Italie. Pour la construction d’une opposition dans la CGIL

Sussana Camusso (secrétaire générale de la CGIL) et Maurizio Landini   (FIOM)
Susanna Camusso (secrétaire générale de la CGIL) et Maurizio Landini (FIOM)

Par le courant «Le syndicat est une autre chose»

Nous publions ci-dessous la résolution votée par l’Assemblée nationale du courant «Le syndicat est une autre chose». Elle s’est tenue le 29 mars 2014 à Bologne. Il s’agit d’un document soumis au débat du XVIIe Congrès de la Confédération générale italienne du travail (CGIL), dont la ligne majoritaire est représentée par sa secrétaire générale, Susanna Camusso. Ce document a été ratifié par une assemblée de quelque 300 participant·e·s.

Le processus de tenue du XVIIe Congrès est le suivant: en janvier et février 2014 se sont tenues des «assemblées de base»; puis des congrès à l’échelle régionale réunissant des membres des fédérations qui forment la CGIL, ainsi que d’autres structures régionales, cela jusqu’au 15 mars 2014; puis des congrès régionaux de la CGIL du 17 au 29 mars 2014; puis des congrès nationaux des fédérations; enfin le XVIIe Congrès qui doit se tenir les 6, 7 et 8 mai 2014 [1].

La lutte contre l’orientation majoritaire de la CGIL se poursuit au-delà de cette assemblée de premier bilan du courant «Un syndicat est une autre chose». Le prochain rendez-vous est fixé au mercredi 2 avril 2014, à Florence. Il s’y tiendra un rassemblement organisé par les familles des victimes du «massacre» de Viareggio (Toscane), quand 32 habitants sont morts lors d’un grave accident ferroviaire, le 29 juin 2009. Un wagon rempli de gaz a explosé provoquant une déflagration d’envergure et un vaste incendie. Une procédure juridique a été ouverte, alors, contre des dirigeants de la société étatique des chemins de fer (parmi lesquels Mauro Moretti), ainsi que contre ceux de la firme Gatx, propriétaire des wagons-citernes, et de deux firmes de maintenance: Cima et Jugenthal.

Or, c’est à Viareggio que se tiendra, du 1er au 4 avril 2014, le Congrès national de la Fédération italienne des travailleurs du secteur des transports (FILT), rattachée à la CGIL. Pourtant, les organisateurs viennent d’interdire aux représentants des familles des victimes de Viareggio d’y prendre part, alors même qu’un débat avec le PDG des Chemins de fers italiens (Treni Italia), Mauro Moretti, se tiendra le 2 avril 2014, durant le Congrès.

Il est utile de rappeler que ce PDG a été formellement accusé par le procureur pour son rôle lors de l’accident et, en plus, pour la mort de 43 travailleurs, durant la même année, en raison de négligences diverses et du non-respect par l’entreprise des règles de sécurité. (Introduction de Sinistra anticapitalista, éditée par la rédaction de A l’Encontre)

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«Le syndicat est une autre chose» 

Ce document a récolté l’adhésion d’environ 20 % des voix [des militant·e·s] de la CGIL. Ce fait représente un signal fort: il montre le poids réel de l’opposition à la ligne et aux pratiques de la direction. Il indique ce qui aurait pu se passer si le Congrès s’était déroulé de manière démocratique, c’est-à-dire avec l’assurance de conditions réellement égales entre la direction et le courant «Un syndicat est une autre».

Ce courant, réuni lors de son Assemblée de Bologne, le 29 mars 2014, exprime une grande satisfaction pour l’engagement de ses militant·e·s volontaires qui ont permis de faire connaître et de soutenir nos positions au sein la CGI à presque un quart des participants inscrits aux congrès de base.

Les militants·e·s qui avec passion et engagement ont participé à ces congrès ont dû affronter souvent des attitudes indignes de la culture politique de la CGIL. Toutes et tous ont fait face à une hostilité très marquée et à des boycottages de la part de l’appareil bureaucratique, au lieu d’être reconnus pour leur engagement et leur ferveur démocratique. Les règles du pluralisme ont été presque toujours ignorées dans les assemblées auxquelles nous avons participé. Ainsi, le phénomène honteux du «gonflement artificiel» des voix a fortement déformé le déroulement des travaux.

C’est pourquoi nous refusons de considérer ce Congrès, et son résultat final, comme légitime. Nous avons dénoncé, à plusieurs reprises, que les votes enregistrés portant sur les orientations soumises n’étaient pas crédibles et qu’ils relevaient de l’imposture, sans même mentionner des fraudes électorales massives. Nous avons demandé des vérifications qui auraient pu se dérouler calmement. Cependant, la majorité ayant décidé que les règles à appliquer ne sauraient être que les siennes, les organes de surveillance et le secrétariat confédéral ont refusé tout acte de transparence. Les dirigeants de la CGIL sont donc directement et politiquement responsables de la falsification des résultats.

Nous pouvons considérer que tous les résultats sont faux, car même la dernière requête a été refusée. Elle se limitait à effectuer une vérification sur un échantillon de 100 assemblées confédérales. Le résultat officiel qui affiche une adhésion de 97 % au document de Susanna Camusso est donc faux politiquement et quantitativement. C’est une image de la crise démocratique de la CGIL, d’autant plus grave qu’est dissimulée la baisse de la participation des membres aux assemblées. Ce que nous avons pu constater effectivement à l’occasion des assemblées auxquelles nous avons pu participer.

Il s’agit du premier Congrès dans l’histoire de la CGIL où la moitié des voix [comptées] peut être considérée comme étant inexistante. C’est pour ces raisons que notre assemblée du 29 juin confirme la décision de ne pas reconnaître les résultats du Congrès et de continuer la lutte pour la démocratie au sein de la CGIL, dans le cadre d’une campagne syndicale qui s’étendra jusqu’au prochain Congrès.

La dégénérescence de la vie démocratique de la CGIL est d’autant plus grave qu’elle s’accompagne de la signature, le 10 janvier 2014, du Texte Unique sur la représentativité syndicale [Texte signé entre l’organisation patronale – la Confindustria – et les directions des trois Confédérations, soit la CGIL, la CISL et l’UIL] Il permet l’extension de l’accord Fiat de Pomigliano à l’ensemble des travailleurs et travailleuses en Italie [voir à ce sujet notre article publié en date du 19 janvier 2011].

Nous allons contester sur tous les lieux de travail et dans toutes les assemblées de base la légitimité de la signature de l’accord sur la représentativité syndicale signé par la CGIL. Nous ne nous sentons pas le moins du monde liés aux résultats d’une consultation qui a une transparence plus que réduite et qui ne dispose pas des garanties démocratiques du Congrès conclusif [en mai 2014].

Nous nous engageons à faire obstacle à son application et donc à le rendre non-opérationnel. Nous demandons aussi au groupe dirigeant de la CGIL-FIOM (métallurgie) d’être cohérent avec ses propres positions et de refuser l’application de cet accord [le secrétaire de la FIOM, Landini, a pris ses distances suite à l’accord final sur la représentativité signé le 10 janvier 2014]. Nous jugeons nécessaire que toutes les forces syndicales opposées à cet accord – qu’elles soient membres ou pas des structures de la Confédération [autrement dit, les divers syndicats en dehors des trois Confédérations, comme l’Union syndicale  de base, par exemple] engagent une lutte unitaire contre le Texte Unique. C’est seulement avec le retrait de cet accord que nous pourrons ouvrir la voie à une loi sur la représentativité syndicale qui soit effectivement démocratique.

Giorgio Cremaschi lors d'une réunion:  «Le syndicat est une autre chose»
Giorgio Cremaschi lors d’une réunion:
«Le syndicat est une autre chose»

Pour toutes ces raisons, notre Assemblée a décidé de contester cet accord [du 10 janvier 2014] au plan juridique, car il viole la Constitution.

Le Congrès était censé être «unitaire», avec le but de surmonter les différences grâce à la négociation entre les dirigeants des diverses fédérations de la CGIL. Or, cet objectif a échoué après la signature du 10 janvier. De fait, dès ce moment, un deuxième Congrès de la CGIL a commencé. Suite, à l’arrivée du gouvernement de Matteo Renzi [membre du Parti démocratique, issu du centre-gauche chrétien], depuis le 22 février 2014, un troisième congrès a démarré, sous le signe d’une autonomie très fortement limitée de la CGIL face au gouvernement.

Au cours de ces trois congrès, s’est avérée la faillite d’un projet politique dit des «amendements», consistant à négocier une ligne de synthèse par l’adoption de divers amendements. Or, les options de la majorité [sous la houlette de Susanna Camusso] n’ont pu être influencées; au contraire elles se sont confirmées. Le choix que nous avons fait, de présenter un document alternatif, s’est révélé par conséquent la seule voie possible pour répondre à la réalité. Si, dès le début, les désaccords face aux dérives du groupe dirigeant avaient pu trouver une expression claire, on peut concevoir combien la situation aurait été différente aujourd’hui.

Dans tous les cas, notre document s’adresse à toutes les positions critiques et contestataires au sein de la CGIL, cela avec l’objectif de construire des initiatives alternatives et unitaires.

L’Assemblée du 29 mars a décidé de s’engager dès à présent en tant qu’opposition interne à la CGIL autour de la plateforme intitulée: «Le syndicat est une autre chose». La structure de base de l’organisation de cette opposition est faite des camarades impliqué·e·s dans les collectifs de base qui ont été présents lors des assemblées de bases ainsi que des délégué·e·s élus à divers niveaux. Ces collectifs régionaux vont définir un plan de travail, d’organisation et de contacts serrés avec les différents secteurs du monde du travail et avec les inscrit·e·s à la CGIL.

Une nouvelle Assemblée, qui se tiendra après le Congrès national de la CGIL [début mai],  définira les modalités et le champ de structuration de notre opposition. Dans tous les cas, cela sera fait sur des bases totalement démocratiques à tous les niveaux.

Le contenu de cette initiative aura comme référence le document que nous présentons comme alternative au Congrès national de la CGIL, car il garde toute son actualité. [2]

Nous nous engageons de suite dans la lutte contre le Texte Unique et pour la démocratie syndicale, laquelle se traduit tout d’abord par la mise en place d’une campagne avec des stands d’information et une récolte de fonds pour financier le coût de la plainte déposée auprès du Tribunal.

Notre initiative s’inscrit dans la mobilisation contre les politiques d’austérité, la réforme du travail [Jobs Act Renzi, voir à ce propos le texte publié sur ce site en date du 21 mars 2014], les privatisations, les coupes budgétaires dans le secteur social et les politiques autoritaires du gouvernement Renzi. La subordination de la CGIL à l’égard de ce gouvernement (notre adversaire) pose encore une fois le problème de l’indépendance syndicale. Il faut dénoncer avec vigueur les liens néfastes qu’entretiennent la CGIL et le Parti démocrate (PD). Il faut construire une grande mobilisation unitaire avec tous les milieux concernés.

Nous participerons à toutes les mobilisations des mouvements sociaux contre les politiques de la Troïka européenne [BCE, FMI, UE], en partant de la manifestation «Pour une maison, un revenu et un travail» aura lieu le 12 avril 2014 à Rome. Nous nous engageons à côté des mouvements s’opposant à la construction des grands ouvrages [le NoTav: mouvement dans la vallée de Suse contre la construction de la ligne à moyenne vitesse; le NoMuos: le MUOS, acronyme de Mobile User Objective System, est un projet visant à établir un réseau de télécommunications de l’armée américaine dont un des 4 terminaux terrestres doit être établi en Sicile, à Niscemi] et nous nous mobiliserons contre la brutale répression qui les frappe.

Nous nous investirons pour construire des secteurs de lutte, sur le terrain, afin de faire comprendre à ceux et celles qui luttent pour l’emploi et qui refusent l’exploitation qu’ils ne sont pas seuls.

Notre lutte initiée à l’occasion de la préparation du Congrès de la CGIL, va continuer! (29 mars 2014, traduction A l’Encontre)

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[1] Le premier Congrès de la CGIL, post-fasciste s’est tenu en juin 1947. Dès 1948, la CGIL unitaire a connu deux scissions: l’une avec la constitution de la CISL (portant d’abord le nom de Libera-CGIL) liée aux démocrates-chrétiens. En 1950, après divers réalignements est créée l’UIL (Unione Italiana del Lavoro); elle a une tonalité social-démocrate. La CGIL sera liée au Parti communiste italien (PCI). Ce lien se délitera de concert avec le délitement du PCI, mais il se recomposera sous la forme d’une relation de «soumission» de la direction de la CGIL face au gouvernement du PD, entre autres de celui de Matteo Renzi. (Rédaction A l’Encontre)

La CGIL actuelle revendique 5,7 millions d’inscrit·e·s, dont 3 millions de retraité·e·s. Parmi les fédérations on trouve: la FIOM (Federazione Impiegati Operai Metallurgici); le SPI (Sindacato Pensionati Italiani); la FILT (Federazione Italiana Lavoratori Trasporti); la FILCTEM (Federazione Italiana dei Lavoratori della Chimica, Tessili, dell’Energia e delle Manifatture); la FILLEA (Federazione Italiana del Legno, dell’Edilizia, Industria affini ed Estrative); le SLC (Sindacato Lavoratori Comunicazione); la FP (Funzione Pubblica), etc. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Une synthèse, en italien, du document «Le syndicat est une autre chose» peut être trouvée à l’adresse suivante du site de Rete 28 aprile : https://dl.dropboxusercontent.com/u/108218989/sintesi%20documento%20congressuale.pdf

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