Par Baudoin Loos
Depuis le 4 février, un déluge de feu s’abat sur deux zones tenues par les rebelles. Le recours à des armes chimiques a encore été dénoncé.
Des bombardements d’une violence inouïe. La Syrie, depuis 2011, a connu toutes sortes de tourments, mais ce qui se passe depuis quelques jours dans deux régions, celle d’Idlib (nord-ouest) et celle de la Ghouta orientale (près de Damas) égale, sinon surpasse peut-être les pires moments. Est-ce lié au fait qu’un bombardier russe a été abattu par des rebelles au-dessus de la province d’Idlib samedi dernier? Il est tentant de dire oui, même si, de toute façon, l’offensive aérienne contre les civils fait partie depuis longtemps des méthodes favorites utilisées par le régime de Bachar el-Assad et par son allié russe.
Rien que dans la journée de mardi, 47 civils ont perdu la vie et plus de 160 ont été blessés dans des raids aériens contre l’enclave rebelle près de la capitale. La veille, 31 civils avaient péri dans la même zone. La Ghouta orientale jouxte Damas, certains quartiers se touchent. Quelque 400‘000 civils y habitent et sont assiégés par les forces du régime depuis maintenant quatre ans. Tous les moyens sont bons pour venir à bout de cette enclave, et d’abord un blocus total, qui prive les habitants de vivres et de médicaments, provoquant une crise humanitaire qui a déjà fait l’objet de maints communiqués alarmistes des Nations unies.
Les attaques contre les centres de santé font partie du registre de méthodes banalisées par le régime depuis des années. Ici aussi. L’UOSSM, l’Union des organisations de secours et soins médicaux, une organisation humanitaire médicale française et internationale dont la mission est d’apporter secours et soins médicaux aux populations affectées par le conflit en Syrie, a réagi ce 6 février. «Plusieurs installations médicales ont été attaquées et mises hors-service depuis dimanche, dit le texte. Des milliers de personnes sont à présent sans accès aux soins médicaux, particulièrement à Idlib où les bombardements ont été d’une violence inouïe. Au cours des attaques, la vie de nourrissons a été mise en danger alors que leurs incubateurs n’étaient plus en état de fonctionner.»
Et d’énumérer avec précision la date et l’heure des attaques contre les établissements de soins à Kafr Nabil (hôpital chirurgical), à Maarat el-Nouman (hôpital central) et à Idlib (centre de santé). L’UOSSM évoque également une attaque au chlore dans la localité de Saraqeb qui a fait 17 blessés, victimes de suffocation, «la quatrième attaque chimique en Syrie depuis le début de l’année».
A Genève, la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie a condamné la poussée de violences dans les régions d’Idlib et de la Ghouta orientale, qui a provoqué le déplacement interne d’environ un quart de million de civils fuyant les bombardements. Paulo Pinheiro, qui préside cette commission, a dénoncé le siège de la Ghouta «qui ne provoque pas seulement une crise humanitaire en raison de l’impossibilité de faire parvenir l’aide, mais implique des crimes comme des bombardements aveugles et une famine délibérée de la population civile».
Les agences de l’ONU qui ont un bureau à Damas ont émis ce 6 février un communiqué qui a peu de chance d’être suivi par le régime, puisqu’il réclame une «cessation immédiate des hostilités», pour au moins un mois, afin de distribuer des aides et d’évacuer les blessés, mettant en garde contre «les conséquences désastreuses» de la crise humanitaire qui ravage le pays.
Mais les moyens d’action des Nations unies, en Syrie, restent contraints par l’implication directe dans le conflit de la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, qui jouit d’un droit de veto déjà utilisé… dix fois pour protéger le régime.
La perte d’un avion dans la région d’Idlib a d’ailleurs été très mal ressentie à Moscou. Il était piloté par un major de l’aviation militaire russe considéré comme un brillant aviateur. Celui-ci avait réussi à actionner son siège éjectable mais a ensuite perdu la vie dans des circonstances peu claires, tué par des rebelles ou en se suicidant pour ne pas tomber entre leurs mains. Les Russes sont aussi courroucés par le fait que, jamais, un de leurs avions n’avait été abattu par un missile sol-air tiré par des rebelles.
Ironie de la situation pour les habitants des provinces d’Idlib et de la Ghouta orientale: ces deux régions figuraient parmi les quatre «zones de désescalade» instaurées par la Russie, la Turquie et l’Iran en Syrie en 2017. Ces zones étaient supposées bénéficier d’un cessez-le-feu. Mais des experts pensent qu’elles avaient surtout servi de pause tactique de la part du régime qui voulait à l’époque se concentrer sur un autre front, à l’est, celui de Deir Ezzor, où régnait l’Etat islamique. Une fois Deir Ezzor reconquis, le régime a en effet pu reprendre ses offensives sur les autres fronts. Avec les méthodes que l’on sait. (Publié dans Le Soir, en date du 7 février 2018)
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