Par João Pedro Stédile
et João Márcio
Le capitaine, réformé, Jair Bolsonaro s’est déjà engagé sur le «marché», pour délivrer toutes les décisions ayant trait aux thèmes économiques au grand capital, placé sous l’hégémonie du capital financier et des sociétés étrangères, personnifiés dans Paulo Guedes – ministre de l’Economie – et ses Chicago Boys, parmi lesquels Joaquim Levy – banquier, ministre de l’Economie durant l’année 2015 sous Dilma Rousseff – nommé à la tête de la BNDES (Banque nationale pour le développement économique et social). Selon les déclarations du président, ce sera un gouvernement directement dirigé par des hommes d’affaires engagés dans la réduction du «coût brésilien», c’est-à-dire en faveur de l’augmentation du profit privé. Un gouvernement ayant ce profil non seulement continuera, mais radicalisera le programme de Michel Temer afin de le mettre en œuvre:
1° La réduction brutale des «coûts de rémunération» de la main-d’œuvre (c’est-à-dire la réduction du salaire minimum et la fin de plusieurs droits des travailleurs et travailleuses, cela combiné à la détérioration des conditions de travail, par la généralisation du travail intérimaire, l’externalisation et la suppression de la justice sociale).
2° L’appropriation privée de toutes les ressources naturelles possibles (pétrole, minéraux, terres, eau et biodiversité) en éliminant tout obstacle «bureaucratique» ou juridique. En passant par-dessus les droits des populations traditionnelles et les préoccupations environnementales. Il suffit d’examiner les déclarations sur la révision de la réserve Raposa Serra do Sol: il y a 90 firmes qui ont soumis des demandes pour exploiter les richesses minérales qui s’y trouvent [voir l’article publié sur ce site en date du 18 décembre 2018: http://alencontre.org/ameriques/amelat/bresil/bresil-bolsonaro-veut-exploiter-la-reserve-de-raposa-serra-do-sol.html]. Regardez la richesse du pré-sal [les réserves en gaz et pétrole qui se trouvent en très grandes profondeurs], que le FUP (Fédération unique des travailleurs du pétrole) a estimé à mille milliards de dollars, déjà livrée lors des premières enchères, et qui devrait l’être encore plus par la suite. Pour éliminer toute barrière environnementale, Bolsonaro a choisi Ricardo de Aquino Salles, avocat et membre du parti de droite Novo, sans expérience et totalement aligné sur l’agro-industrie et les grands capitalistes qui l’ont financé. [Après la confirmation de sa nomination, il a déclaré: «Défendre le milieu ambiant et en même temps respecter tous les secteurs productifs c’est la formule qui synthétise mon point de vue», O Estado de S.Paulo, 9 décembre 2018.]
3° Privatisation des 149 entreprises publiques. Seulement une partie de Petrobras y échappera. Bolsonaro et son équipe estiment qu’ils peuvent collecter ainsi quelque 850 milliards de reais [envrion 196 milliards d’euros] pour les caisses publiques, ce qui permettra de masquer le déficit public. Mais cela ne représente que deux ans d’intérêts que le gouvernement verse aux banques pour la dette [banques brésiliennes et transnationales]. Et dans ce processus mis aux enchères s’ajoute la prise de contrôle de Boeing sur Embraer [qui construira une coentreprise avec le secteur d’aviation civile d’Embraer pour riposter à l’accord Bombardier-Airbus]. Le processus final doit encore être approuvé au plan juridique.
4° Privatisation de la sécurité sociale. Le problème n’est pas le déficit ni les privilèges, surtout ceux des juges et des militaires, qui ne seront pas modifiés. Ce que les banques veulent, c’est le droit de mettre en place un régime de retraite privé [par capitalisation], en rêvant de grandes caisses de retraite formant une «épargne nationale» à laquelle les firmes et autres investisseurs pourraient accéder à bas prix. Comme c’est le cas actuellement avec le plan de pension de Banco do Brasil (BB), avec les plans des «caisses de pension» de Caixa Econômica Federal (banque) et de Petrobras. Elles sont devenues des acteurs majeurs sur le marché de l’investissement spéculatif.
5° La mise au rebut du secteur de l’éducation publique et la privatisation de larges secteurs de l’enseignement public, par la réduction systématique des ressources et des investissements alloués aux écoles et aux universités, la mise en œuvre massive de l’enseignement à distance via des entreprises privées, le remplacement des concours publics de techniciens et d’enseignants par l’externalisation, la réduction drastique des bourses, de la recherche et du soutien aux séjours universitaires, l’imposition par le MEC (Ministère de l’éducation) des recteurs contre le choix démocratique du milieu universitaire et la mise en question de la liberté académique dans la formation et la recherche.
6° La privatisation du système de la santé publique (par sous-financement du SUS (Système unique de santé), la faible régulation des firmes privées opérant dans le secteur des soins, la généralisation des partenariats public-privé (PPP) comme modèle de gestion et le remplacement des appels d’offres publics par des contrats temporaires via la sous-traitance.
7° En plus de la privatisation du système financier public: Banco do Brasil, BNB et Caixa, il y aura un processus d’externalisation et de privatisation des services publics en général. Tout ce qui peut générer un profit sera transféré aux sociétés capitalistes afin qu’elles gagnent de l’argent.
8° Favoriser l’industrie de l’armement (nationale et étrangère), en libérant la possession personnelle d’armes et en donnant la priorité dans le budget aux demandes de la police et des forces armées, y compris les accords avec Israël pour la fourniture de matériel.
9° Un modèle encore plus belliqueux de sécurité publique, moins responsable devant la société et moins responsable sur le plan juridique; avec la libéralisation des ventes d’armes, la réduction de l’âge de la majorité criminelle à 16 ans et un processus punitif qui remplira nos prisons, plus qu’elles ne le sont… [Il serait important de mentionner le nombre et la place de militaires de haut rand dans le gouvernement et ses annexes – Réd. A l’Encontre]
10° L’alignement et la subordination du Brésil sur les intérêts économiques états-uniens et son alignement politique sur les orientations des gouvernements de droite tels que ceux d’Italie, d’Israël et de Taïwan, plaçant le Brésil sur un agenda politique de type militariste qui contredit sa tradition diplomatique antérieure et menace la paix dans la région.
Conclusion
Mettre en œuvre un tel agenda (le libre marché pour dominants et la «loi du chien» [tuer quelqu’un lorsqu’il est censé faire une «erreur»] pour les dominés), n’est possible qu’avec l’intimidation, la persécution et la violence.
D’un point de vue personnel, le président est un imbécile, une brute, sans culture, qui n’a jamais été pris au sérieux, pas même dans les forces armées. Il n’est fiable que pour le «marché» (la bourgeoisie, comme on disait autrefois) parce qu’elle externalisera toutes les décisions stratégiques de son éventuel gouvernement. Elle ne lui laissera que les thèmes secondaires pour mettre en relief ses fanfaronnades et abreuver «l’opinion publique» avec quelques fausses nouvelles (infox).
Il s’agit là de l’interprétation des agents économiques concernés qui ont payé la facture de sa campagne. Le problème (pour eux) est que Bolsonaro n’est pas politiquement et intellectuellement préparé pour le comprendre, ce qui crée un horizon d’imprévisibilité et d’incertitude pour les «investisseurs» (les capitalistes). De plus, cette présidence ne dispose pas d’une base sociale organisée et partisane, capable de lui donner un soutien massif (celui propre au Parti social libéral (PSL) s’assimile à un instrument d’occasion, sans cohérence programmatique).
En outre, Bolsonaro porte en lui des traits autoritaires constitutifs de sa figure publique. Il ne peut les abandonner sans se renier lui-même. Et c’est cette profonde et rance caractéristique autoritaire qui suscite une réaction sociale contraire qui a été jusqu’à présent plurielle et internationalement consensuelle.
Bref, le personnage ne convainc que les fanatiques qui le suivent. Les capitalistes l’utilisent maintenant, mais ils en ont déjà fixé le prix, établissant la mise en œuvre de réformes néolibérales (c’est-à-dire le paquet d’agressions contre le peuple et contre le patrimoine national, mis en œuvre avec le style d’une thérapie de choc, sur un ou deux ans, au plus) pour une période donnée. Après cela, le personnage pourra être sacrifié.
Les dominants utiliseront également la lutte «spectaculaire» et sélective contre la corruption, placée sous la direction du ministre Sergio Moro, en renforçant l’opération Lava Jato (lavage express, mani pulite), ainsi que l’usage politique et sélectif des lois, cela combiné à la violation des garanties constitutionnelles, toujours calibrées en fonction des situations. La loi de Borges reviendra, «pour ses amis tout est accordé, et pour ses ennemis, il y a la loi!».
L’incertitude (pour tout le monde) est qu’une fois sortis de la boîte de Pandore, les démons n’y rentrent pas facilement. Et comme le dit la loi de Murphy [Edward A. Murphy, ingénieur aéronautique, début des années 1940]: «Tout ce qui est susceptible de mal tourner, tournera mal.» (Article paru dans Brasil de Fato, le 20 décembre 2018; traduction A l’Encontre; titre de la rédaction de A l’Encontre)
João Pedro Stédile est le leader national du MST et João Márcio est professeur à l’Université fédérale rurale de Rio de Janeiro.
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