Adel, 30 ans, sans éducation supérieure, était chauffeur de bus pour un hôtel de la station balnéaire d’Hurghada, sur la mer Rouge. En 2011, avec la baisse du nombre de touristes, il perd son emploi. « Travailler 20 heures par semaine était pour moi satisfaisant. Mais mes heures ont commencé à baisser au point que mon revenu ne suffisait plus à joindre les deux bouts. Je devais emprunter à ma mère ou mon frère». Puis en 2012, l’hôtel ferme ses portes. Comme la plupart des employés du secteur privé, Adel travaillait sans contrat, ni assurance santé et se retrouve bien sûr sans indemnités-chômage.
Adel fait partie des 48% de ceux qui ont perdu leur emploi dans le privé entre 2006 et 2012, révèle un sondage par panel sur le marché du travail effectué en 2012 et publié en décembre 2013. «La création nette d’emplois a considérablement diminué, parallèlement à une courbe croissante de suppression d’emploi », note le chef du projet, Ragui Assaad, qui est aussi le coauteur de deux études basées sur les résultats du sondage, une sur l’emploi et l’autre sur le chômage pour la période 1998-2012, et publiées par le Forum de recherche économique.
Ce dernier regroupe un échantillon de 12’060 familles représentant la population égyptienne. Il étudie les changements intervenus sur le marché du travail depuis 2006, date du dernier sondage du genre.
Ces six dernières années se caractérisent par une crise économique mondiale qui a aussi frappé l’Egypte, puis par la révolution du 25 janvier 2011, entraînant un ralentissement sévère de l’économie nationale. Pour Assaad, la crise de l’emploi n’est pas seulement liée au ralentissement de la croissance. Il remarque que les Egyptiens perdent leur emploi de manière continue depuis 2003, après une nouvelle loi sur le travail facilitant les licenciements des employés qui se tournent alors vers le secteur informel. En 2003, 678’000 Egyptiens ont perdu leur emploi. Le nombre est passé à 1,33 million en 2010, car la création de nouveaux emplois est en berne, note une des études, menée par Assaad et Caroline Crafft.
Le secteur privé informel reste le premier employeur en Egypte. Mais il n’offrait de travail stable et de sous contrat qu’à 15 % des actifs en 2012, contre 17 % en 2006. Une situation qui n’a presque pas changé depuis 2006 et qui remonte même à 1998, révèlent trois sondages successifs. Cette «informalité» dominante a connu entre 2006 et 2012 et surtout depuis 2011, une hausse des permutations d’emploi, et une baisse des salaires et des heures de travail.
En outre, le volume du travail intermittent a plus que doublé. Ainsi 2 Egyptiens sur 10 sont actuellement engagés dans une activité saisonnière ou intermittente. «C’est le genre de travail le plus lié à la pauvreté et la précarité», note Assaad dans son étude sur l’emploi en 2012. C’est en fait aussi le genre de travail que Adel a dû accepter, après avoir accumulé 30’000 L.E. de dettes et quitté la chambre qu’il partageait avec deux amis pour une autre habitée par sept personnes. «D’après le dernier sondage, de moins en moins d’hommes trouvent des emplois formels, que ce soit dans le secteur public ou privé», note la même étude.
Le sondage révèle par ailleurs que face à cette situation, les hommes s’engagent dans des emplois plus risqués et plus marginaux. Ce genre d’emploi a cru à un taux annuel de 14 % entre 2006 et 2012. Même ceux qui exercent une activité indépendante (dont provient un quart des pauvres en Egypte d’après la Banque mondiale), y compris dans le secteur agricole, peinent de plus à plus à engendrer des revenus, conclut un rapport du même auteur portant sur le sondage, et intitulé «L’évolution de l’emploi et du chômage en Egypte 1988-2012».
En gros, le quintile des plus pauvres compte le plus de travailleurs intermittents, d’employés du privé et d’indépendants comme les marchands ambulants.
Du côté du chômage, qui s’est aggravé avec la crise mondiale et l’instabilité politique, ce sont les femmes qui sont les plus concernées. Le sondage de 2012 note qu’elles passent de longues années au chômage (le chômage des femmes est quatre fois supérieur à celui des hommes), puis, découragées. elles abandonnent leur recherche d’emploi. (Al Ahram, 8 janvier 2014)
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