Brésil. Le système politique et la même litanie

Lula et Gleisi Hoffmann, présidente du PT

Par Vera Rodrigues

Tout le débat qui nous est servi depuis quelque temps autour de Lula, de ses procès, des «injustices» et des «persécutions» dont il serait l’objet, reflète la misère politique que vit notre pays. Sur les chaînes de télévision comme dans la presse, toutes les conséquences de sa condamnation [la dernière qui date du 24 janvier par le tribunal siégeant à Porto Alegre] sont réduites au jeu électoral. De son côté, le Parti des Travailleurs ne se sent responsable de rien. Il est «victime» d’un système pénal qui est resté inchangé, quand il n’est pas devenu pire, pendant les treize années de ses propres gouvernements.

Le fait que le scandale du Lava Jato ait permis de faire condamner plusieurs membres appartenant autant au gang des entrepreneurs qu’à celui des ex-gouverneurs, de récupérer plusieurs milliards et de mettre en lumière le modus operandi d’un système complètement pourri est complètement ignoré par ce qui est devenu une campagne électorale éternelle.

Les partis compromis dans des pratiques de corruption ne sont évidemment intéressés par aucun autre type de débat, et les ressources publiques sont ainsi destinées à sauver la peau de qui se trouve déjà au pouvoir. Seulement Temer et ses petits copains ne sont pas tombés du ciel… Leur trajectoire les a fait occuper tous les espaces significatifs à l’intérieur du gouvernement grâce aux fausses alliances avec ceux [le PT] qui, depuis l’affaire du mensalão [versements illégaux effectués pour obtenir des majorités parlementaires, pratique installée sous le mandat de Lula], prétendaient être blindés (et qui y sont parvenus pendant quelque temps) contre les affaires judiciaires.

La chance d’éviter à Lula une peine de prison a été anéantie par le jugement du Tribunal supérieur électoral (TSE) qui, en 2014, avait accusé de fraude électorale la liste Dilma Rousseff-Michel Temer, procédure qui a eu l’appui de celui qui aujourd’hui se présente comme une victime. La tonne de preuves apportées par Herman Benjamin (le juge qui a mis au jour, en 2014, la gigantesque fraude électorale à l’occasion de la présentation de la liste Dilma Rousseff-Michel Temer) n’a même pas servi à ouvrir un débat politique sur cette gauche en faillite, où la démocratie est appelée élection frauduleuse et où l’impeachment de Dilma en août 2016 (qui a ouvert des boulevards à plus de victimisation encore) est appelé coup d’Etat.

Ils ne disent rien sur le fait qu’ils ont été les «champions nationaux» du recours aux fonds de la BNDES [Banque nationale du développement économique et social], rien sur les entreprises hydro-électriques et leurs pots-de-vin, rien sur les déplacements forcés de populations précarisées dans le cadre de méga-événements sportifs, rien sur la répression, rien sur la Petrobras (un unique entrepreneur achetant presque deux mille parlementaires…) et rien sur les «mesures provisoires» [qui sont prises par la présidence et ont force de loi] qui ont été accordées [entre autres au fils de Lula pour diverses activités]. Ils disent que rien ne s’est passé, que tout cela n’est que pure invention de la part de ceux qui ne supportent pas de voir un pauvre [Lula] prendre l’avion.

En 2013, Valter Pomar [du Correio da Cidadania] nous avait pourtant prévenus: «La vérité c’est que soit le PT se recycle, prend un virage à gauche et approfondit les changements dans le pays, soit toute la gauche sera aspirée vers le fond.» Le choix a été fait, et ça a donné ce que ça a donné.

Lula a gagné son second mandat avec 80% d’approbation. Dans un pays où 5% de personnes disposent d’un revenu égal à celui dont dispose 50% de la population, cela signifie que ce soutien à hauteur de 80% recouvre la majorité des classes sociales. En 2015 et 2016, lors de manifestations appelées par des mouvements d’une droite opportuniste et caricaturale, beaucoup de manifestants ne savaient d’ailleurs même pas qui avait appelé aux manifestations. Ils étaient là pour défendre la gratuité de la santé, de l’éducation et des transports et avaient dans le passé été des électeurs du PT, selon des enquêtes de Pablo Ortellado [professeur de l’Université de São Paulo], publiées dans des journaux tels que El País Brasil.

Aucune tentative de dialogue avec ce public n’a été esquissée: on les a taxé de chienchiens et point final. Cette opération d’auto-isolement a d’ailleurs été un tel succès que pour maintenir la stratégie de la polarisation, il a fallu commencer à «turbiner» la candidature de celui qui n’était pas éligible, Lula, celui qui maintenant que les miroirs ont été cassés ne respire plus que grâce aux appareils.

Cela parce qu’il n’était pas possible de répéter la combine de 2014, lorsqu’ils avaient fait du PSDB, pourtant leur parti siamois, le «représentant du mal». Le PT n’avait alors même pas signé la validation de la demande de la Rede [mouvement écologiste et citoyen animé par Marina Silva, ministre de Lula au début de son premier mandat] et du PSOL [Parti Socialisme et Liberté] adressée auprès du Conseil d’éthique, pour exiger la mise en examen d’Aécio Neves [candidat du PSDB opposé à Dilma Rousseff en 2014 et condamné pour corruption en 2017]. Ce même PT n’avait pas non plus levé le petit doigt pour exiger une quelconque investigation du PSDB lorsqu’il était au pouvoir. Il est donc aujourd’hui co-responsable du «blindage» de cette équipe [au pouvoir, celle de Temer].

Tout le discours sur le coup d’Etat – qui fut à tel point un “coup” qu’il a connu différentes phases et qu’il est même encore en cours… – n’avait pas empêché, en 2016, l’alliance avec des partis «golpistes» dans près de deux mille municipalités, ou l’appui aux candidats «golpistes» à la présidence de la Chambre et du Sénat.

La campagne se poursuit avec un discours qui n’a aucun lien avec la réalité: ce sont des mots qui appartiennent au discours de l’ordre établi, des mots à la mode, des bravades. Le Parti était d’ailleurs si désireux de prendre un chemin différent qu’il a choisi Gleisi Hoffman [avocate qui a dirigé le cabinet présidentiel de Dilma Rousseff de 2011 à 2014, sénatrice du PT pour l’Etat du Parana] pour le présider [depuis juin 2017]. Après le jugement de Lula en seconde instance [le 24 janvier], c’est donc à une répétition du symptôme que l’on assiste au sein de cette même justice raciste et classiste que le PT a aidé à maintenir.

Mais le fait que tout le débat politique ne se résume qu’aux élections n’est pas de la seule responsabilité du PT. «Regardez donc quel est le scénario électoral du moment», nous dit à l’unisson la grande presse. Je ne pourrais m’intéresser moins à cette mascarade. Si l’on nous sert une plus grande quantité du même plat, apprêté peut-être de façon un peu différente, cela ne fait aucune différence dans un système qui reste pourri.

On nous présente un menu avec plus d’une dizaine de candidats, alors que tout doit rester comme c’est. Il s’agit d’un faux choix. Je maintiens ma position consistant à voter blanc lors de la présidentielle. Personne ne me représente. Je veux toutefois écrire des articles sur les deux partis qui pourraient faire une certaine différence dans le scénario, même s’ils ont opté (de manière différente et avec certaines exceptions, il est vrai) pour la médiocrité: «Rede-sem-rede» et le PTSOL [ici, la déformation des acronymes renvoie au jugement de l’auteure]. (Article publié sur le site Correio da Cidadania en date du 5 février 2018; traduction A l’Encontre)

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