Par Esteban Mercante
Jeudi 25 janvier 2018, le Fonds monétaire international (FMI) a présenté une prévision actualisée des perspectives économiques pour l’Amérique latine et les Caraïbes pour l’année 2018. L’Agence prévoit une croissance de 1,9% pour l’Amérique latine en 2018. Pour l’Argentine, la croissance est estimée à 2,8% en 2017, atteindrait 2,5% l’année 2018 et 2,8% en 2019.
Le rapport, signé par Alejandro Werner, directeur de l’Agence pour l’hémisphère occidental, estime que la «modération salariale» serait la clé pour juguler l’inflation en Argentine. Il s’agit là d’un point de vue curieux, si l’on considère que les dernières données disponibles démontrent que l’inflation s’accélère non pas suite à des augmentations salariales, mais suite à une série de hausses fortes de tarifs de services publics et des prix réglementés (comme dans le secteur de l’énergie).
Le document du FMI indique succinctement que l’inflation «continuera de diminuer, en supposant que s’impose une modération salariale». Dans cette phrase, il y a une prémisse erronée, à savoir que le processus inflationniste dans le pays serait dû à des augmentations salariales «non modérées».
Les faits montrent que les salaires accusent un retard par rapport aux prix, et c’est l’augmentation du coût de la vie qui force à exiger des augmentations salariales plus élevées. Toutefois, en raison des pressions exercées par le gouvernement et les employeurs et de la collaboration des bureaucraties syndicales, les augmentations négociées dans les structures paritaires (patrons, syndicats, Etat dans certains cas) ont presque chaque année perdu du terrain en raison de l’inflation.
Seulement en 2017, sur la base des données préliminaires (les chiffres définitifs ne seront connus que dans quelques mois), on peut établir que les salaires auraient augmenté de 3 à 5 points de pourcentage de moins que les prix. L’année précédente, la première année du gouvernement de Maurizio Macri, les salaires ont enregistré une perte de 6,1% en moyenne (sur la base du seul emploi formel dans les secteurs public et privé; dans le secteur dit informel la perte est bien plus élevée).
Cette perte de pouvoir d’achat s’ajoute à celle qui s’est également produite au cours des dernières années du gouvernement de Cristina Fernández Kirchner (mandat présidentiel 2007-2015), en particulier avec la dévaluation de 2014 qui s’est également accompagnée de négociations paritaires fixant la «hausse» des salaires au-dessous du taux d’inflation, en raison des pressions gouvernementales.
Quant aux causes de l’inflation, il faut les chercher ailleurs. La dévaluation de 2016 suite à l’élimination du contrôle sur l’achat de dollars (ainsi que la dévaluation de 2014 appliquée par l’ancien ministre de l’Economie Axel Kicillof) est l’un des principaux éléments qui expliquent le processus inflationniste dans le pays (avec effets sur les prix des produits importés). A cela s’est ajoutée, pendant les deux années du gouvernement Macri, l’élimination des déductions pour les produits d’exportation, qui ont eu un impact sur les prix locaux, et surtout, la mise en place d’augmentation des prix dans les services publics afin de réduire les subventions.
En décembre 2017, la hausse des prix de 3,1% s’explique principalement par les hausses tarifaires. Au cours de ce mois, les loyers, l’eau, l’électricité, le gaz et d’autres sources d’énergie ont connu augmentation brutale de 17,8%. Les prix du transport ont subi une hausse de 3,2%.
Tout au long de l’année 2017, les loyers, l’eau, l’électricité, le gaz et les autres énergies ont augmenté de 55,6%, tandis que le prix des transports a progressé de 20,6%.
Et l’année 2018 commence de manière surchauffée pour ce qui est des prix régulés. A l’augmentation du prix des carburants de 4% à 6,5% entrée en vigueur depuis la semaine dernière (décision à laquelle a obéi l’entreprise publique YPF – Yacimientos Petrolíferos Fiscales), se sont ajoutées celles touchant les transports, l’électricité, le gaz et l’eau. Les prévisions des différentes firmes de consultance estiment un plancher inflationniste fixé à 6% pour les trois premiers mois de l’année 2018, en conséquence de cet ensemble de décisions.
Dans ce contexte, quels peuvent être les résultats de la «modération salariale» conseillée par le FMI? Ceci et rien d’autre: les travailleurs devraient être la variable d’ajustement, absorbant, avec une réduction de leur pouvoir d’achat, l’impact de ces augmentations. Cela n’imposera pas une limite à l’inflation, qui a d’autres raisons, mais produira une réduction significative des «coûts» salariaux pour les employeurs, ce qui contribuera à améliorer leurs marges.
C’est pourquoi, conformément à la proposition du FMI, le gouvernement a proposé un plafond de 15% pour les salaires dans le cadre des négociations. Ce chiffre magique est celui qu’ils ont fixé comme cible d’inflation pour cette année. Par conséquent, selon le récit comptable macriste, si les salaires se limitaient à cette augmentation, ils ne gagneraient pas ou ne perdraient pas par rapport à l’inflation (en oubliant, bien sûr, un petit détail: ce qu’ils ont perdu en 2016 et ce qu’ils auront probablement perdu en 2017, ce qui sera clair lorsque les chiffres définitifs pour cette dernière année seront disponibles).
Mais parmi les analystes, si l’on considère les hausses de tarifs dont le coup d’envoi a marqué le début de l’année (à laquelle s’ajoute la surchauffe du dollar qui promet également de faire monter les prix), les prévisions d’inflation pour l’année se situent autour de 20%.
Dans ce contexte, avec la photo présente, on peut dire que pour récupérer, en janvier 2018, le pouvoir d’achat de décembre 2015 et anticiper l’inflation attendue en 2018, la discussion dans le cadre des négociations paritaires devrait commencer à partir d’une revendication d’une augmentation de 25%. Avec moins que cela, une perte de pouvoir d’achat est assurée.
Le gouvernement Macri a initié sa politique dans le secteur enseignant avec l’objectif d’imposer la «modération salariale». Mais on peut ne pas baisser les bras et empêcher les travailleurs d’être la variable d’ajustement. Le premier combat pour cela se situe dans les syndicats, contre la passivité de la bureaucratie, dans ses différentes composantes, afin d’imposer une lutte déterminée contre l’érosion du pouvoir d’achat et pour faire face aux attaques en cours avec des licenciements dans les secteurs public et privé, et ce qui s’annonce avec la réforme du Code du travail. (Article publié dans La Izquierda Diario, le 25 janvier 2018; traduction A l’Encontre)
Très intéressant et ..déprimant pour les argentins.
Macri est aussi violent dans ses mesures libérales imposées aux forceps aux argentins que Christina était restée coincée dans sa vision keynésienne protectionniste (contrôle des changes, indexation salaires/inflation). Les premières mesures sociales et économiques importantes de l’après crise des Kirchner avaient sorties le pays du marasme (financé par une TVA sur les exportations de matières premières en plein boom entre 2003 et 2009) mais le gouvernement antérieur n’a pas été capable de résoudre les problèmes endémiques du capitalisme argentin : chômage élevé, absence d’industrie, monoculture Soja et blé, manque de compétitivité des entreprises…
Bref, la réponse neolibérale classique de Macri est une mauvaise réponse à de vrais problèmes.