Hongkong. Pékin veut asphyxier l’édition indépendante

Un des ouvrages de New Century Press et sa version en anglais

Par Cyrille Pluyette

II n’y a pas si longtemps, Hongkong était une véritable caverne d’Alibaba pour les lecteurs à la recherche de livres interdits en Chine continentale. Les stands de rue et les librairies en regorgeaient. Mais ces dernières années, alors que Pékin a accru son influence sur le territoire semi-autonome, le marché a subi un véritable coup d’arrêt. Et la survie des derniers éditeurs à oser publier des ouvrages critiques sur l’histoire du Parti communiste chinois (PCC) est désormais menacée. «L’édition de titres indépendants est devenue une sorte d’activité à but non lucratif que je cherche à préserver en étant très sélectif sur mes choix, en me concentrant sur la publication de documents historiques méconnus», confie Bao Pu, le fondateur de New Century Press, qui estime qu’il ne reste plus que trois ou quatre maisons d’édition indépendantes à Hongkong, contre plusieurs dizaines autour de 2010. Lui qui sortait par le passé environ un livre par mois a été confronté à d’extrêmes difficultés pour en publier cette année trois, consacrés à la répression sanglante du mouvement prodémocratie de la place Tiananmen, le 4 juin 1989. L’un d’eux, The Last Secret: The Final Document From the June Fourth Crackdown, apporte un éclairage précieux sur la façon dont la direction du Parti communiste a cherché à imposer sa version des événements, après le bain de sang. [Voir à propos de cet ouvrage l’article publié sous le titre «Le week-end noir de Pékin» sur ce site en date du 7 juin 2019: http://alencontre.org/asie/chine/le-week-end-noir-de-pekin.html]

Cinq libraires hongkongais emprisonnés en Chine

Parmi les nombreux obstacles rencontrés, Bao Pu a eu le plus grand mal à trouver un imprimeur, en cette année particulièrement sensible du 30e anniversaire du massacre, un sujet toujours aussi tabou pour Pékin. «La plupart des imprimeurs de Hongkong ont peur, ils pensent que ce type de projets est trop risqué pour eux», estime-t-il. Son partenaire historique, Asia One, avait déjà annoncé en 2016 qu’il ne voulait plus travailler avec lui, sans donner d’explication. L’imprimeur vers lequel s’est ensuite tourné New Century a lui pris ses distances cette année. «Il craignait de perdre son usine et a demandé à voir le contenu des livres, ce que j’ai bien sûr refusé», souligne l’éditeur tenace. Bao Pu a fini par dénicher une entreprise située en dehors de Hongkong, dont il préfère ne pas dévoiler le nom.

Les autorités chinoises ont cherché à asphyxier le secteur de l’édition hongkongaise dès 2010, selon plusieurs experts. Mais le tournant le plus spectaculaire s’est produit avec la «disparition» de cinq libraires hongkongais en 2015. Ces personnes, qui travaillaient pour une maison d’édition publiant des livres de ragots sur les dirigeants chinois, s’étaient volatilisées avant de réapparaître plusieurs mois plus tard en détention, en Chine continentale. «Tout le monde a compris à l’époque que cette activité était devenue dangereuse. Beaucoup de maisons d’édition ont commencé à fermer», se souvient Bao Pu. Et les acheteurs venus du continent se sont mis à redouter les contrôles des autorités chinoises à la frontière, lors de leur retour.

«Pékin exerce une pression sur tous les composants de la chaîne de l’édition: les auteurs, les éditeurs, les imprimeurs, les distributeurs, les librairies et les consommateurs», explique Wang Yaqiu, chercheuse pour l’ONG Human Rights Watch (HRW). Le plan s’est révélé efficace. «Tous les échelons techniques du secteur indépendant ont commencé à se désintégrer», soupire Bao Pu. Les ouvrages politiquement sensibles sont d’autant plus difficiles à diffuser que la moitié des librairies de la mégalopole appartiennent désormais à Sino United Publishing, une entreprise contrôlée par le bureau de liaison de Pékin. Autre complication: «Je m’interdis toute promotion à l’avance, car la seule condition pour réussir à publier mes livres, c’est que les projets restent secrets», déclare le courageux éditeur, contraint d’agir comme une entreprise «clandestine» qui fait de la «contrebande», alors que son activité est parfaitement légale.

Malgré les difficultés croissantes, il se sent cependant le devoir de ne pas baisser les bras. «Ce qui m’encourage, c’est de constater qu’il existe une demande», dit Bao Pu, qui reçoit de plus en plus de manuscrits rédigés par des chercheurs dans l’impossibilité de publier leur travail en Chine continentale. D’après lui, de jeunes Chinois sont encore prêts à prendre des risques pour venir acquérir des livres dévoilant ce que leur gouvernement cherche à leur cacher. (Article publié dans Le Figaro, daté du 10 juin 2019)

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