Dans 30 ans, la surface brûlée de la forêt amazonienne aura doublé. Une étude qui commence par l’analyse de l’évolution des incendies depuis le début de ce siècle montre que l’interaction de la déforestation et du changement climatique aura pour résultat un plus grand nombre d’incendies, encore plus dévastateurs. Par conséquent, une grande partie de la région amazonienne deviendra un émetteur net de gaz à effet de serre qui, à son tour, se répercutera sur le processus. Certains experts commencent à parler d’un point de non-retour et de la savanisation (transformation d’une région en savane) de l’Amazonie.
Des chercheurs brésiliens et états-uniens ont modélisé l’évolution des incendies sur près de 200 millions d’hectares dans les parties sud et sud-est de l’Amazonie légale [nom donné au territoire délimité en 1953 afin de déterminer les régions éligibles aux aides de développement programmées pour l’Amazonie brésilienne]. Dans le modèle, ils ont intégré le nombre de feux et leurs principales caractéristiques (moment de départ, durée, zone brûlée…) à l’évolution de la déforestation et du changement climatique entre 2000 et 2050. Les deux processus sont indépendants mais, combinés, ils influent sur le nombre et la gravité des incendies, comme le montre ce travail, publié dans Science Advances (10 janvier 2020).
Dans le pire des scénarios d’émissions projetées et en maintenant le taux actuel de déforestation relativement faible (par rapport à 2000), la gravité des incendies s’intensifiera. Dans un contexte prévu de température plus élevée et d’humidité plus faible, la saison sèche s’allongera, ce qui aggravera les conditions de départ de feux. D’ici à 2050, selon cette étude et dans ce scénario, jusqu’à 15 millions d’hectares de forêt auront été brûlés.
Mais c’est en combinaison avec la déforestation que le changement climatique aiguillonnera le feu jusqu’à menacer ce qui a été l’Amazonie au cours des derniers 55 millions d’années.
Dans un contexte de fortes émissions de gaz à effet de serre (GES) et d’un réchauffement régional plus important, l’intensification de l’exploitation forestière exposera le reste de la forêt. L’étude estime que, dans ce scénario, le nombre d’hectares brûlés en 2050 passera à 22 millions.
Parmi les synergies entre le changement climatique et l’exploitation forestière qui expliquent cette augmentation de la superficie brûlée, il y a une augmentation générale de l’inflammabilité [capacité d’un combustible à s’enflammer et à maintenir sa combustion] de la forêt. Les lisières et les limites de la forêt, qui sont plus exposées, auront augmenté. Dans les forêts éclaircies, l’augmentation du rayonnement solaire réduit l’humidité, principal facteur naturel de lutte contre les incendies. Et un environnement moins humide facilite le démarrage et la propagation d’un incendie, et le rend plus difficile à éteindre. De plus, ce qui reste de la forêt aura plus de mal à se rétablir.
«Nos projections indiquent une accélération de l’activité des incendies dans le sud de l’Amazonie», concluent les auteurs de l’étude, ajoutant: «Nous montrons que jusqu’à 16% des forêts de la région pourraient brûler à mesure que le climat deviendra plus sec et plus chaud d’ici quelques décennies.»
Un effet paradoxal de ces projections concerne les émissions de GES. La forêt amazonienne est le principal puits de CO2 à la surface de la terre. Les incendies pourraient perturber son équilibre. Selon cette recherche, et dans le pire des scénarios de réchauffement climatique et de déforestation, la combustion d’un sixième de l’Amazonie libérera plus de 17’000 millions de tonnes de CO2 dans l’atmosphère d’ici à 2050, convertissant une grande partie du sud et du sud-est de l’Amazonie en émetteurs nets de GES.
«Dans des conditions normales, les forêts tropicales comme l’Amazone sont très humides, avec une courte saison sèche et très résistantes au feu», rappelle Carlos Nobre, chercheur à l’Institut des études avancées de l’Université de São Paulo (Brésil). «Cependant, le changement climatique a entraîné des températures plus élevées et des sécheresses plus extrêmes partout, y compris en Amazonie. Avec la dégradation de la forêt tropicale causée par l’homme ainsi que l’utilisation intensive du feu dans l’agriculture tropicale pour défricher de nouveaux ranchs et terres agricoles, tout cela rend aujourd’hui la forêt tropicale amazonienne exponentiellement plus vulnérable au feu que par le passé», ajoute Nobre, qui n’est pas coauteur de l’étude citée.
Le feu rejoint ainsi le cocktail qui menace de changer à jamais ce qu’est l’Amazonie. «Nous sommes très près d’atteindre un point de non-retour dans la savanisation de grandes parties de la forêt amazonienne», dit Nobre, qui a écrit un éditorial sur ce risque publié dans la revue Science Advances, en date du 20 décembre 2009 [le titre de cet éditorial, écrit avec Thomas E. Lovejoy, du département des sciences environnementales de la George Mason University: «Amazon tipping point: Last chance for action»].
«Si nous passons ce point de non-retour, plus de 60% de la forêt amazonienne deviendrait de la savane tropicale sèche. Ce qui reste de la forêt serait limité à la partie occidentale du bassin amazonien, au pied des Andes. Le sud, l’est et le nord-est de la forêt amazonienne pourraient disparaître», préviennent les deux scientifiques. (Article publié dans El Pais le 11 janvier 2020, p. 20; traduction rédaction A l’Encontre)
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