Soudan. Le premier ministre de retour. La rue dénonce un accord qui veut «tromper le peuple»

Par Patricia Huon

Presque un mois après le coup d’Etat militaire au Soudan, Abdallah Hamdok, le Premier ministre déchu, est de retour à son poste. «Nous avons signé un accord pour arrêter le bain de sang», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse, ce dimanche 21 novembre, dans l’après-midi, au palais présidentiel, à Khartoum. A l’issue de celle-ci, il pose pour une photo, debout, à côté d’Abdel Fattah al-Burhane, le chef de l’armée et auteur du putsch, et Mohamed Hamdan Dagalo, dit «Hemetti», numéro deux de la junte. Les généraux en uniforme, avec qui il va à nouveau devoir composer, le dépassent d’une tête. L’image laisse un goût amer.

«Hamdok, vendu! La rue est vivante!» hurlent des manifestant·e·s. A Khartoum, la réponse ne s’est pas fait attendre. La marche de protestation était prévue, les slogans se sont adaptés à la nouvelle. Des milliers de personnes étaient présentes dans les rues de la capitale, agitant des drapeaux et reprenant en rythme les chants de la révolte, qui portent leurs rêves de liberté et de changement. Dans un jeu angoissant du chat et de la souris, le cortège, qui tentait d’avancer vers le siège des autorités, a été dispersé par la police à coups de grenades lacrymogènes et de tirs en l’air, puis s’est regroupé, à plusieurs reprises, à divers endroits dans la ville. Un adolescent de 16 ans a été tué par balle à Omdourman, banlieue séparée de Khartoum par un pont sur le Nil, selon des médecins qui font en outre état de «nombreux blessés par balles». Une tache sanglante sur ce jour de réconciliation.

«Nous ne voulons pas de leurs jeux politiques»

Depuis le coup d’Etat, le 25 octobre, au moins quarante personnes ont été tuées dans la répression des manifestations. «Cet accord est une blague. Ils tentent de tromper le peuple. Pour qui nous prennent-ils?» s’emporte Hissam Ahmed, un avocat de 50 ans, qui défile parmi la foule. «Ce que nous réclamons, c’est un pays démocratique. Nous ne voulons pas de leurs jeux politiques.»

Abdallah Hamdok et le général al-Burhane se sont engagés à «remettre sur les rails» la transition vers la démocratie. L’armée a accepté de libérer tous les détenus politiques, sans préciser de date, et de revenir aux termes de l’accord constitutionnel signé avec les révolutionnaires en 2019, après la chute d’Omar el-Béchir. Mais les détails sont flous. A l’issue des dix-huit premiers mois de la transition, la présidence du Conseil de souveraineté, la plus haute institution de la transition, devait être remise aux civils par les militaires. De cela, aucun mot dans le document signé ce dimanche 21 novembre, alors que de nombreux Soudanais ne veulent plus que l’armée continue à jouer un rôle dans la politique du pays, et s’interrogent sur le pouvoir de décision dont disposera désormais le Premier ministre.

«La junte a compris qu’elle n’avait pas d’argent et pas de légitimité. Les militaires ont décidé de ramener Hamdok pour “blanchir” le coup d’Etat, estime la chercheuse soudanaise Kholood Khair, fondatrice du think tank Insight Strategy Partners. Tout en donnant l’impression de faire un compromis, ils conservent ainsi la main sur le pouvoir, pour éviter de devoir rendre des comptes et conserver leurs intérêts économiques.»

Droit de véto brutal

L’accord est favorable à la junte, qui n’y fait pas de réelles concessions, après avoir exercé un droit de véto brutal. «Rien ne les empêche de refaire exactement la même chose, lorsque les termes ne leur conviendront plus», glisse un observateur, qui estime qu’Abdallah Hamdok, détenu, puis placé en résidence surveillée, «vient d’accepter de retourner dans une relation abusive».

Les puissances occidentales, qui avaient soutenu la transition politique au Soudan, ont condamné la prise de pouvoir par les militaires et suspendu des centaines de millions de dollars d’aide. Le retour du Premier ministre, un économiste qui a travaillé pour les Nations Unies et la Banque africaine de développement, était une condition essentielle à la poursuite de leur soutien aux autorités soudanaises.

«La communauté internationale, les Etats-Unis en particulier, a maintenant une excuse pour reprendre les affaires et la collaboration avec le gouvernement de transition», pense Magdi el-Gizouli, chercheur au Rift Valley Institute.

L’Association des professionnels soudanais, un regroupement de syndicats, et l’un des fers de lance de la révolte populaire de 2019, évoque, quant à elle, un «accord de traîtres qui n’engage que ses signataires». Le compromis passé ce dimanche va inévitablement diviser le mouvement d’opposition. «Des hommes âgés signent des accords, alors que des gamins meurent sous les balles dans les rues, dit Magdi el-Gizouli. Il y a une nouvelle génération qui veut un autre avenir pour le Soudan. La situation n’est pas tenable sur le long terme.» Mais à Khartoum, la rue a déjà compris qu’elle ne peut plus compter que sur elle-même. (Article publié sur le quotidien Libération en date du 22 novembre 2021)

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