Le jugement de Dilma Rousseff: un théâtre d’ombres

Michel Temer...
Michel Temer…

Par Luis Leiria

Ce procès et ce jugement de destitution (impeachment) de Dilma Rousseff ont donné lieu à un étrange théâtre d’ombres. Avec des sénateurs transformés en juges pour une décision aussi importante. Tous les principaux acteurs de cette farce ont joué un rôle bien composé et appris, mais qui ne correspondait pas à leurs véritables intentions.

Tout d’abord, la droite a donc obtenu la destitution de Dilma Rousseff et l’accession au poste de président de son vice-président, Michel Temer [76 ans, membre du Parti du mouvement démocratique brésilien-PMDB], accomplissant de la sorte une révolution de palais aux conséquences néfastes pour le peuple et pour le pays. Ses dirigeants proclament leur défense de la démocratie au moment où ils foulent aux pieds ses principes les plus élémentaires. Ils inventent un crime en responsabilité qu’elle n’a jamais commis [en invoquant un «maquillage des comptes du budget», avant les élections d’octobre 2014 pour le deuxième mandat de Dilma Rousseff, une pratique généralisée à l’échelle des Etats du Brésil fédéral]. Ils parlent de démocratie quand, en vérité, ils se préparent pour gouverner le pays en lançant une contre-révolution législative, en profitant de mettre en place un gouvernement indépendamment des électeurs, avec un programme qui ne fut jamais soumis à un vote populaire. Et des instigateurs de ce coup ne prétendent même pas se présenter aux élections en 2018.

Ensuite, le Parti des travailleurs (PT), qui a vociféré contre le coup depuis plusieurs mois, a déjà laissé tomber Dilma, trahissant son propre mot d’ordre: «Il n’y aura pas de coup!» Il a eu lieu, oui. Car Dilma Rousseff au cours de la dernière année a perdu l’appui que lui avait apporté sa victoire électorale, en appliquant un programme se situant à l’opposé de celui sur lequel elle avait été élue. Et parce que le PT n’a pas voulu mobiliser le peuple contre Temer. Lula préféra, une fois de plus, les balcons des tribunes, arrivant dans cette séance du Sénat avec la sensation mélancolique de l’inévitable éloignement définitif de la présidente et de l’arrivée de Temer au poste présidentiel.

Le PT demandait des «élections maintenant», en aboutissant en même temps à réduire l’autorité de Dilma et de sa lettre ouverte – diffusée la semaine passée – dans laquelle elle s’engageait, si son impeachment n’était pas décidé, à organiser un plébiscite pour savoir si le peuple brésilien voulait des élections anticipées. L’exécutif du PT n’a ressenti aucune gêne pour voter contre cette proposition.

En vérité, au même titre que la droite, le PT préfère aussi que Temer reste au gouvernement, misant sur son usure pour revenir au pouvoir, avec Lula, à l’occasion des élections de 2018. De la sorte, il montre qu’il n’a pas tiré les leçons de sa politique passée. Rappelons-nous que Temer n’a pu former un nouveau gouvernement que parce qu’il avait été choisi comme vice-président de Dilma Rousseff lors des élections d’octobre 2014. Le serpent disposait d’un œuf fécondé par le gouvernement du PT.

En outre, le PT qui proteste contre le coup passe des alliances électorales avec les partis «golpistes» [les instigateurs du coup], dans le cadre des élections municipales d’octobre 2016, dans pas moins de 1600 municipalités. Le même PT, qui se présente comme une barricade contre les «golpistes», a soutenu pour la présidence de la Chambre des députés Rodrigo Maia [Maia a été élu à ce poste en juillet 2016, après la démission d’Eduardo Cunha pour corruption avouée; sa trajectoire de droite est connue: il a changé le nom du Parti du Front Libéral (PFL) en Les Démocrates-DEM]. Il a voté en faveur de l’impeachment et du DEM, c’est-à-dire l’héritier direct du parti des dictateurs militaires qui ont fait le coup de 1964 [le PFL est un parmi les courants issus de l’ARENA, l’Alliance pour un renouveau national].

Finalement, Dilma elle-même, qui accuse à juste titre ceux qui veulent l’écarter de vouloir mettre en pratique un programme qui n’a jamais été adopté par les électeurs, semble oublier qu’aussitôt les élections passées, elle s’est dédiée pleinement à appliquer des mesures de coupes budgétaires (le fameux ajustement budgétaire) qui n’avaient pas été proposées au cours de la campagne électorale. En réalité, ces mesures étaient mentionnées dans le programme de son adversaire battu, Aécio Neves [candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne-PSDB].

Dilma assure qu’elle ne fut pas complice des improbités et de ce «qu’il y a de pire dans la politique brésilienne».

Mais Paulo Maluf ne fait-il pas partie de «ce qu’il y a de pire au Brésil», en tant que dernier candidat à la présidence de la dictature [dans le cadre de l’ARENA, en 1972, avant d’être gouverneur de l’Etat de Sao Paulo en 1978], ou encore Fernando Collor, le président qui fut destitué en 1992 [redevenu sénateur de l’Etat de l’Alagoas dès 2006 et qui a voté la destitution de Dilma]? Et ils devinrent ses alliés.

N’est-ce pas le «pire de la politique», les partis «physiologiques» [formule, au Brésil, désignant les partis qui se structurent pour tirer le maximum de ressources financières de leurs fonctions institutionnelles], les évangélistes de l’Eglise Universelle? Tous ont aussi été ses alliés. Et surtout le PMDB, ancien associé qui reçut comme cadeau la vice-présidence? N’est-ce pas être partie prenante de «la pire politique» de constater qu’un bataillon de dirigeants du PT sont condamnés pour corruption, pour le «mensalao» [versement de primes mensuelles à des partis alliés pour obtenir des majorités parlementaires»] et pour le «petrolao» [l’énorme système de corruption lié à l’entreprise étatique Petrobras]?

En approuvant l’impeachment, le gouvernement Temer, qui tient à garder la bourgeoisie unie pour le défendre (déjà la Fohla de Sao Paulo ne continue plus de parler d’élections anticipées), va faire le sale travail que ni le PT ni le PSDB n’auraient aimé mettre en œuvre. Il va enlever des droits aux salarié·e·s et précariser encore plus les rapports de travail; il va approuver un amendement constitutionnel qui limite l’augmentation des dépenses au niveau du taux d’inflation de l’année antérieure [durant 20 ans], avec des répercussions énormes sur la santé et l’éducation, secteurs qui ne disposeront plus d’une tranche budgétaire fixe; il va augmenter l’âge donnant droit à la retraite (on parle de passer à 65 ans maintenant et à 70 ans dans un délai de 20 ans); il va promouvoir les privatisations, à commencer par le «joyau de la couronne», Petrobras [1].

Reste à savoir si les travailleurs et travailleuses du Brésil vont réussir à ce que ces contre-réformes ne se concrétisent pas, et cela grâce à leur mobilisation [2]. Et, aussi, à l’occasion des élections municipales du mois d’octobre, une alternative à gauche va-t-elle surgir, qui tire des leçons de l’histoire? (Article paru dans Correio da Cidadania le 31 août 2016; traduction A l’Encontre)

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[1] L’ensemble de ces contre-réformes sont énumérées aussi dans le Financial Times daté du 1er septembre 2016. Citant des «analystes» brésiliens, Joe Leahy souligne que, d’une part, il faudra sortir de la récession – au deuxième trimestre 2016 le PIB a encore reculé, il s’agit du sixième recul trimestriel selon l’IBGE – et, d’autre part, Temer ne devra pas faire obstacle à l’enquête portant sur l’affaire de corruption liée à Petrobras, même si cela touche ses alliés au Congrès et qu’il n’est pas exonéré de diverses charges. (Rédaction A l’Encontre)

[2] Le jeudi 1er septembre, Dilma Rousseff par l’intermédiaire de son avocat, José Eduardo Cardozo, son ex-ministre de la Justice, a fait appel auprès du Tribunal Suprême fédéral pour demander un nouveau procès et l’annulation de la sentence la condamnant «pour crime de responsabilité». (Rédaction A l’Encontre)

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