Par Jacques Follorou, Gilles Paris
et Yves-Michel Riols
Une tentative mort-née ? La convocation par la Russie d’une conférence sur la Syrie, du 26 au 29 janvier, à Moscou, suscite des attentes plus que mesurées. D’abord parce que la Russie est, avec l’Iran, le principal allié du régime de Bachar Al-Assad. Ensuite, parce que les participants annoncés à cette rencontre ne représentent qu’un spectre très limité de l’échiquier politique syrien.
L’initiative russe a été accueillie avec prudence par les chancelleries occidentales qui se sont toutefois gardées de la torpiller, faute de solution de rechange face à une guerre syrienne qui entre dans sa quatrième année et dont l’onde de choc déstabilise tout le Moyen-Orient. « Force est de constater que tout le monde a échoué », lâche un diplomate européen de haut rang, en évoquant l’échec des deux médiations internationales à Genève, en 2012 et 2014, ainsi que l’intervention militaire avortée contre la Syrie, à la fin de l’été 2013, après l’usage d’armes chimiques par le régime Assad contre sa population.
Face à cette impasse, une certaine inflexion rhétorique vis-à-vis du régime Assad est perceptible des deux côtés de l’Atlantique, dont la portée est néanmoins sujette à caution. « L’idée selon laquelle l’effondrement du régime est inéluctable est désormais battue en brèche », relève Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique. Jusqu’à présent, les Occidentaux ont toujours invoqué la feuille de route édictée à Genève, qui stipule que toute négociation doit aboutir à la formation par « consentement mutuel » d’un gouvernement de transition, « doté des pleins pouvoirs exécutifs », ce qui suppose que M. Assad n’y joue aucun rôle.
« Solution politique »
Mais à ce discours, qui sous-entendait que la finalité du processus politique visait à rallier des cadres du régime à une coalition dominée par l’opposition, s’est substitué un son de cloche plus nuancé. Désormais, poursuit Camille Grand, « on envoie des signaux pour dire que l’on peut trouver une solution avec les piliers du régime et pas contre eux ».
Une évolution perceptible dans les récentes interventions de Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française, qui ne cesse de mettre en garde contre un effondrement total de l’Etat en Syrie pour éviter un scénario à l’irakienne. « Nous ne voulons pas de Bachar Al-Assad, qui a contribué à la mort de plus de 200 000 personnes, il ne peut être l’avenir de son peuple », a-t-il insisté sur France 2, le 19 janvier, en rappelant la position défendue de longue date par la France. En revanche, a-t-il poursuivi, « nous aidons à une solution politique où des éléments du régime demeureront, appelons un chat un chat ».
La dernière fois que le président de Etats-Unis a évoqué pour sa part publiquement M. Assad, c’était deux mois plus tôt, le 16 novembre, au sommet du G20 de Brisbane. Dans des termes presque similaires, il avait écarté explicitement « toute forme d’alliance » avec un homme qui a perdu « toute forme de légitimité » vis-à-vis de son peuple. Le 20 janvier, dans son discours sur l’état de l’Union, Barack Obama s’est contenté de mentionner l’aide apportée « à l’opposition modérée » contre l’Etat islamique (EI).
A l’Elysée, on reconnaît que le président Hollande et son entourage proche s’interrogent depuis plusieurs semaines sur une évolution du positionnement français. En clair, comment amorcer un dialogue avec des cadres du régime dans le cadre d’une démarche soutenue par une coalition de pays, notamment la Russie, qui donnerait une plus large légitimité à ce type de cheminement.
Entente avec l’Iran
Une posture dictée par deux évolutions sur le terrain. D’abord, les forces de l’opposition modérée, en pointe au moment où une intervention occidentale était envisagée, sont aujourd’hui marginalisées. Ensuite, il est difficile de concilier un discours sur le refus de négocier avec M. Assad alors que les frappes aériennes menées par les Etats-Unis, dans le cadre de la coalition internationale, contre les positions de l’EI en Syrie, poussent, de facto, à une forme de coopération avec le régime de Damas.
Mais cette stratégie expose aussi au grand jour les divergences entre les pays de la coalition, à commencer par la France, qui estime que la priorité donnée à la lutte militaire contre l’EI fragilise la perspective d’une sortie de crise en renforçant, de fait, le pouvoir syrien. « Si on arrive, d’ici 18 ou 24 mois, à une situation où les forces de l’EI ont été réduites mais avec une opposition qui aura explosé entre-temps, il ne restera alors que Bachar, et toute transition politique sera illusoire », insiste une source française proche du dossier.
Dans l’immédiat, les inflexions de langage à l’égard d’Assad peuvent être interprétées comme des signaux avant tout destinés aux Russes et aux Iraniens, les principaux parrains de Damas. Mais d’abord aux Iraniens, note un diplomate impliqué dans le dossier. « L’Iran a plus d’influence en Syrie que les Russes, et l’Iran a plus d’influence en Irak que les Américains », dit-il.
La question d’un éventuel compromis avec le régime soulève bien des questions. Quel en serait l’impact sur la coalition alors que le départ du président syrien est une priorité pour des piliers tels que la Turquie et l’Arabie saoudite ? Jusqu’où peut aller l’entente avec l’Iran alors que les Occidentaux, Américains en tête, tentent d’arracher un accord avec Téhéran sur son programme nucléaire ?
Le lien entre la Syrie et le nucléaire iranien a toujours été récusé par les Occidentaux. Et rien n’atteste, à ce stade, qu’un « grand deal » (un compromis sur le nucléaire en échange d’un lâchage de Bachar) soit sur la table. Pour Washington, les temporalités des deux dossiers ne sont simplement pas comparables. Un accord potentiel avec l’Iran s’inscrit dans le cadre des deux ans qui restent du second mandat de M. Obama alors qu’il a déjà fait valoir que la lutte contre l’EI s’étendrait au-delà. (Pour information, article publié dans Le Monde du 27 janvier 2015, p. 7)
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