Malgré l’interdiction du CIO, la contestation s’est manifestée aux Jeux olympiques

Par Dave Zirin et Jules Boykoff

Les Jeux olympiques ont tendance à faire ressortir le meilleur des athlètes et le pire des organisateurs des Jeux. Les Jeux olympiques de Tokyo 2020(2021) n’ont pas fait exception à la règle. Les athlètes se sont surpassés et ont évolué dans les conditions extraordinairement difficiles qui leur ont été imposées lorsque le Comité international olympique (CIO) a choisi d’organiser les Jeux au milieu de la pandémie de coronavirus, sans parler de la chaleur étouffante de Tokyo.

Allyson Felix a établi le record du plus grand nombre de médailles dans l’histoire de l’athlétisme, dépassant le légendaire Carl Lewis. Les sprinteuses jamaïcaines et les sprinters italiens ont remporté le relais 4×100 de manière spectaculaire. La Néerlandaise Sifan Hassan est médaillée au 1500, 5000 et 10 000 mètres. Et la grande gymnaste Simone Biles a montré au monde entier que de ne pas faire montre de son travail athlétique [elle a renoncé à participer à diverses épreuves pour des raisons de «bien-être mental»] pouvait être tout aussi impressionnant que d’exécuter son fameux double carpé Yurchenko.

Au-delà de tout cela, de nombreux sportifs participant aux Jeux se sont insurgés contre la règle 50, très détestée, qui se trouve dans la Charte olympique et qui stipule: «Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique.» 

Quelques semaines avant le début des Jeux de Tokyo, le CIO a apporté des ajustements mineurs à la règle, publiant de nouvelles directives selon lesquelles les athlètes sont autorisés à exprimer leurs opinions «sur le terrain de jeu avant le début de la compétition», à condition qu’elles ne visent pas des personnes, des pays ou des groupes spécifiques et que leurs actions ne soient pas «perturbatrices» et ne portent pas atteinte à la dignité de personne. Ainsi, lorsque des joueuses de football britanniques et chiliennes se sont agenouillées pour faire une déclaration contre le racisme avant le début de leur match, elles étaient en conformité avec la règle modifiée.

Cependant, les athlètes sont toujours interdits de s’exprimer librement. Les directives stipulent que les concurrents ne peuvent pas exprimer leurs opinions sur le terrain pendant la compétition, sur la tribune de remise des médailles, pendant les cérémonies d’ouverture et de clôture, ni même dans le village olympique.

La seule raison pour laquelle le CIO a fait ces concessions limitées a été une vague de réactions du monde entier exigeant un changement. A l’ouverture de Tokyo 2020, un groupe d’athlètes, d’universitaires et de défenseurs des droits de l’homme a publié une lettre ouverte demandant au CIO d’harmoniser la règle 50 avec le cadre international des droits de l’homme (pour information: les deux auteurs de cet article étaient parmi les signataires).

La Dr Akilah Carter-Francique, directrice exécutive de Institute for the Study of Sport, Society and Social Change à l’Université d’Etat de San José (Californie), a déclaré à The Nation qu’elle avait signé la lettre en partie parce que le «verbiage de la règle 50 censure les prises de parole et limite les actions des groupes racialisés – Noirs, Latinos, Asiatiques, Indigènes – ainsi que des alliés des groupes racialisés qui peuvent choisir de manifester sur des questions qui affectent de manière disproportionnée leurs vies, leurs expériences vécues et leurs communautés».

Une athlète qui a refusé d’être censurée est Raven Saunders, la star américaine du lancer de poids qui a remporté l’argent aux Jeux. Après que les athlètes ont reçu leurs médailles, Raven Saunders a croisé les bras en forme de X. Elle a expliqué que ce geste représentait «le point de rencontre de toutes les personnes opprimées». Tenant compte de son statut de modèle de référence, Raven Saunders a ajouté: «Pour moi, le simple fait d’être celle que j’ai toujours aspiré à être, de pouvoir être moi et de ne pas m’en excuser [et] de montrer à la jeune génération que peu importe ce qu’on vous dit, peu importe le nombre de cases dans lesquelles on essaie de vous faire rentrer, vous pouvez être vous-même.»

Dans un contexte donnant la priorité aux athlètes, le geste de Raven Saunders serait célébré par tous. Mais le CIO s’est engagé à enquêter sur ce geste comme une violation de la règle 50. Pour sa part, le Comité olympique et paralympique des Etats-Unis a déclaré que «l’expression pacifique de Saunders en faveur de la justice raciale et sociale qui a eu lieu à la fin de la cérémonie était respectueuse de ses concurrents et n’a pas violé nos règles relatives aux manifestations». Sur Twitter, Raven Saunders a plaisanté: «Qu’ils essaient de prendre cette médaille. Je traverse la frontière en courant, même si je ne sais pas nager.» Après qu’il a été annoncé que la mère de Raven Saunders, Clarissa Saunders, était décédée subitement après l’attribution de la médaille d’argent de sa fille, un porte-parole du CIO a déclaré que son enquête était «entièrement suspendue pour le moment».

Nikki Dryden, qui a participé à deux reprises aux Jeux olympiques en natation pour le Canada, a déclaré à The Nation: «Une fois que vous arrivez aux Jeux olympiques, vous pouvez être dans la lumière durant un bref moment sans que personne ne vous contrôle. Les athlètes olympiques qui choisissent d’utiliser ce moment pour attirer l’attention sur quelque chose qui a une signification profonde pour eux ne devraient pas être punis. En fait, ils devraient être soutenus et célébrés.»

Indépendamment de ce que les crétins du CIO décident de faire, l’acte de dissidence de Raven Saunders était grandiose – parmi les actes les plus mémorables de militantisme des athlètes dans l’histoire olympique. Akilah Carter-Francique nous a dit que les actions de Raven Saunders étaient poignantes dans leur finalité: «Sa démonstration, son geste, sa représentation sur le podium ont ouvert un débat qui a amplifié son expérience personnelle intersectionnelle en tant que Noire, femme et homosexuelle, et qui s’est révélé comme donnant une place accrue au rôle de la santé mentale [Raven Saunders a fait connaître sa profonde dépression], du bien-être et de la maladie pour tous les athlètes et non-athlètes au niveau national et international». Elle a ajouté: «C’était un moment de responsabilisation, un autre étayage militant en tant que femme noire, et une continuation des traditions militantes des athlètes noirs.» (Article publié sur le site The Nation, le 10 août 2021; traduction rédaction A l’Encontre)

 

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