Chili: de la mobilisation étudiante à la mobilisation sociale

Camila Vallejo

Par Patricio Paris

Après trois mois de manifestations régulières, le samedi 3 septembre 2011 au matin, le président Piñera, élu il y a 18 mois par la droite héritière de Pinochet, s’est décidé à recevoir à La Moneda (palais du gouvernement), pendant quatre heures, les représentants des étudiants, des professeurs, des présidents des universités traditionnelles (existant avant 1973) et d’une partie des écoliers du secondaire de la Coordinacion Nacional de Estudiantes Secundarios (CONES).

Dans une manœuvre classique, Piñera n’a pas convoqué les représentants de l’Assemblée Coordinatrice des Etudiants du Secondaires qui regroupe les écoliers du secondaire les plus radicaux. Ceux-ci ont manifesté aux alentours de la Moneda pendant les quatre heures de la réunion en scandant le slogan: « Et va tomber, et va tomber, l’éducation de Pinochet ». Ce qui rappelle celui de leurs parents, au cours des années 1983-1990 lors des manifestations pour faire « tomber la dictature de Pinochet».

Piñera a déjà été contraint, sous a pression du mouvement, de remanier le gouvernement le 18 juillet 2011, en écartant le ministre de l’Education Joaquin Lavin (membre de l’Opus Dei). Il fait maintenant face à l’essor massif du mouvement auquel se sont joints les travailleurs, les 24 et 25 août derniers, lors de la grève générale appelée par la Centrale Unique des Travailleurs (CUT) et 82 autres organisations syndicales. Piñera s’est décidé à recevoir lui-même les représentants des étudiant·e·s pour débattre directement de leurs revendications. Il a surpris ses ministres qui étaient partisans d’avoir cette discussion au plan parlementaire, de façon à le protéger d’une implication directe dans le conflit. Mais Piñera a voulu faire tomber la critique des étudiant·e·s qui soulignent que jusqu’à maintenant il ne négociait pas et que sa seule réponse était la répression.

Les étudiants, forts de leur expérience de 2006 – lors de la «révolution des pingouins», pendant le gouvernement de Michelle Bachelet qui s’appuyait sur la coalition dite de La Concertation (dominée par le PS et la Démocratie chrétienne), qui fut le premier mouvement contre la loi de municipalisation de l’éducation –, ont appris à se méfier des discussions dilatoires avec les forces politiques institutionnelles n’aboutissant à rien de fond. Ils ont donc refusé mi-août de négocier avec le parlement, voie encouragée alors par le gouvernement.

Le résultat de la  réunion du samedi 3 septembre, selon Giorgio Jackson (président de la Fédération des Etudiants de l’Université Catholique), a été le suivant: «en réalité [la réunion] a été un moment assez insipide» où se sont répétées les mêmes positions la précédent; «on a peu avancé, aussi bien dans les contenus programmatiques que dans une éventuelle méthode pour une table de négociation qui puisse satisfaire les garanties demandées par le mouvement des étudiants». La presse, elle, insistait sur le «succès» de cette rencontre.

Le gouvernement devait présenter un planning des négociations lundi 5, mais le deuil national, suite à l’accident aérien du 2 septembre dans l’archipel Juan Fernandez a modifié le calendrier. Camila Vallejo, porte-parole de la Confédération des Etudiants du Chili (CONFECH) et leader national du mouvement, a déclaré à la sortie de la réunion qu’ils vont continuer à négocier avec le gouvernement sans pour autant arrêter les mobilisations. Ceci a été leur approche systématique depuis le début. Les dirigeants vont consulter leurs membres sur les positions exprimées par le gouvernement et ils donneront leur réponse au cours de la semaine. Camila Vallejo a indiqué que ce sont ses camarades étudiants qui vont décider si un scénario type table ronde de négociation avec le gouvernement est favorable ou pas. Elle a considéré que les positions du gouvernement, lors de cette réunion, se sont exprimées de façon plus transparente, mais que ce sera la base qui prendra la décision définitive sur la suite à donner [Camila Vallejo, dans un entretien radiophonique, a souligné l’inconsistance du président qui se réunit avec les étudiants au moment où le nouveau ministre de l’Education, Felipe Bulnes, a indiqué que les conditions pour un dialogue n’existaient plus – elmostrador, 12 septembre 2011.]

Pour le président des professeurs, Jaime Gajardo, les points qui fâchent n’ont pas encore été abordés: empêcher de faire du profit avec l’éducation; mettre fin à la «desmunicipalization» des lycées, c’est-à-dire le retour des lycées et des universités sous la responsabilité de l’Etat; mettre fin au système de financement partagé (avec la participation des familles). Les étudiants du secondaire, par la voix de Rodrigo Rivera, ont indiqué que le planning qui sera proposé par le gouvernement sera soumis à débat dans les instances locales et à approbation au niveau national. Pour les étudiants, tout accord avec le gouvernement, prenant la forme d’un projet de loi présenté au parlement, doit être le résultat de leur participation active à son élaboration. Autrement dit, ils s’octroient un droit de veto sur le projet de loi.

Ces trois mois de mobilisations ont mis en crise le gouvernement chilien. Sans cesse, il a essayé de criminaliser le mouvement. Lors des manifestations, il a infiltré des policiers provocateurs dans des groupes de jeunes marginalisés, très minoritaires, plus prêts à l’affrontement avec la police; cela dans le but de justifier le déclenchement d’une répression brutale contre l’ensemble des manifestants. Un de ses objectifs: interdire que les manifestations passent par l’Alameda, avenue centrale et symbolique de Santiago, au prétexte de défendre les locaux commerciaux.

Le mouvement a emprunté les caractéristiques des mobilisations des Indignados: créatifs, irrévérencieux, non-violents, très courageux face à la répression, avec une organisation horizontale sous contrôle de la base, et farouchement méfiants et peu enclins à faire des concessions aux partis de la gauche institutionnelle, y compris au Parti communiste, bien que Camila Vallejo soit militante des Jeunesses communistes. Les options répressives du gouvernement ont chaque fois renforcé la mobilisation et l’ont élargie en y intégrant de larges couches sociales dominées et paupérisées.

Le mouvement avait commencé par revendiquer le transport gratuit des lycéens et des étudiants 365 jours par année. Il a aujourd’hui réussi à mobiliser l’ensemble des dominés sur l’objectif d’une Assemblée nationale constituante, avec comme axes le changement du Code du travail et la renationalisation du cuivre pour financer une éducation publique, gratuite, laïque et de qualité.

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