Par Franco Turigliatto
Les divers protagonistes de l’affrontement politique et social de l’automne prennent place.
La quadrature du cercle
Le gouvernement de Matteo Renzi a un grave problème: il doit trouver la juste combinaison pour une réforme financière qui n’apparaisse pas comme trop impopulaire, qui fasse tout de même quelques concessions, aussi insignifiantes soient-elles, qui n’augmente pas la TVA, évitant ainsi des conséquences conjoncturelles négatives, tout en parvenant à réduire de manière consistante l’imposition des entreprises et à poursuivre l’œuvre de fragilisation des contrats collectifs de travail. L’objectif politique est clair; il s’agit de capitaliser des soutiens à la veille du vote référendaire du 4 décembre prochain [1].
La tâche de Renzi est complexe car si, d’un côté, la Commission européenne est encore disposée à laisser une marge de manœuvre au gouvernement italien – c’est-à-dire un déficit des comptes publics supérieur à 2%, au lieu de 0,5% à atteindre à moyen terme [2] –, de l’autre côté, le président de la Commission Jean-Claude Juncker vient de rappeler que cette flexibilité a des limites. Et du côté des gouvernements européens, il n’y a aucun signe de revirement, le corset budgétaire restant l’alpha et l’oméga de leurs choix politiques. Tout au plus, des ajustements partiels et provisoires pourraient être admis dans des situations particulièrement critiques, comme celle que pourrait connaître l’Italie, parce que la Péninsule est une pièce fondamentale du puzzle de l’Union européenne (UE). Dans ce jeu de rôles, l’exclusion de Renzi du sommet Merkel-Hollande [du 15 septembre] est du pain bénit, puisque cela lui a permis de se présenter comme «l’alternative», celui qui «critique» l’austérité.
Entre-temps, les techniciens du gouvernement planchent sur de nouvelles coupes dans la dépense publique, la santé, les transferts aux régions. Sans se soucier du fait que les violents coups de ciseaux de la dernière décennie sont en train de produire leurs effets dévastateurs sur la vie réelle de la population, notamment par l’effondrement en cours du système de santé publique.
Par contre, financer la nouvelle et irresponsable guerre de Libye n’a pas été un problème [3].
Patrons et bureaucraties syndicales
L’assassinat d’un travailleur égyptien et militant du syndicat indépendant USB (Unione sindacale di base), à Plaisance, au sud de Milan, alors qu’il participait à un piquet de grève [4], le décompte sans fin des homicides par accident de travail, l’incroyable mésaventure des salariés de la Fiat-Chrysler de Nola (Naples), membres du syndicat indépendant Cobas (Comitati di base), licenciés par le PDG Sergio Marchionne [5], défendu jusqu’à ce jour par la justice de classe des patrons [6], ainsi que les innombrables attaques du gouvernement contre les luttes des salariés, montrent l’ampleur de l’affrontement de classe. Autant d’indicateurs du degré de violence que sont capables d’atteindre les capitalistes et leur système.
Si les grandes centrales syndicales assumaient leurs responsabilités en termes de défense des droits des salarié·e·s, de leurs conditions de vie et de travail, la tâche du gouvernement et de la Confindustria [la principale faîtière des associations patronales de la Péninsule] serait nettement plus ardue. En effet, l’assujettissement et la passivité des bureaucraties syndicales, face aux choix du patronat et des autorités politiques, font de ces organisations un auxiliaire décisif des classes dominantes. C’est ce que démontre le récent accord conclu entre les trois grandes centrales syndicales, CGIL, CISL et UIL et la Confindustria, concernant les restructurations et les licenciements. Au lieu d’essayer de faire obstacle aux mesures préconisées par l’accord, qui sont entièrement à la charge des salariés, les trois directions syndicales ont collaboré avec l’association patronale pour faciliter la mise en place de l’accord, de manière à éviter des luttes et des affrontements sociaux…!
Quant au groupe dirigeant de la FIOM [Federazione italiana operai metallurgici, syndicat des travailleurs de la métallurgie, affilié à la CGIL, la principale centrale syndicale du pays] – et à plus forte raison après l’accord trouvé avec Susanna Camusso [secrétaire générale de la CGIL, nde] [7] –, elle ne manifeste plus de volonté de s’engager dans la confrontation sociale directe (au-delà des émissions TV). Et cela malgré le fait que les syndicats vont devoir affronter la Federmeccanica [Association patronale des machines], qui a exprimé son intention de vider la convention collective nationale de travail de tout contenu. Sans parler des travailleurs du secteur public, dont les salaires sont bloqués depuis 6 ans [8], sur le dos desquels le gouvernement s’apprête à faire d’importantes économies tandis que les syndicats n’essaient même pas de mobiliser.
Nous n’irons pas très loin si nous renonçons à combattre l’austérité et à repousser les dogmes et les rançons du marché capitaliste. Dans ce contexte, nous devons inscrire la bataille démocratique pour le Non au référendum sur la réforme Renzi-Boschi [Elena Boschi, ministre des Réformes constitutionnelles] dans le prolongement des batailles sur les prestations sociales et sur les contrats collectifs. Car il va être difficile de gagner la bataille institutionnelle sans activer une mobilisation ouvrière et sociale aspirant à l’hégémonie politique, et à faire obstacle aux offensives que la bourgeoisie lancera avant comme après la votation.
Une mobilisation unitaire et plurielle est nécessaire
Depuis le début de l’été, nous défendons la nécessité d’une mobilisation unitaire et plurielle pour dire Non au référendum, pour repousser la réforme fiscale de Renzi, pour défendre l’emploi et les contrats collectifs de travail. Cette mobilisation doit être portée, gérée et organisée par toutes les composantes du mouvement, par les comités référendaires, les forces de la gauche, les syndicats et les mouvements sociaux. Si chacune de ces composantes doit pouvoir faire librement connaître ses propositions, nous devons toutefois descendre dans la rue tous ensemble, sans sectarismes ni préséances. C’est la seule manière d’espérer pouvoir changer les rapports de force et constituer un point de repère crédible, non seulement pour l’ensemble des salariées et des salariés, mais aussi pour tout un chacun, dans le but de renforcer la confiance en soi des acteurs des mobilisations à venir.
Ces dernières semaines des discussions ont eu lieu entre les forces syndicales de base et les forces sociales et politiques de classe, afin de promouvoir un automne de luttes contre les politiques du gouvernement et du patronat. L’organisation d’une grève générale et d’une grande manifestation nationale, à Rome, a même été discutée. Nous savons que ce ne sera pas simple, vu les rapports de force existants; c’est pourquoi toutes les parties à la mobilisation doivent accorder la plus grande importance au travail unitaire.
Nous sommes cependant bien éloignés de cet objectif. Pour l’heure – 26 septembre – nous avons prévu une grève générale de 8 heures le 21 octobre, appelée par le syndicat indépendant USB, avec des revendications très larges. Nous avons également prévu une manifestation nationale, le 22 octobre, appelée par un cartel d’organisations nommé Coordination pour le Non social à la contre-réforme institutionnelle ou NO Renzi Day. Sinistra anticapitalista est partie prenante de ce cartel, dans lequel nous défendons la plus grande ouverture possible. Parallèlement, le syndicat indépendant CUB et diverses autres organisations syndicales de base appellent à une grève générale de huit heures, à partir d’une plate-forme somme toute assez similaire à celle de l’USB, mais à une autre date, le 4 novembre. Le problème saute ici aux yeux.
Nous avons écrit et dit, à plusieurs reprises, que nous soutiendrions toutes les actions de grève et autres mobilisations. Mais, dans la situation actuelle, nous devons rappeler une banalité, à savoir que, pour les salariés, il est très difficile de participer à une grève et, pour une force syndicale, il est tout aussi difficile de poser les bases de la réussite du mouvement. Autrement dit, un travailleur convaincu de la nécessité de construire un rapport de force par la grève devra choisir quelle journée de lutte.
Nous pensons que les salariés de notre pays mériteraient un autre scénario. Et nous ne sommes pas convaincus que tous les efforts nécessaires ont été mis en œuvre, par les syndicats de base, pour converger vers une mobilisation unitaire. Pire encore, ces organisations semblent avoir même renoncé aux unités d’action ponctuelles des années passées.
Un travail unitaire de préparation de la grève, des assemblées communes, des comités unitaires de lutte sur les lieux de travail sont plus nécessaires que jamais. Ces instruments de lutte ne doivent pas avoir pour objectif d’affirmer une position spécifique ou de mettre en avant une liste syndicale, mais ils doivent servir à construire une dynamique unitaire, dans le but d’attirer de larges secteurs de salariés, y compris celles et ceux qui sont liés aux trois confédérations syndicales, en particulier à la CGIL, ce qui mettrait en difficulté leurs directions bureaucratiques.
La classe des salariés ne mérite-t-elle pas quelque chose de plus, de la part des syndicats de base, que d’être contrainte à assister aux sempiternelles divisions? Pourquoi l’unité d’action que les syndicats français ont su construire, dans les mouvements de ces derniers mois, ne serait-elle pas praticable dans notre pays?
Malgré la crainte que nous avons de voir les prochaines grèves être le fruit de la division qui s’est instaurée jusqu’à aujourd’hui, nous appelons les directions des organisations en question à tout mettre en œuvre pour sortir de l’enlisement actuel. Nous appelons les camarades militant dans les différents syndicats à faire ce qui est en leur pouvoir pour remettre à l’ordre du jour une dynamique unitaire si solide qu’elle puisse rendre crédible et concret l’appel à la grève et commencer à modifier ainsi les rapports de force sur les lieux de travail. L’enjeu de l’automne est très important et nous devons croire en la possibilité que les salariés relèvent la tête. (Article publié le 26 septembre 2016 sur le site de Sinistra anticapitalista; traduction et notes par Dario Lopreno)
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1/ Le référendum du 4 décembre prochain concerne un projet de loi (souvent nommé réforme Renzi-Boschi, les noms du président du Conseil des ministres et de la ministre des relations avec le Parlement) de réforme du Parlement. Il préconise la réduction de 2/3 des effectifs du Sénat (la Chambre haute du parlement), dont le champ d’action législatif sera grandement limité, qui ne pourra plus donner ou retirer la confiance au gouvernement et dont les membres seront tous cooptés et non élus. La Chambre des députés pourra légiférer dans des délais rapides et avec un mode de scrutin simplifié, sans passer par le Sénat. Il faut préciser ici que la réforme électorale (Chambre des députés), récemment entrée en vigueur, introduit un système qui donne – en deux tours si nécessaire – la majorité absolue (55%) des députés au premier parti sortant des urnes. La réforme du Parlement va aussi abolir le Conseil national de l’économie et du travail (CNEL); c’est un organe consultatif du Parlement, composé d’experts et de représentants des catégories productives, participant à l’élaboration des lois dans les champs économique et social. Le pouvoir des régions est également limité. Le chef du gouvernement, Renzi, s’engage à fond sur ce référendum, le transformant de facto en plébiscite pour ou contre son gouvernement et ses réformes.
Cf. Projet de loi constitutionnel, approuvé par la Chambre des députés et le Sénat respectivement les 11 et 20 janvier 2016, disponible sur http://www.camera.it/). [ndt]
2/ Il s’agit du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, TSCG, souvent nommé Pacte budgétaire, entré en vigueur en janvier 2013, qui impose sa «règle d’or» à «moyen terme», pour les membres de l’Union européenne moins le Royaume-Uni, la République tchèque et la Croatie, c’est-à-dire un déficit structurel (déficit budgétaire corrigé des variations conjoncturelles) maximal de 0,5%, porté à 1% en cas de circonstances exceptionnelles ou si la dette publique est inférieure à 60% du PIB. Le non-respect du pacte implique des sanctions financières contre l’Etat concerné. Cf. http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=URISERV:1403_3&from=FR. [ndt]
3/ «L’Italie débarque en Libye avec un hôpital de campagne, 235 parachutistes, l’appui d’un navire de guerre, un transporteur aérien et des drones espions. (…) Une mission humanitaire à Misrata [déclare] le ministre de la Défense Roberta Pinotti», écrit le quotidien Il Giornale du 14 septembre 2016. [ndt]
4/ Cf. l’article Italie. La meilleure solidarité est la grève. Réaction de classe contre l’assassinat d’Adb El Salam Ahmed Eldanf, sur ce même site . [ndt]
5/ Sergio Marchionne est également membre du conseil d’administration de la banque UBS. [ndt]
6/ Précisons ici que la Cour d’appel de Naples vient d’ordonner la réintégration des cinq salariés de Fiat-Chrysler, licenciés en juin 2014 parce qu’ils avaient mis en scène la pendaison d’un pantin figurant le PDG Marchionne devant l’usine de Nola. La Cour a ainsi annulé deux précédentes décisions de justice qui confirmaient les licenciements. Le maire de Naples a pris position en faveur de cette dernière décision (Cf. La Repubblica, 27 septembre 2016). [ndt]
7/ L’auteur fait ici allusion au retour de la direction de la FIOM et de son secrétaire central, Maurizio Landini, dans les bonnes grâces de la direction de la confédération syndicale CGIL et de sa secrétaire centrale, Susanna Camusso, depuis fin 2015, après un an et demi de relations tendues entre les deux directions. Ces tensions faisaient suite à la signature, par les trois grandes centrales syndicales, CGIL, CISL, UIL, d’un accord national avec le patronat, définissant un nouveau cadre des négociations collectives qui lie totalement les mains des oppositions syndicales. Un accord dont le secrétaire général de la FIOM semble s’accommoder aujourd’hui, après avoir mis à l’écart l’un après l’autre les cadres syndicaux qui s’opposaient à ces mesures. [ndt]
8/ Cela représente une perte de pouvoir d’achat de plus de 8,5% en six ans. [ndt]
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