Bangladesh. Un an après l’écroulement de l’immeuble du Rana Plaza

Manifestation, le 18 avril 2014. Selon la presse du Bangladesh des accidents similaires se sont produits avant le Rana Plaza et on continué après. (Réd. A l'Encontre)
Manifestation, le 18 avril 2014. Selon la presse du Bangladesh des accidents similaires se sont produits avant le Rana Plaza et ont continué après. (Réd. A l’Encontre)

Par Inès Benghezala
et Ivanhoé Govoroff

Un an après l’effondrement du Rana Plaza près de Dacca (1138 morts), les ouvriers bangladais voient à peine leur situation évoluer: il y a bien eu une prise de conscience après le pire accident dans l’histoire du secteur textile [1], mais, dans les faits, les comportements tardent à changer. Et malgré les déclarations d’intention qui ressemblent souvent à des effets d’annonce, l’immobilisme persistant de la majorité des multinationales et la réaction poussive du gouvernement inquiètent les associations.

Au lendemain de la catastrophe, l’Organisation internationale du travail (OIT), des firmes occidentales (150 marques, majoritairement européennes), des syndicats et des ONG avaient lancé un appel aux autorités du Bangladesh et aux partenaires sociaux afin d’améliorer la sécurité des lieux de travail. «Cette initiative est une première et a permis de faciliter le dialogue entre les différents acteurs», explique Marion Cadier, chargée de programme du bureau mondialisation et droit humain à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).

Les entreprises des pays développés qui font fabriquer leurs vêtements au Bangladesh, ont signé un «accord sur la sécurité des usines textiles» dans le pays. Cependant, les véritables changements n’ont pas été initiés par les grandes marques occidentales, mais par des mouvements ouvriers qui, à la suite de la tragédie, ont organisé des manifestations de masse.

«Liberté syndicale»

Face à cette pression de la rue et au front commun des ONG, Dacca a pris un certain nombre de mesures. Le code du travail a été amendé, afin de permettre aux travailleurs des sweatshops de se réunir et, surtout, de se syndiquer plus facilement dans un pays où la liberté syndicale n’existait pas. Mais, selon la FIDH, «encore trop peu de nouveaux syndicats ont été créés, trop souvent entravés par la loi» qui impose un regroupement minimum de 30% des salariés d’une entreprise pour former une organisation de travailleurs reconnue.

Le «plan d’action» du gouvernement a entraîné une série d’inspections dans les ateliers du pays. Résultat : plus de 200 usines ont été fermées. Les ouvriers ont également obtenu une revalorisation salariale de 77%, de 28 à 50 euros mensuels. Loin des 250 euros considérés par les associations comme un minimum vital. Un coup de pouce qu’il convient donc de «relativiser», assure Vanessa Gauthier, de Peuples solidaires, «vu l’augmentation du prix de la vie quotidienne dans le pays ces dernières années».

Au-delà, certains directeurs d’usines attacheraient plus d’importance à la sécurité. Leurs ateliers ne sont plus fermés à clé (c’était le cas pour le Rana Plaza), favorisant les mesures d’évacuation en cas d’incident. Cet emprisonnement des ouvriers demeure pourtant une pratique répandue dans les pays en développement. «Les conditions de travail évoluent mais n’ont pas radicalement changé au Bangladesh, souligne Nayla Ajaltouni, du collectif Ethique sur l’étiquette. Il a malheureusement fallu attendre ce drame considérable pour qu’un changement commence à s’amorcer.» Mais instaurer des règles dans un secteur habitué à fonctionner sans aucun contrôle n’est pas aisé.

Un aveu

Pour les victimes du Rana Plaza, un fonds de compensation et d’indemnisation a été créé à l’international. Les organisations de soutien aux familles attendent que les entreprises donneuses d’ordres prennent leurs responsabilités. «Quelque 40 millions de dollars d’indemnisation [environ 29 millions d’euros, 35 millions de CHF] ont été négociés avec les multinationales sur la base de conventions de l’OIT, explique le collectif «Ethique sur l’étiquette». Or, à ce jour, seuls 15 millions de dollars ont été débloqués.» Pour une grande partie des entreprises mises en cause, participer aux indemnisations serait considéré comme un aveu de leur responsabilité, même indirecte, dans la catastrophe.

En France, c’est notamment le cas d’Auchan qui, bien qu’un pantalon portant la marque du groupe ait été retrouvé dans les décombres, réfute en bloc tout lien avec l’accident. «La responsabilité de la catastrophe est celle de ceux qui ont obligé les salariés à travailler dans un immeuble ne respectant pas les normes d’urbanisme locales et présentant des risques visibles d’effondrement», s’est défendue l’enseigne le 3 avril. D’autres groupes, comme Carrefour et l’italien Benetton, bien que signataires de l’accord sur la sécurité, ne participent pas non plus au fonds d’indemnisation.

Plusieurs parlementaires français ont tenté en début d’année, avec la loi Canfin [du nom du Ministee délégué au Développement, EELV, du gouvernement Ayrauld de mai 2012 à fin mars 2014] de soulever la question de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises sous-traitant à l’étranger. Elle laissait entrevoir une amélioration et un meilleur contrôle des conditions de travail des ouvriers dans ces usines.

Bien qu’approuvé en première lecture à l’Assemblée en février 2014, le texte s’est heurté à la contestation du patronat. Finalement, la loi n’apporte aucun renforcement de la responsabilité juridique des multinationales. L’association CCFD-Terre Solidaire regrette qu’elle ne «souligne qu’un devoir des entreprises d’identifier et de prévenir toute atteinte aux droits de l’homme».

Shahidul Islam Shahid, syndicaliste bangladais, se veut encore plus catégorique : «Les grandes marques occidentales sont celles qui ont le plus profité de la sueur et du sang des ouvriers, dit-il à l’ONG Observatoire des multinationales. Elles doivent s’occuper des victimes, au même titre que les propriétaires bangladais des usines.» (Publié dans le quotidien Libération en date du 24 avril 2014, p. 18)

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[1] Exportations du prêt-à-porter depuis le Bangladesh
(données portant sur 2012):

Total: 13,8 milliards d’euros
Répartition
UE: 59,6%
Etats-Unis: 23,7%
Canada: 4,6%
Japon 2,1%
Turquie: 1,9%
Autres:  8,1%

Source: Reuters

Exportations textile-habillement pays asiatiques
(en milliards de dollars, 2012)

Chine: 159,9 ( 18’000 usines)
Bangladesh: 19,9 ( 5000 usines)
Vietnam: 14,1 (2000 usines)
Inde: 13,8 (11’000 usines)
Indonésie: 7,5 (2450 usines)
Cambodge: 4,3 (plus ou moins 250 usines)
Pakistan: 4,2 (7500 usines)
Birmanie: 1 (plus ou moins 200 usines)

Source: McKinsey, Les Echos, 24.4.2004

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Et les marques helvétiques? Quelle approche solidaire?
Selon la porte-parole de la Déclaration de Berne (DB), Géraldine Viret – la DB considère qu’un «contrôle indépendant» de 1600 usines jusqu’en septembre 2014, sur les 5000 dénombrées par MCKINSEY (voir statistique présentée ci-dessus) représente une avancée quasi «historique» (RTSInfo, 24 avril 2014) – trois marques suisses ont signé un accord «sur la sécurité des bâtiments». Il s’agit de Switcher, Charles Vögele et Vistaprint. Tally Weijl s’était engagée. Elle a reculé. Mais, cette marque semble vouloir signer cet accord en fin mai 2014. Le Bangladesh est si lointain et les «anniversaires» s’oublient! Selon la DB, Zebra, Chicorée ainsi que la Migros et la Coop n’ont pas apposé leur signature. En septembre 2014, des «recommandations seront faites» sur la sécurité des bâtiments, après les «inspections»! La DB met l’accent sur la «responsabilité du consommateur» et non pas sur les mobilisations syndicales et populaires des femmes travailleuses afin d’améliorer leurs conditions de travail et de salaire. Or, la solidarité devrait s’effectuer en priorité avec ces actions revendicatives, dignes et conscientes. Elles sont, aujourd’hui, décidées plus clairement par ces femmes travailleuses elles-mêmes. Elles le font sur le terrain concret de l’affrontement  pour une  justice sociale durable» face à ceux qui contrôlent (directement et indirectement) ces firmes semi-esclavagistes.
Le gouvernement du Bangladesh «a accepté», en novembre 2013, de faire passer le salaire minimum dans le textile de 38 dollars par mois, à 67 dollars! «Un premier pas», selon le plus que «raisonnable» industriAALgobal union – syndicat international des salarié·e·s du textile-habillement – dont le siège se situe à Genève. Où ce salaire minimum sera-t-il appliqué effectivement (heures de travail et intensité du travail non-accrues)? Et pour quelle fraction de travailleuses? On y reviendra. (Rédaction A l’Encontre)

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