Par Milton Sanchez
Au cours des dernières semaines, le mouvement social à Cajamarca [ville des hauts plateaux du nord du Pérou, le département porte le même nom] a été victime d’une série d’attaques diffamatoires par l’assesseur – Miguel Santillana – de la mine Yanacocha [la plus importante mine à ciel ouvert d’Amérique du Sud]. Ces attaques calomnieuses ont été menées à travers le Groupe El Comercio, outil de désinformation de Yanacocha qui détient désormais le monopole des médias au Pérou. Cela montre encore une fois que ce groupe monopolistique utilise ses médias pour promouvoir les intérêts économiques de leurs entreprises de construction qui ont des contrats avec différentes sociétés minières au Pérou. [Voir ici la déclaration, en espagnol, des Péruviens de Suède contre la campagne de terreur pour imposer le projet Conga ; voir la campagne de dénonciation diffamatoire des ONG et groupes européens qui soutiennent les opposants au projet Conga. Yanacocha dans sa quête pour imposer le projet Conga a établi un partenariat étroit avec le gouvernement et ils veulent présenter les manifestations légitimes des peuples de Celendín [une des 13 provinces de la région de Cajamarca] et Bamabamarca [district de la province] comme des actes criminels ou terroristes et c’est le Groupe El Comercio qui est leur outil pour atteindre leurs objectifs.
Le 16 janvier 2014, les communautés de Celendín, Bambamarca et Cajamarca sont retournées aux lacs menacés [par les projets miniers], cet événement a été une réponse retentissante au gouvernement d’Ollanta Humala, à ses ministres et à Vladimiro Huaroc [politicien péruvien qui fut président du Parti Décentralisateur Force Sociale] qui sont apparus sur la scène publique en annonçant que les conditions étaient favorables pour reprendre le projet minier Conga. Huaroc a même déclaré que 32 communautés demandent sa mise en œuvre. Dans la seule province de Celendín, ceux qui sont allés au lac El Pérol, comme un signal de rejet de Yanacocha et du projet Conga, représentent 48 communautés qui seront touchées par ce projet, un nombre similaire de manifestants de la province de Hualgayoc est allé à la Laguna Mamacocha.
Ceci a été démontré une fois de plus que Conga n’a pas l’approbation sociale. Alors, qui exigent la mise en œuvre de Conga? C’est un petit nombre de personnes qui ont vendu des terres à Yanacocha. La compagnie a promis qu’ils seraient les nouveaux entrepreneurs de Conga. Ces personnes ont formé environ 180 entreprises, certaines d’entre elles et les familles ont des entreprises au nom de chaque enfant.
Ils se sont endettés en achetant des camions, des fourgonnettes et des bennes pour travailler à la mine et sont restés sans pouvoir les utiliser quand le projet d’exploitation minière a été suspendu. Ce sont ces personnes qui sont utilisées par Yanacocha qui les emmène à Lima pour rencontrer des ministres et avoir un accès direct à des programmes de radio et aux médias du Groupe et El Comercio et de la télévision nationale du Pérou. Cependant, il s’agit d’un nombre limité de personnes habitant les zones autour de Conga qui savent que si le projet d’exploitation minière se réalise, ils ne pourront pas vivre sur place, mais ils disent qu’ils ont assez d’argent pour aller vivre ailleurs.
Il y a quelques semaines Anonymous a accédé aux fichiers du ministère de l’Intérieur dans lesquels on trouve des rapports d’enquête qui sont faits sur les dirigeants qui, avec les gens, s’opposent à ce projet minier irrationnel Conga.
Dans les documents divulgués apparaît également un fichier qui montre que le gouvernement d’Ollanta Humala planifie une stratégie de militarisation de toutes les zones adjacentes au projet minier Conga, y compris la construction de plates-formes d’atterrissage pour hélicoptères afin d’imposer par la force le projet d’exploitation minière. Voir ici un de ces documents intitulé «Campement permanent Km. 73».
Toutefois, militariser la zone pour imposer le projet Conga serait un scandale. Pour ce faire, ils ont tendu un piège aux compagnons de Bambamarca, en les accusant d’avoir brûlé un équipement de téléphone mobile le 16 janvier et un poste de sécurité de la mine. Cela est bien peu crédible, les postes de sécurité sont fortement gardés par d’importants contingents de DINOES [Division des opérations spéciales de la police]. Ils ont également signalé qu’on aurait vu des hommes armés, mais ils n’ont pas dit que les personnes contrôlées étaient des agents de sécurité du maire de Hualgayoc qui, comme les agents de sécurité du président Ollanta Humala ou de Roque Benavides [dirigeant de la compagnie minière Buenaventura SA], portent des armes.
C’était la parfaite justification et c’est ainsi que l’a diffusée le groupe El Comercio. Il faut y ajouter les rapports diffamatoires des correspondants à Cajamarca pour le quotidien La Républica. Ces journalistes ont pris comme source d’information l’entreprise Yanacocha elle-même et la police nationale du Pérou qui était sur place et sous contrat avec la société minière pour «assurer leur sécurité»..
Comme c’était prévisible les titres étaient comme eux-mêmes nous appellent «radicaux»: «Les antimineros sèment la terreur à Conga» ; «Emeutes à Conga». Les journalistes et les membres du Congrès qui défendent les investissements de Yanacocha tout excités exigent , presque en hurlant: «le gouvernement doit faire preuve de fermeté à Cajamarca»,«il faut rétablir l’état de droit». Des slogans mis à la mode deux semaines avant les 16 janvier, pour les ministres, les responsables de Yanacocha, de la CONFIEP [organisation patronale] et les journalistes salariés.
Y compris l’ancien Premier ministre Oscar Valdés, responsable de la répression à Bambamarca et Celendín, a déclaré : «L’État péruvien doit montrer plus de fermeté et de sérieux pour mettre fin à ce type de manifestations.» «Ces anti-mineros sont en train de nuire au pays, ils ont retardé les investissements. Nous avons besoin que ces investissements se fassent.». «Il est essentiel que le ministre de l’Intérieur, le titulaire de la présidence du Conseil des ministres, et, y compris, le Président du pays se rendent dans la région et démasquent ces gens qui lèsent des milliers de Péruviens.» «On a besoin d’une attitude courageuse du gouvernement», a-t-il déclamé.
Du côté du gouvernement, le ministre de l’Energie et des Mines, Jorge Merino, se retrouve mis sous pression par les sociétés minières et la CONFIEP qui a parfois réclamé son remplacement. Il s’est prononcé précisément sur le ton que Yanacocha, selon son plan, avait souhaité: «Face aux faits récents de violence dans les locaux de l’entreprise Yanacocha à Cajamarca, les investissements dans le pays bénéficieront d’une protection de l’Etat», a déclaré le ministre Merino. «Nous soutenons l’investissement privé, notre rôle est de fournir un cadre juridique pour les investissements réalisés dans le pays, non seulement à Cajamarca, mais dans tout le pays» a-t-il affirmé. C’est exactement ce que voulait Yanacocha.
Deux jours avant les manifestations autour des lacs, Vladimiro Huaroc s’est laissé aller en révélant les intentions et la justification construites par Yanacocha. Dans un quotidien, il a déclaré: «Si l’Etat de droit à Cajamarca n’est pas rétabli, cela peut devenir incontrôlable». Probablement savait-il que le 16 janvier allait de produire des «excès» sous l’impulsion des «rouges ultra-radicaux qui s’opposent progrès de notre pays.»
Les déclarations les plus scandaleuses viennent de la Présidente du Conseil supérieur de la magistrature du district Cajamarca, Esperanza León Deza. Le 2 février 2014, elle a fait passer l’information dans les journaux Pérou 21 et El Comercio selon laquelle le Ministère public allait mettre en œuvre une série de mesures préventives afin d’éviter les «excès» dans le cadre de manifestations contre le projet minier Conga. Il s’agit, de fait, d’une sentence contre des manifestants, les faits qui nous sont reprochés pour le 16 février font toujours l’objet d’une enquête, et le procureur a prononcé un jugement avant la conclusion de l’enquête.
Dans la même note de Pérou 21 on annonce que le projet Conga reprendrait aujourd’hui 3 février. Dès lors, les communautés de Huasmín et de Sorochuco sont retournées aujourd’hui encore pour inspecter, vérifier et surveiller nos lacs. Elles s’affrontent à un danger latent, car la base militaire de San Nicolás de Chaillhuagón, dont la construction avait été annoncée, est déjà en service. Elle dispose de bases d’atterrissage pour hélicoptères. Cette nouvelle forme d’imposition des projets qui n’ont pas de légitimation sociale. Ce risque est encore accentué avec la promulgation par l’Etat de la loi 30151 qui accorde l’immunité au terrorisme qui vient de l’Etat et qui permet de réprimer ou tuer des manifestants. Manifestants, pour le Groupe El Commercio, signifie: «les radicaux ultra-rouges qui s’opposent aux progrès du pays».
Alors que les ministres du gouvernement et Vladimiro Huaroc à travers du monopole médiatique El Comercio ont annoncé que Yanacocha a changé son attitude et regagné la confiance de Cajamarca, cette entreprise, à nouveau, a été dénoncée par une autre famille voisine du projet Conga pour dépossession arbitraire ou, plus exactement, pour vol de leur propriété foncière.
Ajoutez à cela la nouvelle plainte déposée par la famille Chaupe pour menaces de mort et l’invasion par la police de leur terre en leur demandant de se retirer des propriétés supposées de Yanacocha. Comme nous le savons la famille Chaupe a refusé de vendre leurs terres à l’exploitation minière, ses terrains sont situées face à la laguna azul (bleue) et constitue un obstacle majeur pour le projet Conga, car ce lac est cœur même du projet et doit devenir la décharge de déchets toxiques. De même, un travailleur de la société minière Yanacocha a déclaré avoir été victime d’une contamination par le mercure dans le sang et la firme n’assume pas la responsabilité de son cas.
Un autre événement important s’est produit au cours de ces semaines, Il s’agit du classement par le Procureur Victor Padilla Pinillos, du premier tribunal provincial pénal de Chiclayo, des meurtres qu’avait causé la répression des manifestants qui ont manifesté leur rejet du projet Conga. Ces morts ont été causées par des tirs conjoints de la police et des forces militaires, les 3 et 4 juillet 2012 à Celendín et Bambamarca.
Il est même reconnu que les tirs pouvaient provenir des hélicoptères survolant la ville de Celendín. Le procureur Pinillos mentionne que la justification pour le classement de l’affaire est impossibilité de déterminer qui a tiré. Mais nous pensons que quelqu’un a dû donner l’ordre d’utilisation non seulement des armes de dissuasion (gaz lacrymogènes, chevrotines, balles en caoutchouc), mais aussi des armes mortelles telles que des fusils Galil, AKMS, etc. Les balles de ces armes ont, finalement, tué cinq citoyens péruviens et pas «les jets de pierre entre eux» comme le ministère de l’Intérieur l’a annoncé dans un communiqué sur son site internet, avant de le retirer.
Conclusions:
1. Le projet Conga ne jouit pas d’une approbation sociale, alors ils veulent l’imposer par la force, à l’aide des forces spéciales de la police, quitte à modifier les lois pour assurer leur impunité en cas d’assassinats de manifestants.
2. Yanacocha est totalement rejeté par la population et n’a jamais retrouvé confiance des habitants de Cajamarca.
3. Les monopoles médiatiques sont une menace pour la population car ils mettent en avant leurs intérêts économiques avant de rapporter la vérité.
4. Vladimiro Huaroc n’accomplit pas sa fonction, le bureau de «Dialogue» dont il est responsable au sein de la PCM ne résout pas les conflits, au contraire il les aggrave donc, cet homme devrait démissionner.
5. Le danger est imminent pour la population de Cajamarca, car la revendication de leurs droits et le fait de faire entendre leurs voix pourraient leur provoquer la mort, la police jouissant d’une totale impunité grâce à la loi qui donne le droit de tuer.
6. Un danger imminent pour la famille Chaupe menacée de mort et subissant un harcèlement constant de la police nationale du Pérou qui au service non du peuple, mais de la société minière Yanacocha.
7. Nous avons besoin d’une intervention d’urgence des organisations des droits de l’homme nationales et internationales pour garantir les droits du peuple de Cajamarca, car au Pérou, le gouvernement et certains de ses institutions sont fortement biaisées et un franc soutien à l’exploitation minière.
D’autres conclusions pourraient être tirées de cette analyse, mais à ce moment elles ne me viennent pas à l’esprit. (Traduction par Gérald Lebrun; article original publié sur Célendin Libre, le 3 février 2014)
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Milton Sanchez est le secrétaire général de la Plateforme Interinstitutionnelle de Célendin (PIC), région de Cajamaraca, Pérou. Voir à propos de la lutte de Conga l’article publié sur ce site en date du 6 juin 2013: Nouvelle offensive du gouvernement et de la multinationale minière de Conga
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