Brésil. La crise du PT et la reconfiguration de la gauche

Par Esther Solano Gallego

Le dimanche 29 novembre, s’est déroulé le deuxième tour des élections municipales au Brésil. Bien que les résultats locaux ne puissent pas nécessairement être extrapolés, il s’agissait d’une élection ayant une saveur nationale, qui dessine déjà certains contours de l’élection présidentielle de 2022. Bien qu’en termes globaux la gauche perde du terrain face au centre-droit traditionnel, il y a quelques développements intéressants au sein de l’éventail progressiste.

Numériquement, le Parti des travailleurs (PT) ne se remet pas des élections municipales de 2016, le grand moment d’antipétisme qui a signifié une forte défaite nationale pour le parti fondé en 1980, sous l’influence des luttes ouvrières de l’ABC de São Paulo [la région industrielle]. En 2016, le PT ne comptait plus que 257 mairies, il n’en compte plus que 183. Ses maires ne gouverneront des municipalités ne totalisant que 2,6% des Brésiliens.

Pour la première fois depuis la période de 1985 [fin de la dictature], le PT ne gouverne aucune capitale. En outre, le PT a été défié par une gauche nouvelle, plus juvénile et moins bureaucratisée qui a été capable d’établir une communication plus directe, naturelle et efficace avec la population. Dans le même temps, de nouveaux leaders de gauche émergent sur la scène nationale qui ne sont pas des «pétistes». C’est le cas de Manuela D’Avila du Parti communiste du Brésil (PCdoB) qui a atteint le deuxième tour à Porto Alegre. Malgré sa défaite [face à Sebastião Melo du MDB], elle a obtenu 45,37% des voix, en ayant l’appui des diverses formations de la gauche.

Sans aucun doute, la principale star de ces élections est Guilherme Boulos du Parti du socialisme et de la liberté (PSOL), une formation fondée en 2004, suite à des ruptures avec le PT. Ces dernières années, le PSOL a gagné en visibilité. [Guilherme Boulos s’est affirmé comme animateur du Mouvement des travailleurs sans toit – MTST– présent depuis la fin des années 1990]. Le candidat du PSOL a réalisé une performance emblématique lors de ce second tour à São Paulo, en affrontant la puissante machine traditionnelle de droite de São Paulo, le Parti brésilien de la social-démocratie (PSDB). Bien qu’il ait perdu au deuxième tour, Boulos a obtenu 40,62% des voix [soit 2’168’109 suffrages]. Cela fait de lui un point de référence national pour la gauche. Pour la première fois depuis des années, la principale figure du leadership progressiste n’appartient pas au camp du PT. Sa campagne a suscité des émotions et a mobilisé massivement. Elle a provoqué un enthousiasme que l’on n’avait plus vu depuis longtemps dans la gauche brésilienne. Guilherme Boulos a reçu le soutien massif de jeunes qui ne se voient pas si bien représentés dans un «pétisme» dont la direction s’éloigne d’une base qui, elle, réclame à grands cris une refonte. Comme illustration de ce manque de syntonie avec une base populaire, on peut citer le candidat du PT, Jilmar Tatto, à la mairie de São Paulo. Il représente cette bureaucratie du parti [il a cumulé depuis fort longtemps de nombreuses responsabilités dans l’exécutif de São Paulo, dans l’appareil du PT et comme élu fédéral] qui ne suscite aucun emballement parmi la base populaire. Il n’a obtenu que 8,6% des voix, le pire résultat du PT dans la plus grande circonscription électorale du Brésil.

Toutefois, au sein du PT, certains changements semblent se dessiner. Il en va ainsi avec Marília Arraes, candidate à la mairie de Recife, dans le nord-est du Brésil, qui se distingue d’une direction du PT qui n’enchante plus. Elle symbolise précisément le militantisme de renouveau du PT, qui communique avec les jeunes et s’intéresse à des orientations contemporaines (comme le féminisme, la lutte et la défense du camp LGBTQI et l’écologie). Marília Arraes, 36 ans, a perdu contre son cousin João Campos du PSB (Parti socialiste brésilien) qui a obtenu 56,27% des voix. Les deux descendent du fondateur de la dynastie du Nord-Est, Miguel Arraes. Marília Arraes a obtenu 43,73% des voix, un résultat fort remarquable. Marília Arraes n’a pas été le choix de la bureaucratie pétiste, mais de la base militante du parti. Jeune femme combative et forte, elle a réussi à s’imposer dans l’appareil du parti au Pernambuco. La candidate du Nord-Est a mené une campagne similaire à celle de Boulos, avec un langage plus naturel, plus jeune et une esthétique plus moderne.

Parallèlement au phénomène Arraes, il en existe un autre qui symbolise également cette volonté de renouveau du PT: celui des «candidatures collectives». Il y en a plus de 26 dans tout le pays, principalement composées de femmes noires et de jeunes de la périphérie, qui n’ont pas leur place dans les structures plus pyramidales du PT. Outre cette nouvelle configuration électorale, il y a eu d’autres nouveautés comme le cas du mouvement «Representa», un courant de jeunes de l’intérieur de São Paulo qui a présenté et appuyé 138 jeunes candidats pétistes (sans l’appui de la bureaucratie des partis) dans tout le pays. Sur ces 138 candidats, 25 ont gagné. Le plus important a été donc le processus de remise en question de la direction du PT.

Il est possible d’affirmer que le pétisme a perdu sa position hégémonique dans le champ de la gauche et du progressisme. Ce champ est aujourd’hui plus hétérogène que par le passé. Le Parti socialiste brésilien (PSB) et le Parti travailliste démocratique (PDT) sont les meilleurs contrevenants. Le PSB reste avec 252 villes [-151] et le PDT avec 314 [-17]. En termes de capitales, le PDT a remporté Aracajú [Sergipe] et Fortaleza [Ceará] et le PSB Maceió [Alagoas] et Recife [Pernambouc]. Dans le Nord-Est, la carte politique est donc reconfigurée et le «pétisme» perd de sa force face à ces deux forces. Une autre figure qui se dégonfle est le gouverneur du Maranhão, Flávio Dino du PCdoB. Il est également positionné comme une figure importante pour la constitution des alliances en vue des présidentielles de 2022. Le candidat soutenu par Flávio Dino a perdu la bataille électorale à São Luis (capitale du Maranhão). En outre, la base de Dino s’est divisée. Une bonne partie a soutenu le candidat de l’opposition qui a finalement gagné le procès, Eduardo Braide de Podemos [jusqu’en 2016 il portait le nom de Partido Trabalhista Nacional-PTN].

Les coalitions de gauche et la route vers 2022

Il y a quelques semaines, nous avons appris qu’une réunion privée avait eu lieu à São Paulo entre Luiz Inácio Lula Da Silva et Ciro Gomes du PDT (Parti démocratique travailliste) avant les élections municipales. Lula aurait invité Ciro Gomes à discuter afin de rétablir le dialogue après l’interruption des élections nationales de 2018 [Ciro Gomes s’est présenté lors de la présidentielle et a réuni 12,5% des suffrages; au premier tour Fernando Haddad du PT a rassemblé 29,28% des voix]. Cette rencontre a éveillé toutes sortes de spéculations sur la formation éventuelle de coalitions de gauche en vue de l’échéance de 2022. Mais il est vrai que ces convergences possibles divisent les opinions du fait que les expériences des élections municipales ont été très différentes.

D’une part, la campagne de Guilherme Boulos à São Paulo a réussi à consolider un front de gauche assez large et symbolique en faveur de sa candidature, un front qui a réuni le PT, le PSOL, le PCdoB, le PSB, le PDT. La candidature de Manuela D’Avila (PCB) à Porto Alegre a également reçu un soutien important de la gauche; au même titre que le vainqueur de la course à la mairie de Belém (Parà), Edmilson Rodrigues du PSOL. Cependant, il y a eu également des cas de conflit frontal au sein de la gauche, notamment à Recife, où les candidats du PT et du PSB se sont affrontés dans un débat très dur, ce qui a entraîné la rupture entre les deux partis progressistes au niveau national. Lors du second tour, Ciro Gomes a fait campagne à Recife pour le candidat du PSB, João Campos, qui a reconfiguré la carte politique de cette région en adoptant une approche PSB-PDT et en s’éloignant du PT. Au Ceará, en revanche, la situation est différente. Le candidat du PDT au poste de maire de Fortaleza, José Sarto, a obtenu le soutien du gouverneur de Ceará, Camilo Santana (PT), dans une démarche de rapprochement PT-PDT. Fortaleza est la ville qui incarne le mieux cet esprit d’unité de gauche, puisque José Sarto représentait une large coalition qui réunissait la plupart des partis de ce spectre idéologique. Cependant, le cas de la capitale du Ceará ne semble pas faire des émules à l’échelle nationale, surtout en raison de la difficulté d’une alliance nationale PT-PDT et PSB-PT.

Interrogé sur l’éventuelle unité de la gauche en 2022, le secrétaire général du PT, Paulo Teixeira, a déclaré que 2022 serait l’occasion de tester, à un certain degré, cette unité, mais qu’elle n’incluait pas tous les partis (se référant probablement au PSB et au PDT). Juliano Medeiros, président du PSOL, a déclaré que ces tests municipaux ont été positifs, mais pas suffisants. Cependant, le président du PSB, Eduardo Siqueira, a déclaré quelques jours avant les élections qu’il n’y avait pas d’unité au sein de la gauche puisque «chacun s’occupait de sa propre vie». Il a répété après les résultats que les élections municipales étaient un test pour la division de la gauche, car le PT avait décidé de maintenir son «caractère exclusif».

À l’horizon 2022, il semble évident que chaque parti progressiste aura son propre candidat. Cependant, avec la montée de la droite traditionnelle, ils seront peut-être contraints d’engager le dialogue. La droite classique connue sous le nom de centrão s’est développée et le Parti démocrate [le DEM dispose de 464, une augmentation de 198] se profile comme l’un des grands facteurs d’alliance pour les prochaines élections présidentielles. Ils n’ont pas encore de candidat, mais s’ils obtiennent un candidat compétitif, la bataille ne sera pas facile. Pour l’instant, les noms possibles qui ont occupé les pages des médias sont l’ancien ministre de la Justice et de la sécurité publique, Sérgio Moro, et le très célèbre présentateur de télévision, Luciano Huck. Un autre candidat possible pour 2022, qui sort renforcé de ces municipales, est le gouverneur de l’État de São Paulo, João Doria [PSDB], dont le disciple, Bruno Covas, a remporté le poste de maire de la capitale [par 59,38%, soit 3’169’121 votes valides]. Tout le monde sait que Bruno Covas est le filleul de João Doria, sa victoire place donc ce dernier un pas en avant dans la course à la présidence. (Article publié sur le site de Nueva Sociedad; traduction rédaction A l’Encontre)

Esther Solano Gallego est professeure à l’Université fédérale de São Paulo.

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