Par Carlos Noriega (Lima)
Le Comité national de coordination des droits de l’homme (CNDDHH) qualifie de «crimes contre l’humanité» la réponse répressive du gouvernement aux manifestations exigeant la démission de la présidente Dina Boluarte et la tenue d’élections en 2023.
Dans un rapport présenté jeudi 26 janvier, l’organisation reconnue de défense des droits de l’homme dénonce les massacres, les exécutions extrajudiciaires, les détentions arbitraires, la torture, les traitements dégradants et les violences sexuelles dont sont victimes les détenu·e·s. Des menaces et des actes de harcèlement visant des avocats des personnes arrêtées et des militant·e·s des droits de l’homme sont également signalés. Des accusations arbitraires de terrorisme sont lancées contre des manifestant·e·s. La militarisation du pays et le soutien du gouvernement aux forces de sécurité accusées de tirer sur la population sont remis en question.
L’impunité assurée
Le CNDDHH souligne qu’il n’existe aucune garantie que justice soit faite pour les crimes commis par le gouvernement et les forces de sécurité, car le bureau du procureur général et le système judiciaire sont alignés sur le régime. Ce rapport sera soumis à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) et au Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
Au total, 57 personnes ont été tuées depuis le début des protestations en décembre, d’abord dans la région andine du sud, puis dans une grande partie du pays, notamment à Lima, où des manifestations antigouvernementales de masse ont lieu quotidiennement depuis une semaine. Manifestations durement réprimées. Parmi ces décès, 46 personnes ont été tuées par des tirs des forces de sécurité. Un policier a été tué. Près d’un millier de personnes ont été blessées. Le CNDDHH affirme que la réponse de l’Etat aux mobilisations sociales «a été d’une brutalité sans précédent dans l’histoire de la démocratie dans le pays au cours du présent siècle».
Il dénonce un «usage arbitraire de la force», notamment l’utilisation de fusils automatiques non autorisés pour les manifestations sociales. Egalement des chevrotines tirées sont tirées à bout portant et des grenades lacrymogènes lancées visant des manifestants. Il en résulte un nombre élevé de décès et de blessures.
«Les responsables du gouvernement, loin de mettre fin aux violences et de démasquer les auteurs, cautionnent et encouragent les actions des forces de sécurité», dénonce le rapport du CNDDHH.
Parmi les cas d’abus policiers signalés, citons celui de huit détenus de la ville andine d’Andahuaylas «brutalement battus pendant leur détention» et exposés sans abri au froid extrême de cette région; des détenus aux jambes couvertes d’ecchymoses provoquées les coups reçus pendant leur détention; des détentions dans des locaux de police «dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine»; un cas d’«agression sexuelle répétée»; des «attouchements inappropriés et des fouilles intimes» de femmes détenues à l’Université de San Marcos [qui a été occupée par les forces de police].
«Tous les droits sont violés»
«Je crois qu’il n’y a aucun droit dans le catalogue des droits de l’homme qui n’ait pas été violé. Les familles des victimes ont droit à la justice, à des réparations et à la vérité. Ils ont le droit de savoir ce qui s’est passé, d’où vient l’ordre, car il y a une consigne pour cette action, ce n’était pas juste deux ou trois policiers détraqués en vadrouille. Les responsables de ce massacre doivent être poursuivis et finir en prison comme il se doit, cela peut prendre quelques années, mais ce sera leur place», déclare Jennie Dador, secrétaire exécutive du CNDDHH.
Le ministère public a ouvert une enquête sur les meurtres commis pendant la répression, qui concerne Dina Boluarte et ses ministres. Mais la procureure générale, Patricia Benavides, suscite plus de doutes et de suspicions que de confiance. Très active par le passé en envoyant des messages accusant l’ancien président Pedro Castillo de corruption, elle fait désormais silence. Elle a également réduit le nombre de bureaux de procureur qui doivent enregistrer les plaintes pour violation des droits de l’homme, cela en leur retirant des ressources et du personnel. Les doutes ne visent pas seulement le bureau du procureur général. L’ancien chef de cabinet de Dia Boluarte, Pedro Angulo, l’un des accusés des massacres, est désormais conseiller principal du Conseil national de la Justice, qui nomme et évalue les juges du système judiciaire. Au Congrès, une commission enquêtera sur la répression, mais elle sera nommée par la majorité de droite qui soutient Dina Boluarte et applaudit la répression.
«Nous n’avons pas confiance dans le procureur général, ni dans le système judiciaire. Il n’y a pas d’indépendance des pouvoirs, ce que nous avons, c’est l’hégémonie d’un seul pouvoir. L’enquête qui aboutira au Congrès ne suscite aucun espoir», dit Jennie Dador. Elle souligne que les plaintes concernant les décès causés par la répression pourraient être déposées devant les tribunaux internationaux si le système judiciaire national ne progresse pas. Elle souligne que cette internationalisation pourrait être accélérée si une plainte est déposée devant la Cour pénale internationale, mais elle précise qu’elle doit être déposée par un Etat.
Jennie Dador accuse Dina Boluarte de «mentir systématiquement» lorsqu’elle accuse les manifestant·e·s d’être armés, de s’entretuer, d’être des terroristes. De nombreux témoignages, photos, vidéos et résultats d’autopsie confirment que les forces de sécurité ont tiré sur des manifestant·e·s. De plus, il n’y a pas une seule preuve pour soutenir la version de la présidente et de ses ministres selon laquelle les manifestants sont armés et que ce sont eux qui ont tiré.
«Ceux qui utilisent leur droit de manifester pacifiquement sont criminalisés, ainsi que ceux d’entre nous qui défendent les personnes qui se mobilisent et qui sont détenues. Nous sommes également accusés d’être des terroristes. Nous sentons la répression nous souffler dans la nuque», dénonce Jennie Dador. «La violence doit cesser. Il ne doit plus y avoir un seul mort», exige-t-elle.
Mar Pérez, responsable de l’Unité des avocats du CNDDHH, décrit ce qui se passe au Pérou comme «une situation très grave pour les droits de l’homme». «On fait un usage indiscriminé de la force. Les personnes qui manifestent pacifiquement se font tirer dessus, y compris celles qui ne participent pas aux manifestations. Il y a une empreinte profondément raciste dans les actions de la police. Ce n’est pas une coïncidence si les décès se sont produits dans des régions du pays où la présence indigène est forte. Le ministère public a ouvert une enquête sur le terrorisme contre une centaine de personnes pour avoir participé aux manifestations, ne serait-ce que pour avoir collecté des fonds pour soutenir les blessés. C’est extrêmement grave.»
La militante des droits de l’homme souligne la responsabilité des commandants militaires et de ceux qui tirent sur les manifestant·e·s, mais précise que les responsabilités ne se limitent pas à eux car il ne s’agit pas de décisions individuelles, mais d’actions qui font partie d’une «politique d’Etat». Concernant la responsabilité de Dina Boluarte et de ses ministres, Mar Pérez, avocate, souligne qu’elle n’est pas seulement politique. «Nous avons clairement affaire à la responsabilité pénale de la présidente, et comme il s’agit de crimes contre l’humanité, il n’y a pas de prescription. Nous ne savons pas combien d’années vont passer, mais elle devra assumer sa responsabilité devant les tribunaux.» (Article publié par le quotidien argentin Pagina/12 le 27 janvier 2023; traduction rédaction A l’Encontre)
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