Iran. Débat sur la tactique syndicale dans la République islamique. A propos du salaire minimum

Par Fruzan Afshar

Le 8 avril 2020, les représentants du gouvernement, des entreprises et des syndicats iraniens [système tripartite de type corporatiste] ont repris les négociations, attendues depuis longtemps, sur la révision du salaire minimum national. Avec une économie durement touchée par la pandémie de Covid-19 et les sanctions paralysantes imposées par les États-Unis, les chances étaient minces que les représentants du gouvernement et des entreprises consentent à une augmentation substantielle des salaires.

Du côté des travailleurs, la hausse de 15% proposée par le gouvernement et approuvée par les employeurs a été jugée insuffisante compte tenu de l’inflation galopante qui, pendant des années, a considérablement réduit le pouvoir d’achat des salarié·e·s. Ce chiffre n’a pas non plus répondu aux attentes du public, attentes que les syndicats eux-mêmes avaient contribué à accroître, notamment en exigeant publiquement des hausses de salaires allant bien au-delà de ce que leurs interlocuteurs étaient susceptibles d’accorder [1].

Alors que les employeurs ont initialement demandé un gel des salaires, les représentants des syndicats ont insisté sur un fait: même une augmentation de 45% commencerait à peine à compenser la chute du niveau de vie des travailleurs, certains représentants demandant des augmentations pouvant atteindre 60%. Si les syndicats se contentaient de moins, quel effet cela aurait-il sur leur réputation?

Une nouvelle loi sur le salaire minimum a finalement été promulguée vers minuit le 20 avril, quand bien même aucun accord n’avait pas été conclu. Les représentants des travailleurs – ce qui est très rare – sont sortis collectivement en signe de protestation, laissant le gouvernement et les employeurs ratifier une augmentation de 21% par un vote majoritaire [2 sur 3]. Deux jours plus tard, plus de 6000 travailleurs de base et militants syndicaux, parmi lesquels des intellectuels et des journalistes, ont lancé une pétition s’opposant à la «violation du tripartisme», tout en félicitant les représentants des travailleurs pour avoir refusé de signer un accord «injuste».

Décrivant le nouveau salaire minimum comme illégal, les pétitionnaires ont demandé qu’il soit révoqué et que les négociations reprennent afin d’augmenter encore le taux d’ajustement des salaires afin qu’il corresponde au taux d’inflation annoncé par le gouvernement. Ce qui permettrait d’atteindre le salaire minimum vital tel qu’il est mesuré, officialisé et communiqué par l’État par le biais d’un mécanisme officiellement appelé le «panier de subsistance».

Le panier de subsistance est le fruit d’une procédure institutionnelle de collecte de données sur les dépenses des ménages afin de calculer l’estimation officielle du coût moyen de la vie, qui, selon le droit du travail iranien, est, avec le taux d’inflation, le critère de fixation du salaire minimum. Le résultat final atteint grâce à ce mécanisme est également appelé «panier de subsistance».

Mais pourquoi les critiques de l’État et les opposants politiques ont-ils cité ce chiffre dans une pétition de protestation? Pourquoi les opposants devraient-ils choisir de prendre l’État à son propre mot? Pourquoi ne pas viser un salaire vital plus généreux – si les données sur le salaire minimum vital sont officiellement ignorées, alors qu’on en dispose de nombreuses – et qu’il est courant de discréditer les données de l’État en les considérant comme conservatrices et biaisées? Par exemple, en 2020, l’Union libre des travailleurs iraniens a exigé un salaire minimum de plus de 9 millions de tomans, alors que le salaire de subsistance officiellement estimé était d’un peu moins de 5 millions de tomans [2].

Cependant, plutôt qu’un événement isolé, l’utilisation de données codifiées par le gouvernement est une tactique clé du militantisme syndical en Iran. Alors que la critique ouverte des lois et du discours officiel attire souvent l’attention des médias d’opposition, la dissidence et l’activisme syndical prennent également des formes plus subtiles et contre-intuitives. Face à de formidables obstacles élevés à l’organisation des salarié·e·s, un segment croissant de militants syndicaux iraniens utilise la loi comme une ressource symbolique afin de garantir une reconnaissance politique et de disposer d’une plate-forme pour exprimer des revendications.

En tirant parti de la complexité des règles et des principes du droit du travail, ces activistes peuvent retourner le langage de l’État contre lui-même afin de promouvoir les intérêts des salariés. Les militants syndicaux utilisent le droit de manière innovante et stratégique, pas nécessairement dans le but de le faire appliquer par la justice, mais pour conforter leur une légitimité, pour diffuser leur message, pour stimuler les doléances et éviter la répression.

L’élaboration du panier de subsistance

Après l’introduction, en 1990, de la loi actuelle sur le travail en Iran, le taux d’inflation, tel que publié par la Banque centrale d’Iran, a régulièrement fait l’objet d’une attention particulière dans les négociations sur le salaire minimum. Mais la question du coût de la vie a surtout été mise en veilleuse, notamment parce qu’avant 2017, il n’y avait pas d’accord sur la méthodologie d’estimation de ce coût. L’État a mis près de trois décennies à élaborer un mécanisme institutionnel spécifique pour traduire une vague obligation légale en chiffres concrets, bien que toujours contestés.

L’organe chargé de la révision du salaire minimum, le Conseil suprême du travail, est officiellement composé de représentants des travailleurs, du gouvernement et des employeurs. Des membres des syndicats – qui eux ne disposent pas de ressources politiques et de capacités de mobilisation importantes – ont plutôt choisi de renforcer leur position par l’utilisation stratégique d’un langage juridique qui n’a pas été utilisé depuis longtemps.

Une stratégie potentielle a été identifiée dans les dispositions de l’article 41 du Code du travail qui stipule que le salaire minimum doit être lié à un salaire de subsistance «indépendamment des capacités physiques et intellectuelles des travailleurs et des caractéristiques du travail assigné». Le Code du travail est cependant muet sur l’institution responsable de la quantification de cette exigence et sur la manière dont elle doit être calculée.

Aussi progressiste que la clause puisse paraître, en pratique, ce n’était guère plus qu’une tache d’encre sur le papier qui suggérait des chiffres radicalement différents pour le salaire de subsistance (ou vital) en fonction des perceptions et des intérêts des différents acteurs.

Dès les années 1990, les syndicats officiellement autorisés ont commencé à faire pression sur le gouvernement pour qu’il calcule un revenu minimum vital de base ou, à tout le moins, pour qu’il leur donne accès à des données leur permettant de calculer leurs propres chiffres [3]. Cette revendication a pris de l’ampleur après 2004, lorsque le Ministère du Bien-être et de la Sécurité sociale a été créé et a été chargé de participer au calcul d’un seuil de pauvreté officiel. Les appels en faveur d’un chiffre officiel pour établir le salaire minimum de subsistance sont cependant restés lettre morte, car le Ministère considérait ces données comme sensibles et confidentielles! Certains des représentants syndicaux que j’ai interrogés ont raconté avoir demandé des données pertinentes et avoir attendu pendant des heures dans le hall du Ministère… pour se voir refuser l’accès à ces données.

Face au refus de l’État de déterminer le salaire minimum de subsistance, les syndicats officiellement reconnus ont commencé à élaborer une mesure du seuil de pauvreté en utilisant des données qu’ils avaient eux-mêmes recueillies dans le cadre d’enquêtes locales auprès des ménages [4]. En 2012, le Conseil suprême des associations de la guilde des travailleurs d’Iran a créé un comité spécial chargé de relever les prix du marché afin de surveiller les fluctuations des prix de différents articles de consommation des ménages [5].

Bien que les syndicats aient continué de tenter de calculer en propre un salaire minimum de subsistance, les représentants du gouvernement et des employeurs ont jugé leurs mesures imparfaites et non scientifiques. Ils ont écarté les requêtes visant à établir un mécanisme convenu et officiel pour la publication de tout chiffre officiel sur le salaire minimum de subsistance.

Bien que le fait de chiffrer le montant du salaire minimum vital ne garantisse pas que le salaire minimum soit fixé en conséquence, les syndicats espéraient que ce chiffre pourrait servir d’instrument et d’argument pour la négociation [6]. Comme l’a fait remarquer le représentant syndical Alireza Heidari en 2016, «le calcul du salaire vital crée un certain nombre d’obligations pour le gouvernement et les employeurs qui, même si elles ne sont pas respectées immédiatement, peuvent servir de point d’appui pour les revendications des syndicats» [7]. Dans un entretien accordé au site d’information Ilna, Ali Khodaei, un représentant des travailleurs au Conseil suprême du travail, a expliqué que «l’institutionnalisation du coût de la vie a l’avantage que le gouvernement et les employeurs ont avoué que les travailleurs ont droit à beaucoup plus que ce qu’ils touchent. De plus, lors des négociations de 2019 et 2020, les représentants syndicaux au Conseil ont utilisé le taux établi par le panier de consommation comme outil de négociation» [8].

Bien que les syndicats aient continué à faire pression pour l’élaboration d’une définition et d’une méthodologie communes pour le calcul du salaire minimum, une percée n’a eu lieu qu’avec l’élection du président Hassan Rohani en 2013. Sous la précédente présidence de Mahmoud Ahmadinejad [2005-2013], la Maison des travailleurs – la Confédération syndicale nationale de l’Iran – a eu des relations difficiles avec le gouvernement [9]. Le nouveau gouvernement Rohani a nommé Ali Rabiei, un haut fonctionnaire de la Maison des travailleurs, au poste de ministre du Travail. Soucieux de préserver le soutien politique des syndicats officiellement reconnus, Ali Rabiei a joué un rôle déterminant dans la création d’un salaire minimum vital. Un comité tripartite a été mis en place sous l’égide du Conseil suprême du travail, chargé de fournir, de maintenir et de publier systématiquement les données relatives au coût de la vie.

Ce que l’on a appelé le «panier de subsistance» est donc né de compromis et de contestations au sein de la bureaucratie de l’État. La pression exercée de l’extérieur sur gouvernement pour la mise en place d’un salaire minimum de subsistance n’a pas été la principale force motrice. En fait, les militants syndicaux de l’opposition ont généralement montré plus d’intérêt à calculer leurs propres estimations qu’à demander à l’État de le faire pour eux. Par exemple, Nameh-ye Mardom (Lettre du peuple), la principale publication du parti Tudeh [PC] a affirmé en 2017 que «nous pensons que les travailleurs ne devraient pas permettre aux employeurs, au gouvernement servant leurs intérêts et aux soi-disant représentants des travailleurs de prendre l’initiative de déterminer le salaire minimum vital. Des comités salariaux [doivent au contraire être formés] dans les entreprises pour calculer le coût de la vie de manière précise et objective» [10], alors que d’autres intellectuels socialistes considéraient le panier de subsistance comme une évolution positive [11].

Opposants masqués

Malgré leur scepticisme à l’égard de l’État, de nombreux militants syndicaux n’hésitent pas à intégrer le montant officiel du panier de subsistance dans leur discours politique, même au risque de paraître contradictoire, naïf ou soumis [12]. D’innombrables articles, billets de blog, interviews et déclarations politiques font référence au panier de subsistance pour protester contre le processus d’élaboration des politiques du gouvernement et exiger une plus grande répartition économique pour la classe ouvrière – même si peu de gens croient en l’exactitude du montant du panier de subsistance sous-jacent.

Grâce à la couverture télévisuelle de l’État, le grand public connaît également le montant et la composition du panier de subsistance et le coût de la vie. Dans le groupe de discussion organisé sur l’application Telegram de la Maison des travailleurs, qui compte plus de 6000 participants, des travailleurs ordinaires ont utilisé le panier de subsistance pour critiquer le salaire minimum. Un utilisateur de l’application a écrit: «Ne trouvez-vous pas cela drôle? En gros, ils disent qu’un travailleur a besoin de 5 millions de tomans pour survivre. Et puis ils disent: «Eh bien, nous allons vous donner 3 millions de tomans!»

De nombreux Iraniens considèrent les données officielles comme des chiffres inventés utilisés par le gouvernement pour brouiller les pistes et évincer les sources d’information indépendantes. Le panier de subsistance est donc balayé comme une autre mascarade pour créer chez les travailleurs un espoir vide ainsi que pour diffuser un semblant d’expertise et de compétence gouvernementale. Les gens pensent généralement que le véritable salaire minimum de subsistance doit être bien plus élevé.

Le gouvernement et les syndicats ont fait connaître le mécanisme d’instauration du panier de subsistance dans le cadre d’un projet technocratique visant à combler l’écart entre le salaire minimum et l’augmentation du coût de la vie. Dès le début, cependant, les autorités ont affirmé que ce n’était pas une «option économiquement réaliste ou viable» d’augmenter le salaire minimum pour qu’il corresponde au minimum vital [13]. Aucun plan d’action concret n’a été proposé et l’écart entre les deux données n’a montré aucun signe de diminution. En fait, depuis son premier calcul en 2017, le montant chiffré du panier de subsistance a oscillé autour de trois fois le salaire minimum légal. Du point de vue des critiques, le panier de la ménagère s’est avéré comme on le soupçonnait: les promesses sont loin d’être tenues, les résultats sont insuffisants.

Mais bien qu’il ne soit pas contraignant pour les employeurs, l’État a effectivement fourni un point de référence légalement reconnu pour juger du niveau du salaire minimum. Par conséquent, bien que sceptiques, de nombreux militants syndicaux trouvent avantageux de mentionner le panier de subsistance dans leurs revendications pour établir un salaire minimum plus élevé. Bien qu’il existe des estimations plus généreuses provenant de sources non officielles, l’utilisation de cette référence chiffrée plus basse donne à leurs revendications une apparence plus légitime et plus partagée. Mentionnées comme telles dans un discours légal et officiel, leurs doléances syndicales attirent des alliés en réduisant leurs craintes de représailles de la part du gouvernement. En tant qu’élément de la loi et, par conséquent, de l’État, le panier de subsistance est stratégiquement intégré par des militants dans leur discours et cela à des fins politiques [14].

Le Panier de subsistance n’est pas le seul cas où le gouvernement iranien fournit des munitions rhétoriques pour une activité de l’opposition. Les symboles légaux sont souvent invoqués par la base pour s’opposer aux pratiques du gouvernement dans le domaine du travail. De nombreux militants estiment qu’ils ont plus de chances de réussir s’ils affrontent l’État selon ses propres termes et utilisent son propre langage afin de faire valoir que le gouvernement lui-même adopte des pratiques contradictoires, viole ses propres critères ou manifeste une hypocrisie.

Bien que produits par l’appareil d’État dont ils se méfient profondément, de nombreux militants iraniens ne considèrent pas la loi de l’État, le discours officiel ou les codes juridiques comme nécessairement étrangers, antagonistes ou intrusifs. Plutôt que de simplement résister à l’autorité de l’État, des militants syndicaux s’engagent, se réorientent et tentent d’utiliser des éléments de l’État contre lui-même.

En prenant appui sur les notions universalistes d’équité et de justice ou sur les conventions internationales d’organisations telles que l’Organisation internationale du travail (OIT), les travailleurs et les militants tissent des fils de la législation nationale en une rhétorique et une stratégie souples. Ce faisant, ils ne se contentent pas de prôner la loi face à un régime politique connu pour la violer. Ils cherchent plutôt à influencer la perception qu’a le public de l’équité, de la légitimité, des risques et des possibilités politiques réels ou perçus. Bien qu’elles soient généralement interprétées de loin comme un signe d’acquiescement politique, ces utilisations de la loi sont au cœur des tentatives de mobilisation, de recrutement et de la formation d’alliances militantes.

La politique et le droit

Le 14 avril 2020, quelques jours après l’adoption de l’augmentation de 21% du salaire minimum, un groupe d’ouvriers de l’usine de canne à sucre Haft Tapeh a organisé une manifestation symbolique contre ce qu’ils ont appelé le non-respect de l’article 41 du Code du travail par le Conseil suprême du travail. Se joignant à la marée montante de protestations contre le nouveau salaire minimum, ils ont remis en personne un exemplaire de ce Code du travail à l’Office du travail local, avec une note jointe écrite en rouge: «Ceci est pour vous rappeler que la loi ne signifie rien lorsque les intérêts des employeurs sont en jeu.» [15]

Alors que les travailleurs et les militants font appel à la rhétorique juridique pour faire pression en faveur de salaires plus élevés, les lois du travail sont déployées par différents acteurs pour signifier différentes choses. Si l’article 41 est largement compris comme faisant référence à l’indexation des salaires sur le taux d’inflation, tout le monde n’est pas d’accord à ce sujet. Par exemple, en 2013, après la fixation du salaire minimum, un bloc de syndicats officiellement reconnus a intenté un procès contre la décision du Conseil d’augmenter le salaire minimum «seulement 25% alors que l’inflation atteignait 32%». Le tribunal a cependant rejeté la plainte, arguant que l’article du Code du travail stipule simplement qu’il faut «tenir compte du taux d’inflation, mais n’exige pas d’augmentation pour l’égaler» [16]. Si le salaire minimum était destiné à augmenter automatiquement en fonction de l’inflation, ont fait valoir certains, le processus de négociation menant à la détermination du salaire serait redondant [17]. Bien que la formulation de la clause confère une certaine crédibilité à cette interprétation, la décision du tribunal n’a guère réussi à perturber l’interprétation dominante de la clause, qui fournit des motifs de contestation du travail sur la question du salaire minimum.

Les ambiguïtés de la loi ne constituent pas tant des dilemmes à résoudre que des possibilités pour les acteurs politiques d’interpréter les règles de manière créative et d’avancer des revendications qui servent leurs intérêts. Par exemple, selon le règlement du Conseil suprême du travail, il suffit, pour faire adopter un nouveau salaire minimum, d’obtenir la majorité des membres du Conseil pour le faire adopter. Par conséquent, une fois que les deux parties à la négociation se sont mises d’accord sur un chiffre, il n’est pas nécessaire d’obtenir l’adhésion de la troisième. Un tel système signifie généralement la marginalisation des représentants des travailleurs, car le gouvernement s’aligne souvent sur les intérêts des employeurs, même s’il prétend souscrire au principe du tripartisme [18]. Lorsque la loi sur le salaire minimum a été ratifiée en 2020 sans le consentement des syndicats reconnus, de nombreux militants ont donc eu recours à des normes officielles telles que le tripartisme pour remettre en question sa validité juridique. Comme de nombreux systèmes juridiques nationaux, la législation du travail en Iran n’est pas un édifice totalement cohérent. Il s’agit plutôt d’un patchwork de règles et de principes qui se heurtent, se chevauchent ou sont parallèles les uns aux autres, et fournissent ainsi des ressources aux militants syndicaux.

Les négociations sur le salaire minimum en Iran sont souvent décrites comme stéréotypées et préparées d’avance. Pour beaucoup de gens à gauche, les négociations sont une fausse façade de la représentation et de la participation des travailleurs, alors que les décisions réelles sont prises à l’avance, sans la participation des travailleurs.

Pourtant, en Iran, un véritable processus politique se développe dans et à travers le mécanisme de négociation du salaire minimum. Malgré leur nature contrôlée par l’État et n’ouvrant pas sur des conflits, les institutions tripartites créées par l’État iranien ne fonctionnent pas aussi bien que ne le supposent leurs détracteurs. Le panier de subsistance, par exemple, est le résultat de contestations, de négociations et de compromis politiques qui ont eu lieu au sein de la bureaucratie de l’État plutôt que d’une conception et d’une planification strictement dictées.

On ne peut pas non plus comprendre tous les effets d’une loi à partir de son objectif ou de sa conception première. Alors qu’au départ, les syndicats percevaient le panier de subsistance comme un outil permettant de renforcer leur pouvoir de négociation vis-à-vis de leurs interlocuteurs (Etat et employeurs), la mesure a suscité une attention plus soutenue de la part de l’opinion publique et une pression accrue non seulement sur leurs opposants (Etat et employeurs), mais aussi sur eux. Les syndicats peuvent désormais être jugés selon leurs propres critères et résultats. Et leur bilan n’est pas vraiment brillant.

Alors que la majorité des études sur la réglementation du travail et le discours de la République islamique se sont concentrées sur la mise en évidence de leurs effets négatifs concernant les droits et le bien-être des travailleurs, peu d’attention a été accordée à la manière dont les règles et les codes officiellement reconnus peuvent être utilisés pour améliorer les conditions de travail. Qu’ils soient des plaignants officiels siégeant sur un banc au tribunal ou des travailleurs apportant le Code du travail auprès de l’Office du travail local, ces acteurs s’engagent et contestent le contenu formel de la loi, l’enveloppant dans un grand nombre de significations contestées, d’effets imprévus et de luttes politiques. (Article publié par MERIP, Middle East Research and Information Project, 9 février 2021, traduction par la rédaction de A l’Encontre)

Fruzan Afshar est un chercheur indépendant basé à Téhéran

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[1] «The Employers’ Representative at the Supreme Labor Council: We Still Propose a ‘Wage Freeze’ Until After Corona,» Tasnim, April 2, 2020. [Persan] “We Seek a 60 Percent Wage Increase» Tasnim, March 7, 2020. [Persan]

[2] «The Statement of the Free Union of Iranian Workers Regarding the 2020 Minimum Wag,» Kayhan London, February 10, 2020.

[3] Interview par l’auteur avec un représentant syndical, avril 2020.

[4] «For Once Enforce the Article 41 of the Labor Law», Karvakargar, December 4, 2012. [Persan] «The Working Household’s Cost of Living is Estimated to be Over One Million and 100 Thousands Tomans,» Karvakargar, January 14, 2013. [Persan]

[5] «The Special Committee for Discovering the Market Prices Starts Working» Mehr News, December 11, 2012. [Persan]

[6] Interview par l’auteur avec un représentant syndical, Téheran, novembre 2018.

[7] «The Rest of the Labor Representatives Should not Violate the Subsistence Basket», ILNA, March 7, 2016. [Persan]

[8] «Merely Calculating the Subsistence Basket is Useless» , ILNA, December 19, 2020. [Persan]

[9] Farhad Nomani and Sohrab Behdad, «Labor Rights and the Democracy Movement in Iran: Building a Social Democracy», Northwestern Journal of International Human Rights 10/4 (Summer 2012).

[10] «Toward a National Campaign in Defense of the Workers’ Wages», Name-ye Mardom 1041 (December 25, 2017). [Persian]

[11] Fariborz Rais-Dana, Hamdeli Daily, March 5, 2017.

[12] Tudeh Party of Iran, April 2, 2018. Radio Zamaneh, April 10, 2020. «Why Are Pensioners’ Interests Not Served?» Name-ye Mardom 35 (July 20, 2020). «Bulletin of the Communist Party of Iran», CPIRAN, September 2020. [Persan]

[13] «The Labor Ministry’s Policy for Bridging the Gap Between the Wage and the Cost of Living Was Announced», Mehr News, February 16, 2018. [Persan]

[14] «The Waves of Unemployment through Casualisation», Payaam, June 29, 2019 [Persan]; Yashar Javid, «Enacting Slavery Wage for Workers», Rahekargar, April 11, 2020 [Persan]; Rahekargar, April 26, 2020 [Persan]; «The Minimum Wage Enactment at Odds with Workers Interest», Name-ye Mardom 5 (April 2, 2018) [Persan]; «The statement by Free Union of Iranian Workers», Iranwire, April 11, 2020. [Persan]

[15] «Haft-Tappeh Workers Sent a Volume of Labor Law to the Labor Office», ILNA, April 14, 2020. [Persan]

[16] Pour le texte complet du jugement, voirDivan-e Edalat, March 18, 2014.

[17] «Bahaadori Jahromi: The Workers’ Minimum Wage Can be Revoked in the Justice Tribunal», SNN, May 3, 2020. [Persan]

[18] «Shari’atmadaari: The Labor Issues Can be Resolved Through Tripartism» ; IRNA, October 28, 2018. [Persan]

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