Brésil. La démocratie inquiétée par les généraux

Par Mario Osava

Le président Jair Bolsonaro a dénoncé à plusieurs reprises l’existence présumée de fraudes lors des élections brésiliennes, notamment celles qui lui ont donné la victoire en octobre 2018. La justice a maintenant décidé d’exiger qu’il présente les preuves qu’il prétend avoir contre le vote électronique, qui, selon lui, n’est pas suffisamment contrôlable.

La crainte est que sa tentative de discréditer les élections, dans une énième imitation de l’ancien président américain Donald Trump, ne culmine également par une attaque similaire à l’invasion, le 6 janvier, du Capitole, siège du Congrès américain, par des trumpistes fanatiques.

Mais les processus sont très différents

Au Brésil, la matrice de l’extrême droite est militaire, et non un parti comme le parti républicain américain. Les activistes civils de ce courant brésilien demandent toujours une «intervention militaire» pour imposer leur politique et, si nécessaire, subjuguer les pouvoirs législatif et judiciaire.

Une rupture institutionnelle au Brésil impliquerait des forces armées, car contrairement à Trump, Bolsonaro a le soutien des militaires et d’une grande partie des forces de police.

Pour cette raison, les manifestations autoritaires du président maintiennent la situation politique dans un état d’alerte depuis son investiture, le 1er janvier 2019. A cela s’ajoutent les soubresauts de certains généraux, dans des déclarations qui sont graves car elles suggèrent une position des Forces armées.

Les généraux élèvent la voix

Sans le remplacement du vote électronique, adopté en 1996, par un vote «sur bulletin imprimé et vérifiable», il n’y aura pas d’élections prévues en octobre 2022, a rapporté le général Walter Braga Netto, ministre de la Défense, au président de la Chambre des députés, le pro-Bolsonaro Arthur Lira (député de l’Etat d’Alagoas, élu président de la Chambre des députés en février 2021, Progressistes) selon le journal O Estado de São Paulo, jeudi 22 juillet.

L’ultimatum découle d’une réunion entre le ministre et les commandants des trois branches des forces armées, qui aurait eu lieu le 8 juillet, mais qui n’est révélée que maintenant.

C’est de la «désinformation», une «invention» du quotidien, a réagi Walter Braga Netto. Mais Arthur Lira a émis un démenti ambigu, qui semble confirmer la pression, le lobbying, alors que la Chambre des députés débat actuellement d’un projet de loi visant à rétablir le bulletin de vote sur papier.

En fait, le général Walter Braga Netto n’aurait fait que répéter les déclarations de Bolsonaro qui a répété à plusieurs reprises que les prochaines élections n’auront lieu que si le vote avec bulletin de papier est approuvé, un changement qui dépend du Congrès.

Au Brésil, le système électoral est entièrement électronique depuis 2000, après avoir été partiellement mis en œuvre quatre ans plus tôt. Il est contrôlable à différents stades, mais pas par l’utilisation du papier.

Le modèle, loué et reproduit au niveau international, n’a fait l’objet d’aucune plainte pour fraude éventuelle, soulignent les autorités électorales. Ils font remarquer que l’introduction d’audits ayant trait au vote sur papier serait coûteuse. Elle favoriserait les actions des perdants, freinerait le processus et porterait atteinte au secret du vote, ce qui ramènerait l’achat de votes.

Mais Bolsonaro et ses généraux exigent une forme d’audit des votes sur bulletins imprimés, sans toutefois détailler une quelconque formule et sans preuve de la fragilité du système 100% électronique.

Le gouvernement a envoyé un projet de loi visant à revenir sur le vote sur bulletin papier, mais déjà une majorité de 11 partis a rejeté la proposition. Bolsonaro lui-même a reconnu sa défaite, bien que ses partisans aient bloqué l’initiative pour retarder le plus longtemps possible son «enterrement».

Quoi qu’il en soit, il est clair que, au cours des dernières semaines, les généraux brésiliens ont décidé de devenir plus actifs dans la politique actuelle.

Le pouvoir militaire versus le pouvoir parlementaire

Le ministre de la Défense et les trois chefs des Forces armées se sont montrés très sévères à l’égard du président de la Commission d’enquête parlementaire (CPI) sur la gestion de la pandémie du Covid-19, le sénateur Omar Aziz. Ce dernier a avancé que des officiers d’un «gang pourri» de l’armée étaient impliqués dans la corruption présumée du ministère de la Santé.

Au moins huit officiers de l’armée font l’objet d’une enquête de la CPI pour avoir tenté d’acheter des vaccins anti-coronavirus dans des conditions suspectes.

Les forces armées ne toléreront pas les «menues attaques» contre leurs institutions, note la déclaration publiée le 7 juillet, interprétée par les législateurs comme un veto ou une pression contre l’enquête sur les officiers qui ont assumé des rôles clés au sein du ministère de la Santé sans disposer de l’expertise nécessaire pour faire face à la pandémie.

Deux jours plus tard, le commandant de l’armée de l’air brésilienne, le brigadier Carlos Batista, a tenu à attaquer l’enquête parlementaire, l’attribuant à des jugements «prématurés». Il a défendu les actions des militaires, notamment leur participation massive au gouvernement actuel, dans un entretien accordé au journal O Globo, de Rio de Janeiro.

Le brigadier Carlos Batista a aggravé la situation en déclarant que «le militaire ne menace pas» en prétendant démentir les interprétations selon lesquelles les militaires prépareraient un coup d’État. En d’autres termes, la fracture peut se produire sans prévenir.

Le gouvernement de Jair Bolsonaro, ancien capitaine de l’armée, est militaire parce qu’un tiers de ses ministres ont la même origine «professionnelles», tout comme plus de 6000 fonctionnaires, pour la plupart des officiers retraités occupant des postes de confiance.

Le président s’est présenté aux élections en tant que représentant des forces armées et de la dictature militaire qui s’imposa de 1964 à 1985, ce qui semble contradictoire mais a du sens.

La victoire écrasante de 57,8 millions de voix remportée par Jair Bolsonaro n’est pas due à des exploits personnels ou au charisme. Manifestement, ils étaient absents. Après avoir disqualifié sa carrière militaire pour des actes d’indiscipline, il a été un membre anodin du parlement, ledit «bas clergé» parlementaire, pendant 28 ans, au cours desquels il n’a réussi à faire passer que deux lois.

Mais il a toujours conservé son identité militaire et exprimé une défense obstinée de la dictature. Il a salué comme un héros un tortionnaire notoire de prisonniers politiques. Il a regretté qu’au moins 30 000 militant·e·s de gauche, opposants au régime militaire, n’aient pas été éliminés.

Cette image militaire et ce discours anti-démocratique en ont fait l’alternative souhaitée à la politique pratiquée après la fin de la dictature en 1985; une période marquée par processus de redémocratisation qui a, aussi, accumulé des scandales de corruption.

L’effondrement de la «Nouvelle République», 30 ans après la nouvelle constitution démocratique de 1988, s’est produit avec une économie en ruine, avec la plupart des dirigeants politiques accusés de corruption et le principal leader de la gauche, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, en état d’arrestation.

Cette situation a favorisé le renflouage de la période militaire, au cours de laquelle le Brésil a connu une industrialisation et une urbanisation accélérées, avec une forte croissance économique, à l’exception de ses dernières années.

Les forces armées n’ont jamais cessé d’être l’une des institutions qui inspirent le plus confiance à la population, selon toutes les enquêtes. Le péché dictatorial a peu d’effet sur son image auprès de la majorité de la population; celle qui a bénéficié du progrès économique et n’a pas été frappée directement par la répression politique.

Les dictateurs brésiliens n’ont pas subi d’adversités dévastatrices, telles que la tentative ratée de récupérer les îles Malouines en Argentine dans une guerre; ou le scandale de corruption du général Augusto Pinochet au Chili.

Tout cela a permis à Jair Bolsonaro de s’approprier la réputation des militaires, ainsi que l’imaginaire laissé par le «miracle brésilien», la croissance économique de plus de 10% pendant plusieurs années des années 1970, ainsi que de conquérir certains secteurs qui doivent leur expansion à la période dictatoriale, comme l’agriculture à grande échelle de la monoculture du soja.

En bref, la popularité soudaine de Bolsonaro est due à sa symbiose avec les forces armées et à son histoire récente. Ce noyau d’extrême droite – les «bolsonaristas» inconditionnels – a réussi à s’agréger des courants conservateurs, tels que les religieux, en particulier les évangéliques, des hommes d’affaires et les policiers.

En outre, sa victoire a représenté le sauvetage des militaires, «condamnés» par le récit démocratique et confinés dans les casernes, disqualifiés sur les plans de la politique et de l’administration publique. Cela explique la fidélité des généraux à Bolsonaro, y compris après le désastre de la gestion de la pandémie et d’autres bévues du gouvernement.

Cette symbiose lie les destins de Bolsonaro et des militaires. Les erreurs et les atteintes à la démocratie, inévitables dans un gouvernement qui a pour point de référence la période dictatoriale mais qui agit dans le cadre d’une institutionnalité démocratique, auront des séquelles sur les deux. (Article publié par Inter Press Service, le 23 juillet 2021; traduction par la rédaction de A l’Encontre)

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