Etats-Unis-dossier. L’assassinat de George Floyd. La police tire contre les manifestant·e·s

Par Jake Johnson

Des officiers de police de Minneapolis, habillés en tenue antiémeute, ont tiré des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes sur des foules de manifestant·e·s qui se sont rassemblées mardi dernier, le 26 mai, pour demander justice pour le meurtre de George Floyd, après que des images vidéo ont montré un flic agenouillé [le lundi 25 mai] sur la nuque de l’homme qui criait: «Je ne peux pas respirer!» [Les trois autres policiers présents regardaient ce meurtre de manière impassible.]

Les vidéos et les photos postées sur les médias sociaux, ce mardi soir, montrent des personnes versant du lait dans les yeux des manifestants touchés par les gaz lacrymogènes alors que la substance chimique trouble l’air, enveloppant les milliers de manifestants qui défilent dans les rues, près du lieu où s’est produit l’assassinat de George Floyd.

«C’est un spectacle dégoûtant», a déclaré Jeremiah Ellison, membre du conseil municipal représentant le quartier 5 de Minneapolis. «Je suis ici dans le quartier sud, j’aide les gens comme je peux avec du lait, de l’eau et des serviettes. Jusqu’à présent, je n’ai pas réussi à empêcher la police de tirer sans discernement sur la foule. Il y a quelques instants, j’ai tenu une serviette sur la tête d’une adolescente alors que le sang coulait.»

La députée Ilhan Omar (démocrate du Minnesota) a tweeté que «tirer des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes sur des manifestants non armés quand il y a des enfants présents ne devrait jamais être toléré. Jamais». «Ce qui se passe ce soir dans notre ville est honteux», a ajouté Omar. «La police doit faire preuve de retenue, et notre communauté a besoin d’espace pour guérir.»

Les protestations massives ont éclaté à la suite de la diffusion d’une vidéo montrant un policier de Minneapolis agenouillé sur la nuque de Floyd alors qu’il était menotté et le visage tourné contre l’asphalte.

Le meurtre de George Floyd

George Floyd et des personnes présentes ont à plusieurs reprises supplié l’officier de retirer son genou de la nuque de Floyd, mais il a refusé de le faire jusqu’à l’arrivée d’une ambulance [durant 9 minutes]. Floyd était alors inconscient depuis plusieurs minutes. Dans une déclaration faisant suite à l’incident de lundi soir, le département de police de Minneapolis a déclaré qu’il était en train de répondre à «un rapport de contrefaçon en cours» et a affirmé que la mort de Floyd avait été causée par un «incident médical» non spécifié.

Peu après l’apparition de la vidéo de «l’incident« et sa diffusion rapide sur les réseaux sociaux, le maire de Minneapolis, Jacob Frey, a annoncé le licenciement des quatre officiers qui se trouvaient sur les lieux. «C’est la bonne décision pour notre ville, la bonne décision pour notre communauté. C’est la bonne décision pour le département de police de Minneapolis», a déclaré M. Frey lors d’une conférence de presse mardi . «Nous avons énoncé nos valeurs, et en fin de compte, nous devons vivre selon elles.»

Lors d’une apparition sur CNN mardi 26 mai, les membres de la famille de Floyd ont déclaré que le licenciement des officiers n’était pas suffisant. «Les licencier est un bon début, mais nous voulons que justice soit faite pour notre famille. Nous voulons qu’ils soient inculpés. Nous voulons qu’ils soient arrêtés», a déclaré Tera Brown, la cousine de Floyd. «Ce qu’ils ont fait, c’est un meurtre.» [Suite à l’ampleur des mobilisations dans de nombreuses villes des Etats-Unis, le policier responsable du meurtre, Derek Chauvin, a été accusé, le vendredi 29 mai, de crime.]

Alors que les manifestations ont débuté mardi, les membres démocrates du Congrès représentant le Minnesota ont envoyé une lettre au procureur américain Erica MacDonald et au procureur du comté de Hennepin, Mike Freeman, demandant une enquête approfondie sur le meurtre de Floyd et la responsabilité des officiers impliqués.

«La mort de M. Floyd semble être un autre cas horrible d’usage excessif de la force qui a conduit à la mort d’Afro-Américains dans tout le pays», ont écrit la représentante Ilhan Omar, la représentante Betty McCollum, la sénatrice Tina Smith et la sénatrice Amy Klobuchar. «En plus des lois d’Etat [du Minnesota] évidentes qui régiront cette affaire, la loi fédérale considère comme un crime le fait pour un officier de police d’Etat ou local de violer délibérément les droits constitutionnels d’une personne, ce qui inclut l’utilisation d’une force excessive.» (Article publié sur le site Truthout, le 27 mai 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

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Trump qualifie les manifestants de «voyous»

Par Chris Walker

En réponse au soulèvement de Minneapolis contre l’arrestation brutale et le meurtre d’un homme noir nommé George Floyd par un policier blanc en début de semaine, le président Donald Trump a laissé entendre qu’il était prêt à utiliser la violence d’Etat contre les manifestants, en tweetant, «quand les pillages commencent, les tirs commencent». [Jeudi soir, le 28 mai, Donald Trump a tweeté : «When the looting starts, the shooting starts»: «Quand les pillages démarrent, les tirs commencent». Cette formule a été empruntée à Walter Headley, chef de la police raciste qui sévissait à Miami en 1967. Ce dernier avait organisé une répression massive, en ordonnant de tirer contre les habitants des quartiers afro-américains. Dès juin 1967, dans un grand nombre de villes, des soulèvements se sont déroulés contre le système de discriminations racistes.] «Ce tweet a violé les règles de Twitter concernant la glorification de la violence», a écrit la société. «Cependant, Twitter a déterminé qu’il pourrait être dans l’intérêt du public que le tweet reste accessible.»

«Je ne peux pas rester en arrière et regarder cela arriver dans une grande ville américaine, Minneapolis», a commencé Trump dans ses tweets vendredi matin (le 29 mai). Il a accusé le maire de Minneapolis d’être responsable des manifestations en cours. «Un manque total de leadership. Soit le très faible maire de la gauche radicale, Jacob Frey, se ressaisit et met la ville sous contrôle, soit j’envoie la Garde nationale et je fais bien le travail», a écrit Trump.

Trump a qualifié les manifestant·e·s contre les brutalités policières de «THUGS» – de voyous – qui «déshonorent la mémoire de George Floyd» et a exprimé la volonté d’utiliser la force pour écraser le soulèvement.

Plus tôt cette semaine, Trump a signé un décret qui cherche à réglementer Twitter et d’autres plateformes de médias sociaux, un geste qui est venu en réponse à une vérification séparée des faits sur une autre série de tweets de Trump concernant le vote par correspondance.

Les tweets de M. Trump, publiés vendredi matin, ont été dénoncés comme étant racistes et susceptibles d’inciter à la violence parmi ses plus ardents partisans. Le mot «voyou» lui-même est largement reconnu comme étant raciste, certains universitaires soulignant que le mot est devenu synonyme d’utilisation du «mot en N» à l’égard des Noirs.

Le journaliste et activiste Charles Preston a pris note de l’utilisation du mot «voyou» par Trump et de sa récente signification historique. «C’est le deuxième président de suite à qualifier de «voyous» le soulèvement des Noirs; mais cette fois-ci, ce président signale explicitement la mort pour ceux qui résistent», a écrit Preston. «Sachez que ce n’est pas seulement un appel à la Garde nationale, mais aux suprémacistes blancs qui se trouvent dans sa base.»

L’auteur et candidat au Congrès Qasim Rashid s’est également prononcé contre les tweets du président ce matin, notant une différence marquée entre sa réponse aux manifestants armés antisociaux qui ont pris d’assaut la capitale de l’Etat du Michigan, qui étaient pour la plupart blancs, et sa réponse aux manifestants qui protestaient contre le meurtre d’un homme noir par les forces de l’ordre. Plutôt que de traiter ces manifestants du Michigan de «voyous», Trump les a qualifiés de «très bonnes personnes» qui méritaient un accord, a noté Rashid. (Article publié sur le site Truthout, le 29 mai 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Chris Walker est le rédacteur en chef de Truthout. Il est basé à Madison, Wisconsin.

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Oubliez le «pillage». Le capitalisme est le vrai vol

Par William C. Anderson

Ce matin, le président des Etats-Unis a menacé de meurtre sanctionné par l’Etat en réponse au «pillage», mettant à nu la façon dont la suprématie blanche, le capitalisme et l’Etat travaillent ensemble pour réprimer violemment les personnes qui défendent la vie des Noirs.

Mais la déclaration raciste et répressive de Trump n’est pas la seule réponse ouvertement raciste que nous devrions mettre en question. Nous devons également nous confronter à la manière dont les conservateurs et les libéraux ont répondu aux soulèvements de Minneapolis en condamnant le «pillage».

Les manifestants à Minneapolis et dans tout le pays s’élèvent contre un lynchage et la violence d’Etat. Comment réagir face à un lynchage? Notre objectif devrait-il être simplement de le faire connaître, dans l’espoir qu’une telle publicité suscite la condamnation et empêche de futurs lynchages? Cette logique est imparfaite, en partie parce que les lynchages se nourrissent de la curiosité des spectateurs. Pour les tenants de la suprématie blanche, l’acte de tuer est aussi un acte d’affinité et une occasion d’endoctrinement.

Le simple fait de diffuser des images de meurtres racistes et de demander à l’Etat de cesser de nous tuer ne va pas les arrêter. (En fait, s’il est important de faire connaître le fait que ces meurtres ont lieu, parfois la diffusion de telles images galvanise également les tenants de la suprématie blanche).

Pour certains qui s’opposent aux meurtres racistes, regarder les vidéos, attendre de voter, et marcher en signe de protestation semble suffisant. Mais pour d’autres, une action plus importante est nécessaire. Le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis fait suite aux meurtres d’Ahmaud Arbery à Brunswick, en Géorgie, et de Breonna Taylor à Louisville, dans le Kentucky. Ces meurtres ont été commis par des membres actuels et anciens des forces de l’ordre. On peut dès lors comprendre que l’indignation grandisse.

Nous devons nous attendre à des soulèvements. Nous devrions nous attendre à des dommages matériels, alors que les gens se soulèvent contre les systèmes racistes complices de la violence raciste. Beaucoup de personnes participant à ces révoltes ont décidé que le respect des biens n’est pas plus important que le respect de la vie des Noirs. On est conscient que si la loi ne respecte pas la vie des Noirs, on ne peut pas compter sur la loi elle-même pour les protéger ou leur accorder un respect immérité. Ainsi, alors que les manifestants sont accusés de «pillage» et d’«émeutes» à Minneapolis ou ailleurs, cette fois-ci, nous devons réfléchir au vol systématique de l’Amérique noire.

Les firmes américaines ont, une fois de plus, quitté le pays avec des sommes d’argent sans précédent et astronomiques en 2020. Sans aucune responsabilité en vue, il y avait peu ou pas d’opposition à leur vol monumental. On leur a alloué des milliards. Les politiciens au service de l’élite des efirmes – et craignant de paraître opposés à un accord qui profiterait largement à Wall Street – ont fait passer ces décisions. Bien sûr, l’accord a laissé de nombreuses personnes vulnérables dans la poussière. Aucun changement n’a été apporté après la crise de la dette non résolue de 2008 qui a brutalisé les gens dans le monde entier, avec la famine que nous connaissons sous le nom d’austérité. Les coupes dans les budgets sociaux ont atteint une grande partie de la population, sans qu’elles soient freinées, alors que les riches ne cessent de s’enrichir.

Aujourd’hui, les protestations qui éclatent dans tout le pays en réponse à la brutalité policière préfigurent ce qui va suivre. Les gens sont susceptibles de s’emparer de biens, de casser et de se battre parce que leurs conditions restent misérables. Cela ne devrait pas être surprenant. Néanmoins, le «pillage» par les opprimé·e·s sera toujours plus condamné que le vol structurel qui depuis longtemps a lieu sous le capitalisme.

Il y a cette idée que les auteurs des crises, plutôt que leurs victimes, méritent notre sympathie lorsque leurs profits diminuent. Après qu’au moins 100’000 personnes aux Etats-Unis – de façon disproportionnée des Noirs, des Amérindiens et des Latinos – sont mortes d’une pandémie sans pitié, cette absurdité fait toujours l’objet d’un battage biaisé dans les médias. Les firmes qui ne paient pas un salaire décent aux gens et qui profitent de la flambée des prix en pleine catastrophe ne méritent pas la pitié. Pour ceux d’entre nous dont la stabilité est beaucoup plus incertaine, le manque d’un chèque salarial pourrait signifier l’expulsion, l’emprisonnement ou la faim. Ces circonstances sont de plus en plus fréquentes, le chômage atteignant des niveaux jamais vus depuis la Grande Dépression. Au moins 40 millions de personnes dans ce pays sont sans travail, et les personnes dans le besoin sont effectivement volées par les riches.

En perdant leur emploi, les gens se font également voler les soins de santé – une vulnérabilité qui va tuer les personnes et les membres de leur famille. Les gens sont également privés d’un endroit sûr où ils peuvent vivre à l’abri de la violence de l’Etat et respirer de l’air pur. Les personnes ont vu l’argent des impôts qu’ils payaient être donné, à maintes reprises, après qu’on leur a dit qu’il reviendrait aux travailleurs/travailleuses, mais cela ne se produit jamais. Pour l’Amérique noire, il y a plus qu’assez de lits de prison, mais pas assez de lits d’hôpital pour une population qui est écrasée de façon disproportionnée par l’oppression institutionnelle. Donc, bien sûr, avec peu ou pas de véritables infrastructures pour protéger les personnes que le gouvernement a longtemps négligées et abandonnées, il y aura des soulèvements et les gens prendront les choses en main. Ils les prendront à cause de ce qui leur a été enlevé: la sécurité, le logement, l’éducation, la nourriture et même leur possibilité de voter. Et, bien sûr, les manifestant·e·s sont privés du droit d’exprimer leur colère.

Cette discussion sur le «pillage» se répète toujours. Au cours de pratiquement tous les soulèvements noirs qui ont eu lieu et qui ont façonné ce pays au cours du siècle dernier, le récit est resté le même. Les attaques des tenants de la suprématie blanche contre la communauté noire ont été qualifiées d’«émeutes raciales», et l’autodéfense des manifestants noirs a été présentée comme une violence insensée. Les gens déplorent la destruction des biens parce qu’ils ont souscrit à l’idée qu’il s’agit là d’un autre crime que celui propre à la violence de la suprématie blanche qui a causé tout cela. Mais voler parce que vous êtes absorbés par un système qui vous a rendus jetables n’est pas la même chose que les meurtres racistes rituels de Noirs par des suprémacistes blancs. Des décennies de «pillage» de magasins pendant les soulèvements ne peuvent pas être à la mesure de ce que Wall Street a pillé à travers les crises financières qu’elle crée.

Ils sont certainement conscients de leurs crimes. Les capitalistes des fonds spéculatifs qui amassent des sommes sans fin par le biais de caisses noires et de manipulations financières ont de nombreux moyens d’échapper à leurs responsabilités. Alors que l’armée américaine se prépare à des «troubles civils» et achète du matériel antiémeute, il est clair qu’elle sait que tous les gens n’accepteront pas l’atrocité. Dans un pays qui n’a jamais dépassé le stade de la guerre civile et qui s’est battu pour que la classe riche ne renonce pas aux profits de l’esclavage, défendre les riches est une tradition. Les mêmes personnes qui ont créé la crise actuelle et en tirent actuellement profit gèrent intentionnellement mal de nombreux autres aspects de notre existence.

Ceux qui s’intéressent à la libération ne devraient pas condamner les dits «émeutes» et «pillages» des manifestants. Nous devrions plutôt faire tout notre possible pour libérer les manifestants emprisonnés au Minnesota et partout ailleurs où des soulèvements ont lieu. Le vol dont nous devrions nous préoccuper est celui perpétré par un système qui crée le désespoir, où les personnes dans le besoin doivent aller s’approprier ce qui devrait être un droit garanti. Le capitalisme encourage le vol de haut en bas. En écrivant sur la révolution haïtienne, le grand écrivain C.L.R. James a dit un jour: «Les riches ne sont vaincus que lorsqu’ils courent pour sauver leur vie.» Cela a certainement été le cas à maintes reprises tout au long de l’histoire des Noirs: les gens ont franchi des obstacles insurmontables pour remporter des victoires. Comment répondre à la question: «Que faisons-nous en réponse à un lynchage?» Nous devons faire que le système qui le permet court pour sauver sa vie. (Article publié sur le site Truthout, le 29 mai 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

William C. Anderson est un écrivain indépendant. Son travail a été publié par le Guardian, Truthout, MTV et Pitchfork, entre autres. Il est co-auteur de As Black as Resistance (AK Press)

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«L’Amérique blanche aime ses flics tueurs»

Par Elie Mystal

Christian Cooper, ornithologue à Central Park

George Floyd a été assassiné par la police de Minneapolis, en plein jour, en ce week-end du Memorial Day [1]. Nous savons qu’il a été assassiné parce que la vidéo montre Floyd menotté et coincé sous le genou d’un officier de police qui lui écrasait la gorge contre le sol du trottoir [durant 9 minutes, sous le regard impassible de trois autres policiers]. On pouvait entendre George Floyd dire à l’officier qu’il ne pouvait pas respirer. On pouvait l’entendre dire à l’officier: «Ne me tuez pas.» Des badauds ont été entendus suppliant le policier d’arrêter de tuer l’homme.

La police n’a pas mis fin à l’assassinat. Jamais la police ne cessera volontairement de tuer des Noirs et des «Bruns» [de «couleur foncée» selon la norme classificatoire états-unienne]. Les tueries continueront jusqu’à ce que la majorité des Blanches et des Blancs de ce pays feront en sorte que les tueries prennent fin.

L’appel téléphonique à plus de 400 ans de racisme

La police sait bien qu’elle travaille pour les Blancs. Les Blancs le savent aussi. Au fond, les Blancs savent exactement qui la police est censée «protéger et servir», et ils savent fichtrement bien que ce ne sont pas les Noirs et les Bruns. Nous avons également pu voir au cours de ce week-end une autre vidéo illustrant cette évidence. Amy Cooper se promenait avec son chien dans Central Park. Son chien était sans laisse, en violation avec le règlement du parc et des décrets municipaux. Un ornithologue amateur, Christian Cooper, qui se trouve être noir, lui a courtoisement demandé d’obéir au règlement. Au lieu de mettre tout simplement son chien en laisse, Amy Cooper a décidé d’invoquer la «race» de Christian Cooper pour le mettre en danger. Elle l’a d’abord menacé d’appeler les flics, puis a mis sa menace à exécution, affirmant qu’un «Afro-Américain» la «menaçait» dans le parc.

Pour réagir à ce qu’elle vivait ce matin, Amy Cooper a imaginé avoir recours au racisme institutionnalisé en sachant parfaitement que faire. En sachant exactement qui appeler. C’est Amy Cooper qui enfreignait les règles. Et c’était elle qui appelait les flics. Il ne lui serait évidemment même pas venu à l’esprit d’appeler les flics à l’endroit même où elle avait commis son délit si elle ne savait pas comment et qui les flics harcèlent, emprisonnent et, oui, assassinent des gens qui ressemblent à Christian Cooper. Ou à George Floyd. Ou à Eric Garner [tué à New York, le 17 juillet 2014]. Ou à Terence Crutcher [tué le 16 septembre 2016]. Ou à Alton Sterling [abattu le 5 juillet 2016]. Ou à Emantic Fitzgerald Bradford Jr. [abattu le 22 novembre 2018]. Ou à Amadou Diallo [tué le 4 février 1999].

En menaçant d’appeler les flics, Amy Cooper, elle, menaçait un homme noir de lui prendre la vie. Cette menace ne fonctionne que parce que les flics sont toujours prêts à assassiner des hommes noirs et bruns. Avec son téléphone, Amy Cooper a pu faire appel à plus de 400 ans d’oppression raciale et de violence, plus facilement que je ne peux commander une pizza.

S’attaquer à la violence raciste institutionnelle?

Il n’est pas inévitable qu’il en soit ainsi. Le pouvoir blanc en Amérique est absolument en mesure de maîtriser sa police. Les Blancs pourraient élire des maires et des procureurs qui s’engagent à réformer la police. Les juges et les jurys blancs pourraient considérer la police responsable de ses crimes. Les républicains blancs pourraient contester et éventuellement briser le pouvoir des syndicats de police aussi facilement qu’ils brisent les syndicats d’enseignants ou tout autre syndicat qui s’oppose à la rapacité capitaliste. Si aujourd’hui une majorité de Blancs décidaient de mettre un terme au racisme policier raciste, nous assisterions immédiatement à des changements dans les forces de police.

Mais les Bancs n’arrêtent pas leurs flics. Une majorité d’entre eux attendent des flics qu’ils se comportent ainsi. Ils veulent la méchanceté. Ils veulent l’horreur. Pourquoi? Ce n’est pas seulement parce qu’une majorité de l’Amérique blanche pense probablement que dans sa situation Amy Cooper a fait la bonne chose; c’est qu’ils pensent pouvoir un jour se trouver dans une situation qui justifierait le comportement d’Amy. Il pourrait leur arriver d’être seuls dans un parc à proximité d’un homme noir, étrange, et que leur arriverait-il? Certes, Christian Cooper semble être une «gentille» personne noire, et si tel n’était pas le cas? Et s’il était un Noir «méchant» ou «agressif» et que vous étiez seul dans le parc, promenant de manière illégale votre chien? Alors, mieux vaut garder des flics brutaux, dangereux, racistes, parce que, mon dieu, on ne sait jamais.

Les Blancs pensent qu’un jour ils pourraient être Amy Cooper, et dans ce cas, ils veulent avoir quelqu’un à appeler. Ils savent qu’ils ne seront jamais Christian Cooper. Faire d’une société sûre pour que Christian Cooper puisse observer des oiseaux alors qu’il est noir n’est tout simplement pas une chose importante pour la majorité de l’Amérique blanche.

Oh, un groupe de Blancs sera très attristé par le comportement d’Amy Cooper. Avec plaisir ils la dénonceront en ligne. Mais quant à exiger le désarmement de la police pour priver les Amy Cooper de ce genre de privilège et de pouvoir sur les Christian Cooper, la plupart d’entre eux s’abstiendront.

De la même manière, des Blancs manifesteront leur indignation concernant des meurtres spécifiques, comme ceux de George Floyd ou de Breonna Taylor [technicienne médicale, tuée le 13 mars 2020]. Ils rejoindront les appels exigeant que des racistes comme Amy Cooper ou Gregory et Travis McMichael [qui tuèrent, début mai 2020, Ahmaud Arbery, qui faisait son jogging] rendent des comptes. Mais lorsqu’il s’agit de s’en prendre aux pourvoyeurs institutionnels du racisme, plutôt qu’à des individus malveillants, alors l’indignation et le soutien de la communauté blanche ne sont pas au rendez-vous. Cette déconnexion s’impose aujourd’hui où la police utilise le coronavirus pour menacer et harceler les personnes noires et brunes.

«Une majorité de l’Amérique blanche» veut vivre comme Amy Cooper

Le Center for Constitutional Rights, le NAACP Legal Defence Fund et la Legal Aid Society ont déposé une motion demandant aux tribunaux d’enquêter sur l’application par la police de New York de la distanciation sociale pendant la pandémie. La requête légale suggère que le NYPD (Département de police de New York) viole les ordonnances judiciaires imposées à la ville en raison de son programme non constitutionnel d’arrêt et de fouille. Les avocats demandent un moratoire immédiat sur l’exécution par le NYPD des ordonnances de distanciation sociale.

Depuis mars, 81% des constats de violation des distances sociales émis par le NYPD ciblent des Noirs ou des Latinos. Et ces statistiques ne font que confirmer ce que nos yeux nous disent déjà. Nous avons tous vu les photos de Blancs rassemblés dans les parcs alors que les policiers distribuaient poliment des masques et non des PV, tout comme nous avons tous vu des vidéos, filmées dans un quartier périphérique, montrant des Noirs et des Bruns battus et malmenés par les flics, accusés d’avoir prétendument violé les protocoles de distanciation sociale.

N’importe qui aurait pu le prévoir. Et de fait, j’ai écrit ce qui se produira lorsque le NYPD aurait été chargé de contrôler la distanciation sociale. Je n’ai pas de boule de cristal. Je ne suis pas un sorcier. Je sais juste qu’on ne peut pas faire confiance aux flics avec le pouvoir qu’ils ont déjà – et qu’on ne devrait plus leur en donner. Donner au NYPD la responsabilité de faire respecter la distance sociale était une décision dont l’exécution serait si évidemment biaisée par des comportements racistes qu’on ne peut que se demander si la recherche de ce résultat était intentionnelle.

La plupart des Noirs savent ce qui se passe lorsque les policiers ont le pouvoir, mais nous ne pouvons pas faire en sorte que 51% des Blancs interviennent de quelque manière que ce soit. Nous ne pouvons pas amener le maire de New York, Bill de Blasio, qui a centré sa première campagne pour être élu maire à s’opposer à la politique de «stop-and-frisk», d’arrêt et de fouille, à exprimer son opposition aux actions racistes de ses forces de police.

Nous ne pouvons pas amener les Blancs réunis en grandes foules pour profiter d’une journée de printemps à se rassembler en masse devant l’hôtel de ville.

Pourquoi le feraient-ils? Les Blancs ne sont ni ignorants ni aveugles. Ils voient le parti pris racial dans le maintien de l’ordre et ils savent qu’il leur profite. Ils savent qu’ils ne seront pas battus pour ne pas avoir porté de masque. Ils savent qu’ils ne vont pas être étranglés à mort dans la rue en plein jour. Ils savent que des policiers racistes autour d’eux leur donnent un pouvoir incroyable, et ce pouvoir les amène à se sentir bien même s’ils ne l’utilisent jamais. J’ai vécu des situations où j’ai entendu des Blancs se féliciter de ne pas avoir appelé les flics contre un Noir, comme si renoncer à recourir au terrorisme contre un Noir prouvait une attitude généreuse.

Nous autres Noirs avons essayé, encore et encore, de mettre fin à l’horreur de la brutalité policière contre nous. Nous marchons, nous protestons, nous éduquons, nous votons. Nous enseignons à nos enfants un ensemble spécial de règles. Nous produisons de l’art, de la littérature et de la musique documentant notre douleur. Nous lançons des organisations et des mouvements. Et pourtant, nous ne pouvons pas réaliser de changement structurel dans les services de police, car une majorité de l’Amérique blanche nous oppose sa volonté. Les Blancs au sein de nos propres collectivités, nos prétendus «amis et voisins», votent et agissent de telle sorte qu’ils renforcent la police et ignorent la brutalité qu’ils exercent à notre endroit.

Les Blancs pourraient mettre leurs chiens policiers en laisse. Mais ils ne le feront pas. Et d’autres personnes noires et brunes seront mutilées et tuées jusqu’à ce que les Blancs décident enfin d’y remédier. D’autres Noirs mourront comme George Floyd, car la plupart des Blancs veulent vivre comme Amy Cooper. (Article publié dans The Nation en date du 26 mai 2020; traduction rédaction A l’Encontre)

Elie Mystal est le chroniqueur judiciaire de The Nation.

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[1] Le Memorial Day est un jour de congé officiel aux Etats-Unis, célébré chaque année le dernier lundi du mois de mai. Il rend hommage aux membres des Forces armées des Etats-Unis morts au combat, toutes guerres confondues. (Réd.)

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