Entretien avec Gerardo Pisarello
Nous publions ci-dessous la seconde partie d’un long entretien avec le professeur de droit constitutionnel à l’Université de Barcelone, Gerardo Pisarello (voir la première partie sur ce site). Ce dernier y fait ressortir en quoi les actuelles décisions légales et constitutionnelles visant à introduire des limites strictes aux déficits budgétaires non seulement constituent une machine de guerre durable pour porter atteinte à l’«Etat social» – à toutes les dimensions du salaire social –, mais portent aussi atteinte à des droits démocratiques fondamentaux. Ce n’est donc pas un hasard si ces décisions prennent le plus souvent la forme de diktats à l’échelle nationale et européenne. Ce qui traduit, en dernière instance, le cadre politico-économique que dicte la fraction hégémonique du capital aux partis du centre-droit (ou plus à droite) et du centre-gauche (ou plus exactement de l’a-gauche, avec un a privatif). C’est dans ce cadre que ces partis inscrivent fidèlement leur gestion effective du système.
La brutalité de l’offensive anti-sociale ébranle toutefois cette configuration politique, ce que souligne, à sa façon, Gerardo Pisarello. L’élaboration d’une large riposte nécessite, entre autres, la reconstitution d’un programme politique apte à établir une jonction entre des revendications démocratiques et sociales – répondant à des besoins comme à des exigences dites immédiates des salarié·e·s – et des objectifs qui mettent en question, à la racine, le système capitaliste. Ce qui est loin d’être, pour l’heure, une «chose» acquise par les forces qui se revendiquent de «l’anti-capitalisme»; forces qui restent encore marginales, même si certaines ne sont pas prêtes à admettre ce fait, pourtant évident. (Rédaction)
*****
Pourquoi pensez-vous que le PSOE a misé sur le Pacte avec le PP et sur une dérive politique si dangereuse? Ne sont-ils pas en train de liquider le programme du candidat du PSOE au poste de premier ministre Alfredo Rubalcaba à l’occasion des élections de mars 2012? Ou en sont-ils conscients mais pensent qu’un autre scénario est possible?
A mon avis la social-démocratie européenne en général et celle du sud de l’Europe en particulier font preuve d’une triste combinaison de désorientation, d’impuissance et de décomposition idéologique. Face à une offensive – sans doute féroce – des banques allemandes et françaises, des grands spéculateurs internationaux et de leurs propres entités financières et patronales, ils ont été incapables d’opposer une quelconque résistance, entre autres parce qu’ils avaient déjà œuvré à la démobilisation des bases sociales et syndicales qui auraient pu faciliter une telle résistance.
Prise dans cette impasse, la social-démocratie des pays de la périphérie a prétendu en même temps montrer sa confiance à l’égard de la puissance des «marchés» et se distancier de la droite, l’accusant d’être extrémiste. Elle a voulu donner des garanties de gouvernabilité tout en manifestant une plus grande sensibilité sociale que ses principaux adversaires. Mais elle ne réussit ni dans l’un ni dans l’autre rôle: les grandes banques et le patronat n’ont pas confiance dans son attitude erratique et ses politiques qui ressemblent tellement à celles de la droite que, comme au Portugal, une partie importante de son électorat préfère l’original à la copie ou migre vers l’abstention.
Dans le cas du PSOE, on a l’impression qu’il aspire surtout à gagner du temps, à ne pas trop gêner les «marchés» et à éviter une explosion sociale à la grecque ou quelque chose de pire encore, avant les élections. L’objectif ne serait pas de vaincre le PP, mais plutôt d’éviter une perte excessive de sièges pour pouvoir préparer le retour d’ici quatre ou huit ans. D’où la combinaison entre une rhétorique flexible, aimable, dont est actuellement chargé le candidat Rubalcaba, et une pratique de plus en plus suiviste de la politique du gouvernement [Zapatero] à l’égard des puissances économiques.
Ceux chargés de la rhétorique flexible affirment: «Le déficit zéro est une sottise propre aux fondamentalistes néolibéraux», pendant que les autres préparent sans ambages un objectif de déficit à 0,4% qui fait les délices de Merkel et de Sarkozy et se différencie à peine de sa suppression absolue. «Ne vous en faites pas, en contrepartie nous allons analyser calmement une augmentation des impôts pour les riches», déclarent ceux en charge de la rhétorique socialement sensible; alors qu’en même temps, sans trop d’analyses, la pratique néolibérale se dépêche de précariser le marché du travail, d’attaquer les retraites et d’imposer des politiques fiscales favorables aux revenus les plus élevés et aux spéculateurs.
A mon avis, cet espoir de pouvoir recréer ad aeternum l’alternance entre Canovas et Sagasta [allusion à l’alternance entre le Parti conservateur et le Parti libéral au XIXe siècle] sous-estime la profondeur et la portée de la crise actuelle, qui pourrait bien balayer du paysage politique, sans autre forme de procès, les partis sociaux-démocrates qui ont contribué à le façonner. Ce qui ne signifie évidemment pas que cela va laisser la place à un meilleur scénario.
Pourquoi pensez-vous que CiU [Convergència i Unio – une fédération de partis politiques catalans de centre droit] est en train de prendre des positions critiques à l’égard de la «réforme»? Elle a même parlé de rupture du pacte constituant.
Comme cela a été largement démontré depuis son retour au pouvoir, la droite nationaliste catalane partage pleinement avec les partis au pouvoir l’idée qu’il est nécessaire de réduire le déficit par des politiques de privatisation et de coupes des droits sociaux (ce que ses porte-parole préfèrent cyniquement appeler «épargne»). Tout comme le Parti Populaire, elle ne se gêne pas pour proclamer aux quatre vents que la sortie de la crise passe par une diminution ou une élimination de la pression fiscale sur les revenus les plus élevés, puisque cela stimulerait la création d’emplois, la croissance, etc.
Mais CiU est également consciente du fait que si les grands partis étatiques imposent des limites trop rigides au déficit ou à l’endettement, cela mettra en danger le pacte fiscal qu’elle a promis à sa base électorale. Et cela entraînera une restriction notable de sa propre marge de manœuvre pour tenter de contourner la crise en Catalogne. C’est la raison pour laquelle elle a dénoncé son exclusion du débat comme étant une rupture du pacte constituant et qu’elle a exigé comme contrepartie l’élimination de la contribution catalane de solidarité avec le reste de l’Etat. Dans cette réaction il y a une bonne part de comédie et de démagogie. En fin de compte, CiU est un parti de l’ordre, pas du tout enclin aux ruptures, et qui partage au fond l’idéologie de la réforme. Mais il est vrai que si celle-ci va de l’avant, elle entraînera une importante dénaturation de l’autonomie politique et financière des communautés et des municipalités. A l’époque, et en utilisant ces mêmes arguments, la Generalitat [nom du gouvernement autonome de Catalogne] avait présenté un recours en inconstitutionnalité contre la loi de 2001 du PP pour un déficit zéro. Néanmoins, le Tribunal constitutionnel, qui joue un piètre rôle en ce qui concerne les mesures anti-crise, a jugé tout récemment qu’il n’y avait aucun problème et que le gouvernement central avait le feu vert pour adopter ce type de politique.
Dans tous les cas il faut dire que cette dénaturation de l’autonomie, pourtant reconnue dans la Constitution, étoufferait principalement les forces autonomes et municipales de gauche qui voudraient l’utiliser dans un sens social et environnemental juste. Ironiquement, elle assénera également un coup à cette unité si vantée de l’Espagne, un coup beaucoup plus efficace que les revendications fédéralistes ou indépendantistes qui donnent tant d’ulcères à l’espagnolisme le plus rance.
Que pensez-vous, enfin, du procédé utilisé pour la réforme? Est-il adéquat, je ne dis pas politiquement, mais juridiquement, en tenant compte du contenu de l’article constitutionnel que l’on veut modifier?
En matière de réforme, la Constitution espagnole s’inspire, d’une certaine manière, de la logique suivante: pour les révisions de points considérés comme étant déterminants – les droits fondamentaux, le principe de l’Etat social, la Couronne – on prévoit une procédure plus lourde qui comprend des majorités élevées, un long débat, la dissolution des Cortes [Chambres législatives composées de la Chambre des députés et du Sénat] et un référendum obligatoire à la fin du processus. Par contre, pour modifier des points considérés comme étant moins prépondérants, il suffit d’avoir des majorités moins qualifiées et le référendum n’est exigé que s’il est sollicité par un dixième des membres de n’importe laquelle des Chambres.
Le chapitre VII sur l’économie et le Trésor, chapitre où s’insère l’article 135, ne fait pas partie des questions considérées comme étant «déterminantes». Cela justifierait donc qu’on suive la procédure ordinaire prévue dans l’article 167, une voie qui n’exige qu’une majorité des 3/5èmes à la Chambre des députés et au Sénat et qui permet de se passer de référendum. Néanmoins, quelques juristes critiques, comme Rafael Escudero, ont suggéré que dans la mesure où la proposition affecte de manière évidente des principes qui sont, eux, considérés comme prépondérants – comme celui de l’Etat social ou le principe démocratique – on devrait la considérer non plus comme une réforme partielle de la Constitution, mais comme une réforme globale, cela même si beaucoup de ses dispositions ne sont pas modifiées.
Cette interprétation ne serait certainement pas bien accueillie par la pensée constitutionnelle dominante. Mais elle n’est pas insensée, surtout si l’on tient compte de la portée, loin d’être mineure, de cette réforme ainsi que de sa capacité à neutraliser et à dénaturer les principes de base qui définissent l’essence du modèle constitutionnel, depuis l’Etat social et démocratique déjà mentionné (art. 1.1) jusqu’à l’autonomie politique et financière des communautés autonome et des municipalités (art. 2, 140, 142 et 156).
«Jeunesse sans avenir» a écrit dans un communiqué: «La réforme constitutionnelle négociée par la partitocratie est antidémocratique parce que non seulement elle n’a pas été votée, mais qu’en outre elle a été depuis le début contestée par des milliers de citoyens qui sont descendus dans la rue pendant des mois pour lutter contre les coupes sociales imposées par le marché.» Pensez-vous également que la réforme est antidémocratique?
Au-delà de la légitimité électorale que peuvent afficher le PSOE et le PP, il paraît évident que l’accord ne s’est pas distingué par son ouverture à un débat, à une délibération, malgré son impact évident sur l’intérêt général et les droits des citoyens et citoyennes. Il s’agissait d’une proposition plutôt clandestine, impulsée durant la période estivale [août] afin éviter le débat citoyen sur ses finalités. Comme l’a dénoncé l’Association de Juges pour la démocratie, même le Parlement a été réduit à n’être qu’une chambre d’enregistrement de décisions prises précédemment en dehors de lui.
En théorie, cette attitude de déloyauté constitutionnelle, comme l’a appelée à juste titre mon ami, professeur de droit du travail, Antonio Baylos, aurait pu être corrigée, au-delà de la procédure concrète de réforme choisie, par l’impulsion d’un référendum par les partisans du changement. Néanmoins, au-delà de la rhétorique flexible de personnages comme Blanco [PSOE de Galicie] – «nous voulions convoquer un référendum, mais on n’a pas eu le temps» –, le fait d’éviter à tout prix un tel référendum s’est révélé être une pièce clé de l’ensemble de l’opération.
Pour justifier ce refus on a recouru à divers arguments, parfois contradictoires entre eux: qu’il ne s’agirait que d’une mesure technique, qui ne mérite pas un large débat, qu’il s’agirait d’une mesure trop complexe, que cela soulèverait des passions populistes, etc. A mon avis ces arguments sont très faibles et laissent supposer que l’approbation du Congrès se réduit à la vérification d’un accord préalable adopté non seulement avec l’opposition mais aussi avec d’autres agents extérieurs, en commençant par la Banque centrale européenne et la chancelière Merkel, les porte-parole qualifiés des grands créanciers de la dette espagnole.
Rien de tout cela ne peut évidemment être considéré comme une preuve de santé démocratique. Comme l’ont bien compris certains juristes tels que Ruben Martinez Dalmau [professeur de droit constitutionnel à l’Université de Valence], dans la tradition du constitutionnalisme démocratique inauguré par la Révolution française, une Constitution qui se considère elle-même comme le fruit du pouvoir constituant populaire ne devrait pouvoir être réformée dans ses aspects prépondérants que par ce même pouvoir constituant. Que cela n’ait pas lieu dans un cas aussi décisif que la constitutionnalisation des limites aux dépenses publiques est une preuve de plus des profonds déficits démocratiques que traîne le régime politique espagnol depuis la transition [du franquisme à la «démocratie»: 1975 à 1982, date du premier gouvernement du PSOE avec Felipe Gonzalez], et que la crise n’a fait qu’aggraver.
Il faut cependant ajouter que nous ne nous trouvons pas devant un phénomène exclusivement hispanique. Après le «non» français [mai 2005] et hollandais [juin 2005] au Traité constitutionnel européen (TCE), après le «non» islandais au paiement de la dette contractée par les grandes banques [en mars 2010 et en avril 2011], ou après le «non» italien à la privatisation de l’eau, à l’énergie nucléaire ou à l’impunité des représentants politiques [juin 2011], le référendum est devenu la bête noire de quelques classes dirigeantes qui ne sont pas disposées à risquer de soumettre leurs mesures les plus clairement anti-sociales, anti-environnementales ou antidémocratiques à un vote populaire.
Si je ne fais erreur, l’agence de notation Moody’s a rapidement fait l’éloge de la proposition de réforme. Pourquoi? Est-ce qu’elle fait également partie du domaine d’une agence de notation?
Moody’s a en effet été l’une des premières à applaudir la réforme, non sans cacher ses préférences. Elle l’a qualifiée de «signal positif», tout en laissant clairement entendre qu’il aurait été préférable que la limite de 0,4% et que les mécanismes concrets de sanction en cas de transgression fussent inclus dans la Constitution, plutôt que dans une loi organique. Ces déclarations montrent bien quel est le vrai rôle des agences de notation dans cette conjoncture: défendre les intérêts spéculatifs à court terme des grands créanciers et des grands investisseurs. En tout cas, il est surprenant que ces entités qui opèrent en régime d’oligopole [trois dominent à l’échelle internationale] et qui sont autorisées à émettre des opinions techniques les plus raisonnées et objectives possible, se laissent aller à ce genre d’affirmations partisanes, que même un journaliste financier hésiterait à émettre.
Jaume Asens [professeur de droit constitutionnel et membre du DESC] et vous-même avez évoqué la question d’une plainte contre les agences de notation. Où en est-on dans ce processus, qui ne doit pas être facile?
En effet, la poursuite pénale des agences de notation, tout comme celle des délits économiques des cols blancs en général, est une question compliquée. Justement parce qu’il s’agit d’entreprises puissantes, que leurs manœuvres délictueuses sont opaques, qu’elles ne laissent pas de preuves facilement détectables et qu’elles peuvent compter sur la complicité d’autres agents privés, voire sur celle des organes publics eux-mêmes.
La plainte présentée devant l’Audiencia Nacional [juridiction valable pour toute l’Espagne] essaie de démontrer que Moody’s, Standard & Poors et Fitch exagèrent leurs rapports négatifs dans le but de favoriser les intérêts spéculatifs de quelques investisseurs qui, dans de nombreux cas, appartiennent au même groupe d’actionnaires que les agences. Du point de vue probatoire cela n’est évidemment pas facile. De fait, l’un des principaux obstacles rencontrés par la plainte a été l’apathie du Ministère public qui a estimé qu’il n’existait pas d’indices délictueux et ce même avant de procéder à une enquête approfondie, indispensable lorsqu’il s’agit de délits économiques particulièrement complexes.
Au-delà de son résultat concret, je pense que la plainte a déjà eu une fonction pédagogique importante. Avoir porté plainte a permis de délégitimer sur le plan politique et juridique les agissements des agences et de montrer à l’opinion publique les liens étroits qu’elles entretiennent avec des banques et des groupes patronaux concrets. Cela a également servi à dénoncer la défection des prétendus organes de contrôle de ces agissements, comme la Comisión Nacional de Mercado Valores [Commission des opérations en Bourse] ou la Banque d’Espagne. Et elle a surtout permis d’encourager des initiatives juridiques similaires, qui sont encore ouvertes, au Portugal, en Italie et aux Etats-Unis. En résumé, malgré l’énorme pouvoir que conservent encore ces firmes, leur mise en accusation au plan pénal ne doit pas être vue comme un geste vide. Il s’agit d’un pas modeste, mais à mon avis important, dans la lutte contre l’impunité dont bénéficie ce que Lourdes Beneria et Carmen Sarasúa qualifiaient dans un magnifique article de crimes économiques contre l’humanité [dans El Pais du 23 mars 2011].
Pour revenir à la proposition de réforme constitutionnelle, du point de vue des conservateurs, ce coup n’est-il pas dangereux? S’ils réforment maintenant la Constitution, pourquoi ne pas penser à d’autres réformes? Et si celles-ci n’étaient pas possibles pour le parti majoritaire, soit le Parti de l’Etat bourbon [allusion au fait que le monarque Juan Carlos 1er – un des éléments clés de la transition démocratique – est de la maison de Bourbon-Anjou], le PP-PSOE, pourquoi ne pas mettre à l’ordre du jour, actuellement, le changement de la Constitution?
C’est évident. Durant trente-trois ans, nous avons vu le PSOE et le PP se référer à la Constitution comme à un texte sacré, presque intouchable, comme le garant des grandes réussites supposées de la transition. Maintenant, en la réformant par traîtrise, dans les râles d’agonie d’un gouvernement Zapatero qui admet avoir pris l’initiative pour «calmer les marchés», ils ont brutalement et de manière irréversible dépouillé la Constitution de son aura d’intangibilité. Surtout face à une génération précarisée qui n’a pas voté la Constitution et qui est la victime privilégiée de ses limites et ses carences.
Est-ce que ce scénario est propice à la proposition d’autres réformes sociales, écologiques et démocratiques avancées? Certainement. Au Portugal, la droite a tenté au début de l’année d’impulser une nouvelle réforme de la Constitution de 1976 pour faciliter les licenciements et la marchandisation de la santé et de l’éducation. Cette proposition, qui a échoué pour le moment, a permis aux communistes, aux Verts, au Bloco de Esquerda et à de nombreux mouvements sociaux non seulement de délégitimer ces propositions, mais aussi de stimuler des alternatives: le perfectionnement des mécanismes de participation directe, l’élargissement du vote aux migrants et aux jeunes à partir de 16 ans, le renforcement du caractère public du système financier, la consécration du droit à l’eau et des droits reproductifs des femmes [droit à l’avortement], l’introduction de devoirs en matière de réhabilitation urbaine et de création de logements sociaux, la reconnaissance du principe de précaution dans le domaine environnemental.
Ces alternatives, et d’autres comme la surveillance des biens communs sur Internet, l’interdiction du surendettement privé, la reconnaissance du revenu de base, l’éducation gratuite de 0 à 3 ans ou la suppression de l’énergie nucléaire au profit des énergies renouvelables comme l’énergie solaire, étaient également présentes dans les discussions fournies du Mouvement du 15 mai. Je ne dis pas qu’il existe un accord absolu autour de ces propositions. Mais beaucoup d’entre elles s’apparentent sans doute avec la meilleure tradition des mouvements sociaux, écologiques, féministes et syndicaux de la péninsule.
En tout cas, le problème a été posé, comme vous le soulignez dans votre question, à cause de l’actuel blindage de la Constitution qui attribue au PP et au PSOE un pouvoir de veto face à toute proposition qui déborde leurs propres intérêts partisans ou qui met en doute leur version du «consensus de la Transition». Cela est indéniable. Mais ce qui l’est également c’est que le dit pouvoir de veto est en train de perdre rapidement sa légitimité. Dans ce contexte, le plus probable est que l’aveuglement aboutissant à mener la présente réforme constitutionnelle et légale ainsi que le refus de la discuter, au moins au niveau d’un référendum, se traduira par une activation de la contestation que des mouvements comme celui du 15 Mai ont lancé contre l’actuel régime politique et économique.
Je doute que cette contestation débouche – si les choses continuent sur ce chemin – sur de simples propositions de réforme de la Constitution. Ce seront plutôt ceux et celles qui, disposant de toutes les bonnes raisons – comme en Islande –, vont exiger de véritables processus constituants qui supposent une authentique régénération politique et économique. Si de tels processus devaient se produire, ils adopteront des formes originales que nous ne pouvons pas du tout prévoir. Ce qui est presque certain c’est que leur obsession ne sera pas de «calmer les marchés», mais de les soumettre à des logiques réellement démocratiques donnant la priorité aux droits de toutes les personnes plutôt qu’aux profits de quelques-unes. (Traduction A l’Encontre; cet entretien a été réalisé par Salvador Lopez Arnal et publié sur le site Rebelion)
______
Gerardo Pisarello est professeur de Droit constitutionnel à l’Université de Barcelone, membre de l’Observatoire DESC (droits économiques, sociaux et culturels) et du conseil de rédaction de la revue Sin Permiso. Il est un participant actif à l’assemblée «indignée» du quartier de la Sagrada Familia de Barcelone.
Soyez le premier à commenter