Ce texte est diffusé par le Mouvement pour le socialisme lors de la manifestation de solidarité avec le peuple syrien le 17 mars 2012, à Genève. (Rédaction A l’Encontre)
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Souvent, les traits d’une sordide dictature s’affichent dans l’horrifique combinaison entre la torture généralisée, les massacres, le bombardement de quartiers populaires du pays, les déclarations mensongères les plus éhontées, les extravagances de la clique au pouvoir, sa richesse comme sa corruption ainsi que les instruments de coercition dont elle s’est dotée. Le clan de Bachar el-Assad vient d’illustrer, une fois de plus, ce «modèle».
Figures de dictature
Après avoir pilonné durant presque un mois le quartier de Bab Amr, à Homs, la télévision d’Etat (donc «privatisée» par la clique dictatoriale) affirme: «Les gangs terroristes ont kidnappé des citoyens à Homs, les ont tués et filmés pour susciter des réactions internationales contre la Syrie»! Une affirmation qui se situe dans la droite ligne des méthodes du ministre nazi «de l’Education du peuple et de la Propagande» du IIIe Reich, Joseph Goebbels. Ces allégations sont, tristement, avalisées par certains «anti-impérialistes». Ces derniers sont faits de la même texture que ceux qui cautionnaient les «démonstrations» du régime stalinien de l’URSS, lors des années 1930 ou 1950, qui affirmaient l’inexistence de «camps de concentration» pourtant documentés par la «presse impérialiste»!
Quant aux toquades et caprices dictatoriaux du clan Assad, le quotidien britannique The Guardian vient de publier, le 15 mars 2012 (pages 4 à 7), des courriels révélateurs de la vie quotidienne d’un dictateur qui, en plus des massacres, organise des référendums (en février 2012 sur une Constitution qui introduirait le «pluralisme politique»!) et des élections législatives, pour le 7 mai 2012…
Le quotidien britannique résume ainsi une partie du contenu de ces courriels: «Cette correspondance entre “Sam” (Bachar) et “AK” (sa femme Asma) dépeint le portrait d’un couple présidentiel déconnecté de la crise et qui continue de mener un train de vie luxueux.» La «déconnexion» n’est que partielle. Quelques messages, censés émaner de Khaled al-Ahmed, un des conseillers de Bachar el-Assad pour les «opérations» contre les villes rebelles de Homs et d’Idlib, incitent le président à «renforcer sa politique sécuritaire pour restaurer le contrôle et l’autorité de l’Etat» et à «prendre le contrôle des places tous les jours de 15h à 19h, pour éviter les rassemblements de l’opposition».
Certains disputeront la «véracité» de ces courriels. Il leur sera difficile de mettre en doute que des quartiers entiers de Homs et d’Idlib sont détruits, que les «hommes de main» (le «shabiha») du régime, après avoir condamné à l’exil des milliers d’habitants, pillent les maisons (voir les films de la BBC du 15 mars 2012). Au même titre, les rassemblements – fort bien contrôlés et filmés sous un bon angle par la télévision d’Etat – de quelques places dans les villes sont présentés comme l’expression du «soutien massif» à Bachar el-Assad.
On est en droit de se demander pourquoi ces «démonstrations» sont nécessaires, alors qu’il s’agirait simplement de combattre – certes depuis plus d’un an et avec un déploiement militaire colossal – contre «quelques gangs terroristes, manipulés par des forces étrangères»?
On retrouve ici une des méthodes d’oppression propres aux régimes dictatoriaux: ils savent qu’avec les «baïonnettes il est possible de faire beaucoup de choses, sauf une: s’asseoir dessus». D’où la nécessité d’aligner – debout, sur une place, avec des drapeaux et des portraits du tyran – trois types de supporters du pouvoir:
1° ceux très dépendants du régime et qui redoutent de tout perdre: leurs statut et privilèges; 2° ceux qui sont instrumentalisés, depuis longtemps, par le clan Assad et expriment des craintes et animosités confessionnelles dont l’aveuglement est caractéristique dans l’histoire de ces conflits construits par des cliques accrochées au pouvoir; 3° ceux qui sont effrayés par les baïonnettes des milices paramilitaires du Baas et se doivent «d’obéir» aux ordres de rassemblement.
Ces «multitudes» sont présentées par des médias comme «l’ancrage social réel» du régime. Ces formules sentent encore l’odeur du «respect» que la France de Sarkozy manifestait en invitant Bachar el-Assad au défilé militaire du 14 juillet 2008 sur les Champs-Elysées; ou la réception plus discrète, en décembre 2010, d’Asma et Bachar el-Assad, qui firent du shopping sur les mêmes Champs-Elysées…
Une guerre contre les civils. Provoquer l’exode
Toutes celles et tous ceux attachés à la défense de droits démocratiques et sociaux ne peuvent que soutenir la lutte anti-dictatoriale du peuple syrien insurgé. Or, trop souvent, s’expriment une simple indignation contre la répression et la demande que cessent les massacres. Certes cela est nécessaire et urgent. Mais dans plus d’une formulation relayée par les grands médias ou dans des forces dites de «gauche», il est fait référence à «l’escalade de la violence». Une expression qui renvoie dos à dos la terreur de l’Etat dictatorial et la résistance d’une large majorité de la population, dont le courage et l’engagement sont la seule explication d’un soulèvement aussi long. D’autres mettent en garde contre les «risques d’une guerre civile», alors que depuis 12 mois se développe une guerre contre les civils. Le sens de ces énoncés se retrouve en arrière-fond des divers plans discutés au Caire, le 10 mars 2012, par la Ligue arabe (qui réunit de nombreux pouvoirs réactionnaires), en présence de la Russie (Lavrov).
Pendant ce temps, les funérailles sont mitraillées par des tireurs d’élite (snipers). Des blessés sont faits prisonniers dans les hôpitaux, attachés à leur lit et torturés. Un symbole de la férocité et du fanatisme d’une dictature. Le 14 mars 2012, Amnesty International, dans son rapport intitulé «Les survivants de la torture parlent», souligne: «Les témoignages que nous avons recueillis nous ont donné un aperçu choquant d’un système de détention et d’interrogatoire qui, un an après le début des manifestations, semble avoir pour but premier de dégrader, d’humilier et de terrifier ses victimes afin de les contraindre au silence.» Après la prise du quartier de Bab Amr, les massacres de civils sont systématisés comme le pillage de leurs biens. Ils ne doivent plus revenir.
Effectivement, une politique de nettoyage de la population est mise en place depuis quelques semaines. Elle est à l’œuvre à Homs, à Idlib, à Dera et ailleurs. Elle a pour cible les «communautés» qui sont d’abord descendues dans la rue, puis ont résisté à des milices se comportant comme des occupants impitoyables. Le but de cette terreur d’Etat: susciter l’exode. Le triptyque dictatorial peut se résumer de la sorte: les Syriens devraient soit se soumettre, soit risquer torture et mort, soit «choisir» l’exode. Une certaine partition du pays est, de fait, à l’œuvre. Or, ce danger était dénoncé par ceux qui refusaient, sous ce prétexte, de soutenir l’insurrection populaire, pacifique.
Pour ce faire, le clan Assad exacerbe des affrontements «communautaires», «confessionnels» et les instrumentalise de manière préventive pour «nettoyer» des quartiers et des villes occupant le territoire jouxtant la Méditerranée: d’Idlib à Homs et plus au sud. L’ONU a déjà recensé au minimum 200’000 personnes déplacées et plus de 30’000 personnes contraintes à l’exode vers la Turquie, le Liban, la Jordanie. Un exode sur des chemins parsemés de mines antipersonnel.
Pourtant, malgré la terreur généralisée, la résistance populaire persiste dans un contexte de crise économique qui délite le régime et d’une déroute politique qui ne peut être comblée par la seule force militaire.
Un soutien inconditionnel
Le but que s’est fixé le peuple syrien insurgé: «A bas la dictature!» Le soutien à cette revendication doit être inconditionnel pour tous ceux et toutes celles qui ont à cœur la défense des droits démocratiques et sociaux comme de la justice sociale. Il appartient au peuple syrien – et aux organismes qu’il s’est donnés sur place: les comités locaux de coordination – et à lui seul de définir les moyens de sa résistance et de son combat. L’autodéfense armée est une composante de la nécessité de tenter de protéger les civils. Les désertions dans l’armée ne pourront que la renforcer.
La dislocation du pouvoir d’Assad est la précondition à toute conquête – difficile – pour les droits démocratiques, pour un pluralisme politique effectif, pour les droits indéfectibles d’organisation au plan social, de manifestation et de libre parole. La chute de la dictature devient une assurance face à ceux qui voudraient, demain, au nom d’un communautarisme quelconque, imposer leurs diktats.
Au nom des dangers d’une «guerre civile» – dont le régime plante les graines depuis des mois – des forces dites de gauche en Europe demandent «un dialogue loyal et constructif». Il ne peut pas exister avec ce pouvoir mafieux dont le vrai visage ne laisse plus aucun doute. Au moment même où l’émissaire de l’ONU, Kofi Annan, dissertait avec Bachar el-Assad, la ville d’Idlib (nord-ouest) était pilonnée. Une farce onusienne de plus.
Cela suffit pour démontrer que l’objectif le plus «concret» des «acteurs» régionaux et internationaux est celui de la mise en place d’une «transition» qui assure la continuité des piliers étatiques de l’Etat syrien. Le but: une «stabilité» régionale dont, à divers degrés, pourraient tirer avantage les classes dominantes des pays et puissances qui s’activent dans la région.
La politique du clan Assad a «détruit» le pays et étranglé la majorité de sa population. La révolte populaire chamboule non seulement le clan Assad, mais lesdits «équilibres» régionaux. Donc les ingérences étrangères ne peuvent que s’animer. L’Arabie saoudite et le Qatar jouent leurs cartes confessionnelles et économiques. L’obscur pouvoir iranien est allié au clan Assad. Chacun possède ses féaux en Irak ou au Liban.
Face à une telle situation, le Conseil national syrien (CNS) risque d’être emporté dans des manœuvres géopolitiques dont il sera le jouet, d’autant plus qu’il est fortement divisé. Dès lors, les diverses options présentées par les Coordinations des comités locaux se doivent d’être appuyées: une autodéfense mieux organisée qui épaule les actions de désobéissance civile dont les formes doivent se renouveler étant donné l’offensive répressive; la claire expression du refus de toute «vengeance confessionnelle» dans l’après-dictature.
Pour que ces objectifs puissent être atteints – car le combat durera – la solidarité la plus large est non seulement nécessaire, mais est seule à pouvoir réduire l’espace politique que cherchent à occuper des forces économiques et militaires intéressées d’abord à leurs intérêts et non pas à la libération du peuple de Syrie. N’oppriment-elles pas leur propre population que ce soit en Arabie saoudite, en Iran ou au Bahreïn?
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