Algérie. 30e vendredi de protestation. «Mettez-nous tous en prison»

Par Abdelghani Aichoun

Le hirak ne semble pas fléchir. Après la «permanence» assurée durant l’été, où le nombre des participants aux manifestations du vendredi avait baissé, ces dernières semaines, il connaît un renforcement graduel.

Hier, il y avait plus de manifestant·e·s par rapport au vendredi précédent, malgré le renforcement du dispositif sécuritaire, puisqu’il y avait un nombre plus important de camions de la police stationnés entre la place Audin et la Grande-Poste, entravant considérablement la circulation des marcheurs, la fermeture de plusieurs axes routiers menant vers la capitale, comme cela se fait depuis plusieurs semaines et les discours «musclés» de la semaine du chef d’état-major de l’ANP (Armée nationale populaire) qui s’en est pris aux tenants de la transition et à ceux qui rejettent l’élection présidentielle dans les conditions actuelles.

Ainsi, dès 10h30, les premiers noyaux de manifestants ont commencé à se constituer. Dès lors, les policiers mobilisés ont procédé à quelques arrestations, comme ils ont tenté de repousser ces manifestants «matinaux». Une attitude devenue fréquente depuis plusieurs semaines.

En début d’après-midi, des manifestants ont dû se rassembler devant le commissariat de la Basse-Casbah pour réclamer la libération de deux des leurs. Cela n’a pas, bien évidemment, empêché les Algériens d’affluer en nombre vers le centre d’Alger, à partir de 13h30.

Aussitôt la marche démarrée, les slogans habituels ont commencé à fuser de partout. «Dawla madania, machi askaria» (Etat civil non militaire), ou bien «Gaïd Salah, solta li chaab» (Gaïd Salah, le pouvoir au peuple), ont-ils entre autres scandé.

Les Algériens ont pris l’habitude de réagir aux derniers développements de la scène politique nationale, donc hier, ils ont tenu à exprimer leur solidarité envers le président du parti de l’Union démocratique et sociale (UDS), Karim Tabbou, arrêté mercredi et placé le lendemain sous mandat de dépôt pour «atteinte au moral de l’armée». «Allah Akbar, Karim Tabbou», criaient les manifestants.

D’ailleurs, la famille de ce dernier était présente à la marche d’hier. Beaucoup de manifestants ont prononcé des mots d’encouragements à leur endroit, notamment à ses deux enfants. Des chefs de parti politique et des personnalités, à l’image de Mohcine Belabbas, président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et l’avocat et défenseur des droits de l’homme, Mustapha Bouchachi, en ont fait de même.

Dans le même ordre, et comme pour dire qu’ils ne s’arrêteront pas de manifester, malgré toutes ces arrestations, les manifestants ont encore scandé : «Echaab marahouch yahbess, adouna gaâ lel hebs» (Le peuple ne va pas s’arrêter, emmenez-nous tous en prison).

Bien évidemment, les marcheurs ont, encore une fois, exprimé leur rejet du processus électoral en cours. «Makanch intikhabat maâ îssabat» (Pas d’élections avec les bandes) ou encore «Makanch l vote kayen massira» (Il n’y a pas d’élection, il y a des manifestations), ont-ils scandé.

Les Algériens, qui investissent les rues tous les mardis et vendredis, refusent toujours une élection organisée avec les anciens règlements et les conditions actuelles et sous la coupe des deux symboles du régime, à savoir le chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, et le Premier ministre, Nourredine Bedoui.

La même chose a été exprimée par beaucoup de manifestant·e·s via des pancartes, même si de temps à autre, surtout lorsque leurs porteurs étaient isolés, des policiers procédaient à leur saisie. «Les élections propres et la dictature, ça ne marche pas: Période de transition», lisait-on sur l’une d’elles. «C’est la résistance», a écrit un autre manifestant sur un bout de carton.

En somme, après plus de sept mois de manifestation hebdomadaire, le hirak ne semble pas près de s’essouffler. Bien au contraire. La mobilisation d’hier prédit un accroissement du nombre de manifestants dans les semaines à venir. Imposer une élection, à l’encontre de la volonté populaire, est un pari risqué que le pouvoir en place semble apparemment prêt à prendre. (El Watan, 14 septembre 2019)

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Algérie. Béjaïa-Kabylie. La rentrée du «hirak»

Par Kamel Medjedoub

Finis les congés et la saison des mariages. Le mouvement populaire reprend progressivement chaque semaine un peu plus. La marche d’hier à Béjaïa a donné les premiers signes d’une reprise effective qui redonne au mouvement du 16 février un nouveau départ, un nouveau souffle. C’est la véritable rentrée du «hirak» qui a choisi de coïncider avec le vendredi 13.

Une marée humaine a envahi la rue dans une manifestation qui est devenue un rituel hebdomadaire mobilisateur. Des centaines de manifestants continuent à venir inlassablement de plusieurs localités de la wilaya.

Certaines APC [Assemblée communale populaire] ont remobilisé leurs parcs de minibus communaux au profit des manifestants. Les premiers groupes de citoyens se rassemblent sur l’esplanade de la maison de la Culture à la mi-journée. Une heure plus tard, les lieux sont noirs de monde. Mais, la marée ne se formera qu’au cours de la marche qui grossit avec l’arrivée de contingents de citoyens qui attendent sur son itinéraire pour la rejoindre.

L’on s’y attendait un peu: l’arrestation et la mise en détention provisoire de Karim Tabbou [porte-parole de l’Union démocratique et sociale, issue en 2012 du Front des forces socialistes] allait aiguillonner la manifestation. Les premières banderoles et pancartes ont annoncé une marche qui a porté haut et fort la revendication de libérer sans conditions l’opposant politique ainsi que le reste des détenus d’opinion. «Libérez Tabbou, walah ma rana habsine, koul djemaâ khardjine!» (Nous n’arrêterons pas, nous sortirons chaque vendredi) ont crié les manifestants.

C’est depuis 30 vendredis que les Algériens sortent dans la rue pour exiger le changement total du système. «Ils croyaient que nous allions cesser de sortir au mois d’août» dit, soulagé comme beaucoup d’Algériens, un jeune manifestant à son compagnon. Un peu comme au début du mouvement, il était difficile, hier, de se frayer un chemin même sur les trottoirs, tant la foule était dense par certains endroits.

On recommence à sortir certains objets expressifs qui ont accompagné les précédentes marches. Un marcheur est venu avec un casque de chantier sur la tête et un marteau et une truelle dans les mains. Un autre a manifesté avec un ranger, symbole des militaires. Les anciens slogans ne dépérissent pas, tout le temps réactualisés. Ils étaient en grande partie destinés à faire entendre aux tenants du pouvoir réel que les tentatives de passage en force pour tenir l’élection présidentielle décriée sont vouées à l’échec. «Ulac lvot ulac!» (Pas de vote) n’a pas arrêté de fuser depuis les dernières marches.

Des parents de certains détenus continuent de marcher avec les portraits de leurs enfants, comme le père de Hilal Yahiaoui, un jeune homme de Feraoun, mis en prison depuis trois mois pour avoir brandi l’emblème amazigh à Alger. «Il veut observer une grève de la faim», nous apprend M. Yahiaoui, le père, à propos de son fils écroué parmi des détenus de droit commun à la prison d’El Harrach et qui ne supporterait pas les conditions de son incarcération.

Chaque vendredi, un collectif, du nom de Tilleli (Liberté), s’active pour recueillir, sur la placette Saïd Mekbel, des signatures pour la libération de ces détenus. Hier, sur la même placette, Hand Sadi était présent, en compagnie de Mouloud Lounaouci, vêtu d’un t-shirt réclamant la libération de Samira Messouci, l’élue du RCD, qui se trouve, elle aussi, à la prison d’El Harrach.

La mobilisation pour les détenus d’opinion est telle que ce dossier s’avère être un motif de renforcement de la détermination de ces milliers de citoyens à ne pas laisser passer la présidentielle. L’arrestation de Karim Tabbou est, en ce sens, une motivation de plus. (El Watan, le 14 septembre 2019)

 

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