Brésil.

Le groupe est devenu l’emblème d’un secteur conquérant des années Lula, s’affirmant comme la plus grande entreprise de production et de transformation de viande au monde. Et comme un gros exportateur, puisque ses ventes à l’étranger (150 destinations) représentent 15,29 milliards d’euros, en hausse de 38%.

Joesley Batista de JBS

Cette ascension s’est faite notamment grâce à de multiples acquisitions, en dehors et à l’intérieur du pays. Avec le soutien, dès le début des années 2000, des fonds de la Banque nationale du développement économique et social (BNDES), puissant bras financier des autorités de Brasilia.

Dirigé, depuis 2007, par Joesley Mendonça Batista, 39 ans et petit-fils du fondateur, le groupe a par exemple racheté pour 1,5 milliard de dollars Swift & Company, numéro trois de la viande aux Etats-Unis et leader en Australie.

Il a aussi payé cash SBG au numéro 4 américain Smithfield et lancé une OPA sur National Beef Packing, premier exportateur américain au Japon. En 2009, il a acquis 64% de Pilgrim’s Pride, le roi du poulet américain. Plus récemment, JBS a aussi repris Frangosul, filiale sud-américaine du groupe français Doux.» Le groupe JBS vient d’être impliqué dans le scandale de la vente de «viande avariée».

• A ce propos, l’AFP, en date 17 mars 2017, rapportait que: «La police brésilienne a démantelé aujourd’hui un vaste réseau de vente de viande avariée, concernant des inspecteurs des services sanitaires et des géants du secteur agroalimentaire qui vendent aussi à l’international. Fruit de deux ans d’enquête, l’opération, décrite comme “la plus importante de l’histoire” par la police fédérale (PF), a mobilisé 1100 agents pour l’exécution de 309 mandats judiciaires, dont 27 interpellations, dans sept Etats du Brésil.

Parmi les entreprises visées, deux géants du secteur agroalimentaires, JBS et BRF [qui emploie plus de 100’000 salarié·e·s et est présent en Argentine, au Brésil, aux Pays-Bas, dans les Emirats arabes unis, au Royaume-Uni, en Thaïlande, Malaisie; spécialisée dans la production de poulets], selon les documents officiels envoyés par les autorités judiciaires du Parana (Sud).

Les aliments avariés étaient destinés aussi bien au marché brésilien qu’à l’exportation. “Des fonctionnaires recevaient des pots-de-vin pour faciliter la production d’aliments avariés, en émettant des certificats sanitaires sans avoir effectué d’inspections”, a décrit la PF dans un communiqué. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Le 17 mai 2017, le quotidien O Globo, enregistrement à l’appui, accuse le président Michel Temer d’avoir acheté le silence d’Eduardo Cunha, concernant les accusations de financement illégal de sa campagne électoral de 2014. Or, Eduardo Cunha, ancien président de la Chambre des députés, a été déchu de ses fonctions en septembre 2016, pour corruption; puis il a été arrêté à Brasilia et condamné à plus de 15 ans de détention en mars 2017 par le juge Moro. La révélation de O Globo a suscité d’importantes manifestations réclamant le départ de Michel Temer de la présidence. (Rédaction A l’Encontre)

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